« C'est romanesque ! » : notre sélection de livres pour un été 100% queer

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Entre poésie, fictions, biographies et essais, découvrez les lectures indispensables pour un été 100% queer et littéraire !

« Pédés », de Florent Manelli, Jacques Boualem, Camille Desombre, Adrien Naselli, Julien Ribeiro, Ruben Tayupo, Nanténé Traoré, Anthony Vincent


L’insulte vient d’abord, vive et violente, lourde d’une histoire commune bardée de traumatismes et d’angoisses, jalonnant la vie de n’importe quel homme gay terrifié à l’écoute de ces deux syllabes.

Par ses huit récits de journalistes, militants et artistes, Pédés apparaît comme la première pierre d’un édifice que l’on attendait plus, celui d’une “pédérité” –soit la solidarité entre pédés– conscientisée, politique et plurielle. Être pédé et noir, pédé et trans, pédé et immigré, pédé et séropo, pédé et rural, bref être simplement pédé : les homosexualités masculines pleuvent dans ce revigorant essai choral aux milles couleurs, qui conjure le sort de ces quatre lettres maudites pour alléger le poids qui pèse sur les épaules de tous ceux qui en ont été victimes. Troquer la honte pour la fierté, guider l’individu vers sa communauté, la questionner elle aussi, pour ne jamais stagner.

Grâce aux témoignages de Florent Manelli, Jacques Boualem, Camille Desombre, Adrien Naselli, Julien Ribeiro, Ruben Tayupo, Nanténé Traoré et Anthony Vincent, on n’aura jamais été aussi heureux d’être pédé.

« Pédés », Essai collectif coordonné par Florent Manelli, aux éditions Points, 256 p., 9,40 €

 

« Les garçons, la nuit, s’envolent », de Florian Bardou


« Dire les mots crus, dire les mots du corps », ces deux vers, lus dans un des nombreux magnifiques poèmes qui composent ce recueil, résument à eux seuls l’initiative de Florian Bardou avec « Les garçons, la nuit, s’envolent ». Armé d’un verbe malin et rythmé (à tel point qu’on se retrouve parfois, inconsciemment, à rapper/slamer les vers dans notre tête), le journaliste-poète se lance dans un galvanisant éloge de ces nuits suantes et fiévreuses sous les néons des soirées techno, de ces amours passagères et charnelles, qui parcellent sa vie de jeune citadin homo.

Par son vocabulaire franc et ses jeux de langage habiles, il nous donne à ressentir pleinement le frisson de cette vie survoltée, guidée par une musique omniprésente où se succèdent accalmie et euphorie. Grâce à cette sincérité rare, ses poèmes courts et accrocheurs, son regard amusé et impudique, et sa dévotion totale à ce qu’il raconte, le quotidien pédé n’aura jamais semblé aussi poétique et éclairé.

« Les garçons, la nuit, s’envolent », de Florian Bardou, aux éditions Lunatique, 108p., 12€.

 

« Sale Menteuse », de John Waters


Impossible de passer à côté du premier roman de John Waters, réalisateur légendaire et impertinent du cinéma américain, connu pour sa collaboration avec la drag-queen Divine dans notamment Pink Flamingo et Female Trouble, ou encore pour ses succès comme Cry Baby et Hairspray. Dans cette aventure ahurissante d’absurdité, John Waters suit la course effrénée de Marsha, une menteuse et arnaqueuse invétérée poursuivie par tout un tas de différents groupes qui veulent sa peau. Pénis doué de parole, salon de chirurgie esthétique pour animaux domestiques, chiens et fans d’anulingus révoltés : le cinéaste-écrivain montre qu’il n’a rien perdu de son insolence et étrille les États-Unis dans un roman vertigineux et délirant.

Idéal pour se vider la tête, éclater de rire, et replonger dans l’univers de cet artiste qui manque au cinéma.

