John Waters : « Trump est mauvais et bête sans même être drôle »

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À l'occasion de la sortie de son premier roman « Sale Menteuse », Komitid a rencontré John Waters, l'iconique réalisateur autoproclamé « Roi du Trash », pour parler de cinéma, de son futur film, et du monde d'aujourd'hui.

John Waters - © Greg Gorman
John Waters - © Greg Gorman

Icône parmi les icônes, John Waters s’est certes fait très discret à Hollywood depuis près de 20 ans. Mais son image de cinéaste punk reste indéniablement intacte et son influence corrosive et trash ne s’est pas pour le moins du monde détériorée.

Réalisateur mythique du cinéma underground et queer, à qui l’on doit des chefs-d’oeuvre comme Polyester, Pink Flamingos, Hairspray et Cecil B. Demented, John Waters n’a pourtant plus rien réalisé depuis 2004 et l’amusant A Dirty Shame, qui amorçait donc une interminable trêve dans sa carrière de cinéaste.

Depuis, celui qui faisait du dégoutant sa marque de fabrique s’était mis à écrire des livres (notamment une autobiographie) et a écrire des one-man shows qu’il n’a encore jamais joué en France. « J’aimerais tellement que ça arrive d’ici peu », nous confie t-il.

Si l’on pouvait craindre qu’avec l’âge (77 ans déjà !) et après tant d’années, le cinéaste se soit assagit, il vient balayer tous les doutes avec Sale Menteuse, son premier roman, plus provoquant et outrancier que jamais. Il y fait le récit de Marsha Sprinkle, une femme froide et frigide, menteuse compulsive et voleuse hors-pair qui, après un casse raté avec son compère – ou plutôt esclave – Daryl, fuit les autorités et se lance dans une course-poursuite rocambolesque sur les traces des membres de sa famille, qui bien sûr la haïssent tous.

Parce qu’il ne faut pas trop en dévoiler, et que de toute manière il est compliqué de mettre des mots clairs et raisonnés sur une œuvre qui fait à ce point fi de toute modération, faisons juste une rapide énonciation parcellaire de ce qui vous attend dans ce roman : des arnaques en tout genre, un pénis qui parle, une révolution canine, une chirurgienne esthétique spécialisée dans les cas d’animaux domestiques, un chat né dans le corps d’un chien, une communauté de fans d’anulingus décidés à faire valoir leurs droits et… des crackers. Beaucoup de crackers. Mais ne vous y trompez pas, Sale Menteuse a beau être un roman déchainé et survolté, il ne perd rien de la pertinence habituelle qui caractérise les œuvres de John Waters. La bourgeoisie, les États-Unis d’aujourd’hui, le puritanisme, la bien-pensance… John Waters étrille toute une vision du monde à travers une course-poursuite légendaire, désopilante et constamment surprenante.

C’est donc pour promouvoir ce livre délicieux et décadent que John Waters est venu à Paris, vraisemblablement déçu d’arrivé trop tard pour admirer les conséquences que peut avoir une grève des éboueurs sur la capitale française : « Quand je suis arrivé c’était déjà fini. J’ai vu quelques poubelles à recycler par-ci par-là, mais c’était pas des déchets. Je voulais voir d’énormes rats courir dans les rues moi ! », ironise t-il au début de l’interview alors que le brouhaha d’un camion poubelle remplit la pièce. Pas de doutes, il est bien de retour !

Komitid : Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier, celle d’une femme menteuse, voleuse et escroc ?

John Waters : C’est venu quand quelqu’un que je connais m’a raconté qu’une de ses connaissances volait des valises dans les aéroports. Ça m’a donné cette première idée qui revient souvent dans le livre. Je connais des gens qui volent dans les aéroports, pas moi bien sûr je ne l’ai jamais fait (Rires) ! On m’a déjà volé des choses directement de ma valise, j’en ai même pris un une fois sur le fait. Je n’en ai jamais vu le faire directement sur le tapis roulant, mais ils pourraient ! C’est tellement facile à faire, tout ce qu’ils ont à dire s’ils se font prendre c’est qu’ils se sont trompés et qu’elles se ressemblent toutes.

Il y a un peu de vous dans Marsha ? Vous mentez autant ?

Oh non mon dieu j’espère n’avoir rien en commun avec elle ! Premièrement moi j’ai un sens de l’autodérision assez prononcé, et elle n’en a aucun. Je ne lui ressemble pas tant que ça, à l’exception du fait que comme elle j’aime les crackers. Mais je ne mens pas non plus tant que ça, par politesse de temps en temps, mais en général je dis la vérité. Ça me plait d’avoir des gens différents de moi à mes côtés, j’observe leurs comportements et j’essaye de me mettre dans leur tête, de penser comme eux. C’est presque de l’anthropologie (Rires). Tous mes personnages restent des parties de moi, je vis avec eux pendant des années et des années, je rêve d’eux, ils sont mes collègues avec qui je travaille quotidiennement, mes amis presque ! Mais ça ne veut pas dire que j’aimerais traîner avec eux dans la vraie vie, sûrement pas. Ce serait épuisant. Marsha serait épuisante.

