Charles Dantzig : « Nous vivons une période où le moi est au centre de tout, y compris dans la littérature. Et le moi est une assez grande limitation de l'imagination »

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Charles Dantzig vient de publier « Genre : fluide » dans la belle collection « Points Poésie » (dirigée par Alain Mabanckou). Un ouvrage qui s'ouvre sur une soixantaine de poèmes inédits. Interview d'un écrivain prolifique et inspiré.

Charles Dantzig est l'auteur de « Genre : fluide » aux éditions Grasset - JF PAGA
Charles Dantzig est l'auteur de « Genre : fluide » aux éditions Grasset - JF PAGA
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Un livre dont le titre est Genre : fluide, ça attise forcément notre curiosité. Lorsque son auteur produit aussi Personnages en personne, une des émissions les plus sérieusement queer de France Culture, notre intérêt grandit.

Charles Dantzig vient donc de publier dans la belle collection « Points Poésie » (dirigée par Alain Mabanckou) Genre : fluide, un ouvrage qui s'ouvre sur une soixantaine de poèmes inédits de cet auteur prolifique à qui on doit nombre de recueils de poésie mais aussi un savoureux Dictionnaire égoïste de la littérature française (Grasset, 2005) et tout récemment le roman Proust Océan (Grasset, 2022), acclamé par la critique.

Dans l'interview qu'il a accordée à Komitid, Charles Dantzig explique ce qui l'intéresse dans la fluidité du genre, évoque ses auteur·es et artistes cultes, parle de backroom, des drag queens et des drag kings… mais aussi de dentier ! C'est parti pour un entretien pointu, spirituel, bourré de références et à la tonalité toujours savoureuse.

Komitid : Quel personnage serait selon vous un·e précurseure du genre fluide ?

Charles Dantzig: Le personnage trans de la littérature, Myra Breckinridge (publié aux Etats-Unis en 1968, ndlr), un roman de Gore Vidal. Si j'excepte évidemment les personnages de l'Antiquité, qui n'étaient pas vraiment des personnages. Les Grecs et les Romains avaient une notion beaucoup plus fluide de ça. Les auteurs de l'époque créaient des personnages qui changeaient de sexe et d'apparence. Les polythéismes étaient plus imaginatifs et les dieux pouvaient avoir plusieurs formes donc pourquoi pas les êtres humains. En tout cas dans la littérature, la fluidité de genre est assez rare. A part les personnages trans, il y a quelques personnages assez ambigus, comme Mademoiselle de Maupin, dans un roman de Théophile Gautier où une fille se déguise en homme pour savoir ce que les hommes pensent des filles. C'était assez osé. Il y a aussi bien sûr le Orlando de Virginia Woolf, avec une fluidité de genre tranquille. Orlando change de sexe et ça n'est pas un problème, aucune question n'est posée. C'est un homme puis c'est une femme et c'est comme ça. Et ça c'est formidable !

« Je m'oppose de plus en plus à l'idée de « moi » comme critère absolu de tout »

Que représente pour vous la fluidité de genre ?

Cela participe de quelque chose sur laquelle je réfléchis. Je m'oppose de plus en plus à l'idée de « moi » comme critère absolu de tout. Nous vivons une période où le moi est au centre de tout, y compris dans la littérature. Et le moi est une assez grande limitation de l'imagination. On peut changer de moi. Les êtres humains ont trop tendance à se penser eux-mêmes comme définitifs : “Je suis un garçon, on me dit que je suis un garçon et je prends les stéréotypes genre garçon telle que la convention nous l'impose ”. On accepte cela de façon trop spontanée. Maintenant, c'est en train d'être contesté et si ça l'est, c'est parce que ça ébranle la conception du moi comme critère absolu et immuable. Et ceux qui sont contre ces changements sont affolés et complètement fous parce qu'ils ne peuvent pas concevoir ça.

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  • juliensuisse

    * une pure merveille de livre

  • juliensuisse

    Mademoiselle de Maupin (pas “Taupin” !), un pure merveille de livre. Bisous à toutes/tous