« Sale Menteuse », de John Waters, aux éditions Gaïa, 256p., 22,80€

« La lettre aérienne », de Nicole Brossard


«  Dans ce texte, je n’ai décidé que d’un seul mot : lesbienne, et le texte a suivi car la lesbienne est l’intuition de la plus audacieuse lucidité ». Paru originellement il y a 35 ans, les 12 textes de l’écrivaine lesbienne et féministe québécoise Nicole Brossard ressorte aujourd’hui dans une superbe réédition. Si le temps a passé depuis leur création, la pertinence que Brossard étaye sur une centaine de pages et son style inimitable sont, eux, toujours intactes et résonnent plus que jamais avec les luttes féministes et lesbiennes actuelles. Son esprit affranchi et émancipé transparaît dans chaque mot de cet ouvrage précieux qui invente à lui-seul un nouveau monde sans hommes.

« La lettre aérienne », de Nicole Brossard, aux éditions du Remue-Ménage, 168p., 14€

 

« La Shéhérazade des pauvres », de Michel Tremblay


Alors que les rides dominent sur son visage, et que son passé de paillettes et de fête est bien derrière elle, l’ex-travestie et star de la nuit Hosanna (de son vrai nom Claude) accepte la proposition d’interview d’un jeune journaliste. Pendant cet entretien qui s’étale sur neuf jours, le célèbre dramaturge et romancier québécois Michel Tremblay jongle habilement entre le passé et le présent de son personnage pour rendre compte d’une époque dantesque et presque chimérique. Avec sa plume virtuose et sensible, Tremblay opère une émouvante étude de personnage comme peu le font, nous faisant ressentir chaque vibration de cette reine déchue qui ne vit plus que dans les souvenirs de ce qu’elle fut.

Un très beau livre sur la vie queer des années 70 et l’importance pour la communauté de transmettre son Histoire de génération en génération.

« La Shéhérazade des pauvres », de Michel Tremblay, aux éditions Actes Sud, 154 p., 19,50€

« 95 », de Philippe Joanny

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Dans son précédent roman, très remarqué, Comment tout a commencé, Philippe Joanny explorait son enfance et son adolescence, à la fin des années 70, avant le sida, avant Mitterrand. Le héros du roman vit avec son frère près de la Gare de Lyon, dans le 12e arrondissement. Dans 95, c’est le 10e arrondissement des années 90, avant la gentrification, avant la rénovation de la place de la République, que fait revivre Joanny.

C’est en effet dans cet arrondissement que se situe en partie ce récit bouleversant, centré sur une semaine particulière dans la vie de quelques amis de Philippe, autour de la mort d’Alex, un ami flamboyant. A travers sa narration à la première personne et des témoignages (Jeff, Willy, Denis, Hervé…), Philippe Joanny réussit à transmettre l’ambiance si singulière d’une époque. Avec une montée de la tension au fil des chapitres et un dénouement qui nous laisse non pas triste ou abattu mais reconnaissant envers l’auteur.

Reconnaissance de nous avoir permis de revivre des instants magiques, étonnants ou cocasses, parfois très réalistes, voire même drôles, avec « sa bande » de l’époque, des gays trentenaires, qui passent une grande partie de leur temps dans les bars, dans les boites, et dont beaucoup sont « tombés », comme Philippe l’écrit dès la première page. Reconnaissance de les avoir décrit dans leur humanité, leur complexité, leur énergie. Cette époque fait aussi écho à la période actuelle quand l’auteur décrit l’amitié entre gays, les lieux de rencontres, les drogues.

L’écriture de Philippe Joanny a cette capacité à nous plonger dans l’instant. A nous mettre dans la situation, à visualiser le lieu, le moment. En peu de mots. C’est magnifique et troublant.

« 95 », de Philippe Joanny, éditions Grasset, 190 p., 19 €

« Le Glorieux et le Maudit – Jean Cocteau-Jean Desbordes : deux destins », d’Olivier Charneux

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Peu de gens connaissent Jean Desbordes (1906-1944). Auteur de romans et de pièces de théâtre, amant de Cocteau, résistant, il est mort sous la torture, tué par la milice française et son nom a vite été quasi oublié.