Comment était-ce d’écrire ce roman, votre premier livre de fiction ?

J’ai dû faire à peu près cinq ou six versions avant de le finir définitivement ! Ça m’a pris trois ans en tout et pour tout, de la naissance de l’idée à la copie finale. Mais j’adore ça, j’écris de toute façon tous les jours, que ce soit des livres, des essais, des scénarios de films ou de séries…. C’est ce que je fais du lundi au vendredi, donc pour moi c’était très plaisant, quoique toujours un peu fatiguant !

De Marsha qui est une voleuse compulsive à l’hétéro Daryl qui a un pénis gay doué de parole, en passant par Adora et son business de chirurgie esthétique pour animaux domestique et Poppy et sa communauté de sauteurs, est-ce qu’il y a un personnage que vous avez préféré écrire ?

C’est difficile mais je pense qu’au fond celle que j’aime le plus c’est Marsha, c’est elle l’héroïne du livre. Mais j’étais assez fier du personnage de Daryl aussi, cet hétéro affirmé qui se met à parler à son pénis gay. Je me disais qu’aujourd’hui tout ce qui tourne autour de la sexualité et du genre est parfois tellement compliqué que ça c’était vraiment une combinaison inédite, une situation jamais vue ! Comment gérer le consentement quand un même corps a deux envies distinctes, l’une homo et l’autre hétéro. Et à la fin ils doivent trouver un moyen de faire la paix, ce qui est très dur ! Je trouvais que d’un point de vue comique c’était génial, que notre corps aille totalement à l’encontre de nos envies.

« C’est Trump qui a gâché le mauvais goût, pour toujours »

Votre dernier film, A Dirty Shame, date d’il y a presque 20 ans, et vous sortez donc cette année votre premier roman. Le monde a beaucoup changé entre-temps, le trash et le mauvais goût sont partout aujourd’hui… Pour celui qu’on appelle le « Roi du Trash », vous ne craigniez pas de vous être assagi ?

Je pense que c’est vraiment Trump qui a gâché le mauvais goût, pour toujours. Il est mauvais et bête sans même être drôle, ça ruine toute la magie. Il n’y avait rien de jouissif ou de délicieux dans ses déclarations et sa présidence. Le mauvais goût n’a plus eu le même sens après lui. Mais il y a toujours de la bonne comédie, notamment de la bonne satire. À l’époque (dans les années 70, ndlr) je me moquais beaucoup des hippies et c’était déjà pas très politiquement correct. Mais peut-être que je le suis ! Techniquement, oui, je suis politiquement incorrect ! Pour autant je n’ai jamais eu vraiment peur de m’assagir, tout ce que je veux c’est me faire rire. Aujourd’hui j’ai 77 ans, et d’une certaine manière je suis toujours le même qu’avant. Si je refaisais mon dernier film aujourd’hui, je pense qu’il serait identique. Puis il n’y a qu’à voir Sale Menteuse, ce n’est vraiment pas un livre normal (Rires). Le public a changé par contre, l’humour aussi. Il est devenu plus sombre. Les gens sont plus enclins à rire d’eux-mêmes aujourd’hui. Peut-être pas la nouvelle génération, qui même si elle a souvent raison sur plusieurs sujets, a encore beaucoup à faire au niveau de l’humour et de l’autodérision. On doit mieux faire, mieux choisir nos batailles, sinon après les gens votent pour Trump et c’est du grand n’importe quoi.

Pourquoi avez-vous pris une aussi longue pause dans votre carrière de réalisateur ?

En fait pendant tout ce temps j’ai continué à écrire pour le cinéma ! J’ai même écrit quatre versions différentes d’Hairspray : une série télé, une suite de la comédie musicale, une suite du film original… Donc j’étais payé à écrire plein de scénarios pour Hollywood tout ce temps, c’est juste que rien ne s’est fait pour différentes raisons. J’ai même eu un film de Noël pour enfants qui a failli se faire et pour lequel j’ai eu deux fois le feu vert pour le développer. J’ai essayé de revenir à la réalisation, mais rien n’y faisait. Ça arrive tout le temps et à tout le monde à Hollywood. Au moins j’étais payé, c’est déjà ça !

Sale Menteuse va être adapté au cinéma prochainement. Vous écrivez le scénario et réaliserez le film. À quel moment vous vous êtes dit que vous aimeriez voir cette histoire sur grand écran ?