C’est tout le prix du nouveau roman d’Olivier Charneux de nous faire revivre le parcours de cet homme si singulier, si moderne dans son approche de la sexualité, si libre !

A travers des pages qui fourmillent de détails sur les années 30 et 40, la vie LGBT de l’époque, les années d’insouciance et de liberté mais aussi les années plus répressives, Olivier Charneux parvient à nous captiver mais aussi à nous émouvoir.

Dans une construction chronologique assez classique, on découvre un très beau jeune homme au milieu des années 20, qui dans sa correspondance avec Cocteau, va tout faire pour se rapprocher de l’écrivain déjà célèbre. Olivier Charneux ne cache rien de leur addiction à l’opium et à la cocaïne durant les années de leur relation amoureuse. Après sept ans de vie commune, mouvementée mais aussi riche d’accomplissements artistiques pour Jean Desbordes, celui-ci va se marier puis quand la guerre éclate, va se joindre à la Résistance et jouera un rôle très important mais souvent minoré depuis.

« Le Glorieux et le Maudit – Jean Cocteau-Jean Desbordes : deux destins », d’Olivier Charneux, Le Seuil, 272 p., 19,50€

« Over the Rainbow », sous la direction de Nicolas Liucci-Goutnikov


En parallèle de l’excellente exposition éponyme (du 28 juin au 13 novembre 2023), le Centre Pompidou publie le catalogue officiel où l’on peut retrouver toutes les œuvres et informations qui parcourent la collection. Une véritable mine d’or qui met à l’honneur les artistes queers et leurs productions artistiques, rendant compte de leur combat de longue haleine pour déconstruire les représentations sexuelles hétérodominantes. Monique Wittig, Jean Genet, Claude Cahun, Andy Warhol, Cocteau, Fassbinder… : entre visages connus et découvertes totales, le livre lève le voile sur les mystères d’un 20ème siècle bien plus queer qu’on ne pouvait le croire, du Paris Lesbos de Natalie Clifford Barney aux combats du FHAR et d’Act Up, en passant par les pissotières et les queerzines.

« Over the Rainbow », sous la direction de Nicolas Liucci-Goutnikov, aux éditions Centre Pompidou, 184 p., 27 €

 

« La Voie du Sud »,  de Marguerite Grimaud

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Evadez-vous tout en soignant votre empreinte carbone ! Le roman de Marguerite Grimaud vous entraîne dans la vie amoureuse et tumultueuse d’Héloïse, une cantatrice qui au hasard des circonstances va devoir repartir de rien. Elle s’envole pour l’Australie et le fameux opéra de Sydney… Elle va y faire la rencontre de Camille et… à vous de découvrir la suite ! L’écriture de Marguerite Grimaud est très rapide, de nombreux passages sont des dialogues, ce qui donne à la lecture la sensation de vivre l’évolution des personnages “en direct”, comme dans une très bonne série télé qu’on a envie de binger. L’amour n’est jamais loin et le romantisme des situations non plus. La romance lesbienne de l’été !

 

La Voie du Sud », de Marguerite Grimaud, Reines de Coeur, 288 p., 19,90€

Un après-midi sous la neige, de Samer Nouh
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L’auteur Samir Nouh, aime et connaît bien le cinéma. Il a rédigé un mémoire sur le désir homo dans le cinéma égyptien. L’écriture de son premier roman s’en ressent. Cette histoire d’amour entre deux adolescents, qui se situe au Liban, en est d’autant plus attachante et précieuse. La première phrase du roman contient à elle seule toute la puissance de ce qui va suivre : « Au lever du soleil, il n’était déjà plus là ». 

« Un après-midi sous la neige », de Samer Nouh, Tropismes éditions, 143 p., 17 €.

Retrouvez aussi les interviews d’auteurs et d’autrices que nous avons publiées sur Komitid depuis la rentrée 2022 :