À la base c’était une idée de film que j’avais en moi depuis des années et que je n’ai jamais vraiment plus développé que ça. Mais j’avais une enveloppe avec toutes les idées auxquelles j’avais pensé qui m’attendait depuis un moment. Mais je n’y avais jamais vraiment réfléchi, je n’avais pas d’intrigues ou autres. Donc quand j’ai écrit le livre j’ai mis à plat mes pensées et j’ai tout écrit. Maintenant je dois faire l’inverse, faire du livre un film. Évidemment il y a des choses qui disparaîtront pour ne pas que ce soit trop long. Tout le monde me dit : « Mais comment tu vas réussir à faire tout ça dans un film ? ». Mais vous avez vu Avatar ? On peut faire ce qu’on veut avec le cinéma, les effets spéciaux et des cascadeurs. Et des acrobates. Et des contorsionnistes. Je vais avoir besoin de beaucoup de trucs je crois (Rires). Il y aura évidemment des choses dures à mettre en scène, parce que le livre est très riche et assez fou, mais ça sera amusant !

Pour l’instant c’est juste un studio qui a mis une option sur le livre et m’a demandé d’écrire le script. On verra si ça se fait, il y a encore beaucoup d’étapes avant que ça se concrétise. Donc quand les gens me demandent « Vous commencez à tourner quand ? » je leur dis que c’est vraiment plus compliqué que ça. Je ne me réjouis pas tant que je ne suis pas sur le plateau.

« Les comédies pleines de bons sentiments et les jolies romances ce n’est pas mon truc. »

Tous les ans, vous publiez la liste de vos 10 films préférés de l’année, où on retrouve beaucoup d’œuvres  queer comme récemment « Bruno Reidal », « Feu Follet », « Saint Narcisse »…. En tant que l’un, si ce n’est LE cinéaste queer le plus connu au monde, vous gardez un œil sur le cinéma LGBT actuel ?

Il y a beaucoup de mauvais films gays, parfois même très mauvais (Rires) ! Peu importe s’il est récent ou non je m’intéresse au cinéma sous toutes ses formes. Il y a évidemment quelque chose de rafraîchissant dans le cinéma queer d’aujourd’hui mais les films que moi j’aime sont très souvent différents des autres, ils montrent une vision différente du cinéma. Par exemple le remake des Larmes amères de Petra Von Kant par François Ozon ou Bruno Reidal, sur ce tueur en série qui se masturbe tout le temps… Ce ne sont pas les films gays typiques. Les comédies pleines de bons sentiments et les jolies romances ce n’est pas mon truc, et encore moins quand c’est avec des hétéros ! En général le genre du feel-good movie ne m’intéresse pas tellement. Par contre rien ne dépasse Un chant d’amour de Jean Genet, qui est mon film gay préféré.

Vous êtes donc encore très cinéphile !

Oui je vois encore beaucoup de films ! Mais j’en vois beaucoup parce que mon top 10 sort en général en décembre, soit avant ceux des rédactions qui le publient en janvier. Parfois je suis la seule chance pour des films d’être dans un top de fin d’année. Des studios m’envoient donc leurs films en avant-première, organisent des projections rien que pour moi ou m’invitent à des soirées pour les voir ! C’est devenu très sérieux ! (Rires) Et c’est très souvent des films français aussi : j’adore Gaspar Noé, Bruno Dumont, François Ozon, Quentin Dupieux… Le cinéma français a quelque chose en plus, c’est indéniable.

Rétrospectivement, est ce qu’il y a un de vos films que vous aimez plus que les autres, dont vous êtes le plus fier ?

Je pense que Serial Mom est le meilleur film que j’ai fait. On avait de l’argent donc on a pu le faire ressembler à quelque chose, Kathleen Turner est absolument incroyable dedans, et je pense que le scénario prédit déjà l’obsession du true-crime aux États-Unis, qui est aujourd’hui partout à Hollywood… Des films avec Divine ça doit être Female Trouble mon favori, mais ce n’était vraiment pas un succès quand il est sorti, les gens ne sont pas allés le voir et ne l’aimaient pas tant que ça. Aucun de mes films n’a jamais dépassé Hairspray en terme de succès, avec la comédie musicale, le remake, les 15 000 versions différentes qui sont créés constamment….

Justement vous avez travaillé plusieurs fois avec Divine, certainement la drag queen la plus iconique de l’Histoire, et vous avez été juge dans « Ru Paul’s Drag Race », que vous mentionnez même dans le livre. Aujourd’hui aux États-Unis comme en France, les drag queens sont les cibles des mouvements d’extrême-droite et de lois limitant leurs libertés artistiques. Comment réagissez-vous à cela ?

Franchement ça ne m’étonne pas tant que ça que des gens soient contre les drag queens qui font des spectacles aux enfants. Elles devraient bien sûr, c’est super ! Mais ça ne me choque pas que certaines personnes s’y opposent. J’étais choqué d’apprendre qu’elles en avaient le droit (Rires) ! C’est génial qu’elles puissent le faire, c’est drôle. Et les enfants adorent les drag queens, c’est comme des clowns pour eux. C’est comme les trans, ça fait tellement peur aux gens, les républicains sont tellement effrayés. Mais bon, les républicains sont toujours comme ça. Ils devraient vraiment se calmer et aller voir des stylistes à la place, c’est urgent !

« Sale menteuse », de John Waters, Gaia, 256 p., 22,80€