3 questions à Su Wang, co-fondatrice de Sésame F, le premier collectif LGBT+ et féministe chinois

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« Je pense que quand on marche dans la rue, si on n'a pas la peau blanche, on nous remarque plus et nous devenons plus visibles. Mais cette visibilité est différente de la visibilité politique, c’est une visibilité physique qui est source de discriminations. »

Trois questions à Su Wang, fondatrice du premier collectif LGBT+ et féministe chinois
Trois questions à Su Wang, fondatrice du premier collectif LGBT+ et féministe chinois - Sésame F

Le Collectif Sésame F a été créé fin janvier 2019 et compte déjà presque une cinquantaine d’adhérent.e.s. L’idée de créer un groupe pour les femmes chinoises LGBT+ est venue aux trois co-fondatrices, Su Wang, Jingyu Tang et Mo après l’édition 2019 de la semaine LGBT+ chinoise. Su Wang avait organisé une animation dédiée aux femmes chinoises LGBT+ et a décidé de poursuivre l’aventure au-delà d’une semaine. Elle a expliqué à Komitid pourquoi ce projet lui tient à cœur.

Komitid : Pourquoi avoir créé un collectif spécifiquement pour les personnes LGBT+ et féministes chinoises ?

Su Wang : Déjà, parce qu’il n’y en avait pas en France. Aussi, parce que je travaille sur un projet de recherche, sur le parcours de vie des gays et des lesbiennes chinoises en Île-de-France. Je connais donc bien la communauté et j’ai envie de réagir, de faire changer les choses, par exemple sur les discriminations liées aux statuts sociaux, notamment celles liées aux couleurs de peaux. Il y a des discriminations même dans les relations intimes. Il y a aussi le problème de la langue, qui est majeur. Il y a des Chinois.es qui ne maîtrisent pas forcément très bien le français, et qui par exemple ne sont jamais allé.e.s dans un bar, qui n’ont pas d’amis français proches. C’est difficile pour ces personnes de profiter de la communauté LGBT+ non-chinoise à Paris. C’est un peu comme un monde parallèle. Parfois, j’ai l’impression que même si ils et elles résident en France, il y a plus de proximité avec les communautés chinoises que celles françaises.

« L’idée, c’est qu’avec le temps, on puisse croiser les points de vues, montrer des choses différentes »

Le Collectif Sésame F s’interroge : comment faire en sorte que les gens se mélangent et apprennent à se mieux connaître ? D’un côté, nous souhaitons sensibiliser les Français.e.s au racisme et aux discriminations rencontrées par les personnes LGBT+ chinoises, y compris par les enfants d’immigré.e.s. De l’autre, nous voudrions travailler à réduire les préjugés sur les Français ou les autres personnes racisées qu’ont certain.e.s Chinois.es. L’idée, c’est qu’avec le temps, on puisse croiser les points de vues, montrer des choses différentes. La France est un pays avec une forte immigration, il y a plusieurs générations de personnes issues d’endroits très différents, surtout à Paris. C’est l’occasion pour les Chinois.es qui vivent ici de découvrir des choses différentes de la Chine, et pour les Français.es de mieux connaître les personnes d’origines diverses qui vivent dans leur société.

Le Collectif Sésame F dit vouloir donner de la visibilité aux femmes et aux personnes LGBT+ chinoises. Pourquoi insister sur cette idée de visibilité ?

Quand on n’a pas de visibilité, ça veut dire qu’il n’y a personne. La revendication des droits passe avant tout par la visibilité. Ça vaut pour tous les immigrés et il y a aussi des spécificités chinoises. Par exemple, il y a des préjugés tels que les hommes asiatiques sont passifs, les femmes asiatiques sont timides et ne sortent pas. Il y a sûrement des personnes comme ça, mais il ne faut pas en faire une généralité. Je pense que quand on marche dans la rue, si on n’a pas la peau blanche, on nous remarque plus et nous devenons plus visibles. Mais cette visibilité est différente de la visibilité politique, c’est une visibilité physique qui est source de discriminations.

Quand je sors avec ma copine française, les gens vont généralement s’adresser à elle avant tout. Même si par exemple je réserve une chambre d’hôtel à mon nom, c’est à elle que l’on s’adresse. Les Chinois.es témoignent aussi de façon récurrente d’un manque de patience quand il s’agit de leur expliquer les choses. Certains préjugent que nous comprenons moins bien, ou que nous parlons moins bien le français qu’une personne typée « européenne ». Notre visage asiatique nous expose à un traitement différent, il nous rend invisibles dans la foule.

3 questions à Su Wang, co-fondatrice du collectif Sésame F

Un atelier organisé par le collectif Sésame F – Sésame F

C’est aussi pour cela que notre association appelle à la communication. Le Collectif Sésame F est basé sur des réseaux chinois, mais nous accueillons tout le monde et nous encourageons les hommes, les personnes transgenres et les Français à nous rejoindre pour communiquer avec nous. L’idée est de créer un espace d’échange sur les sujets LGBT+, le féminisme et le statut d’immigré. Nous encourageons la création et les nouvelles réflexions. Nous ne propageons pas un courant féministe particulier, ni une théorie du genre particulière. Selon nous, ces théories sont souvent basées sur l’expérience occidentale. Le féminisme, ce n’est pas que des théories, c’est un outil que nous utilisons comme prisme de réflexion sur les questions LGBT+ et la situation des immigrés. Ce n’est plus tolérable que les autres parlent pour nous sans nous écouter. Il est temps de prendre la parole, de se donner de la force, pour abattre ensemble les LGBTphobies et le racisme ! C’est pour cela que nous donnons la parole aussi aux personnes issues de l’immigration. Comme les spécificités du black feminism aux États-Unis, nous avons les nôtres et donc nos propres besoins et revendications.

Comment luttez-vous contre cette invisibilisation et cette mise à l’écart ?

Notre collectif utilise deux outils dans cet effort. Avant tout, nous brisons le premier mur : la langue. Nous faisons toujours tous nos événements au moins en deux langues, mais cela nous rajoute beaucoup de travail. Nous avons tout le temps besoin de traducteurs et de traductrices. Ainsi, nous proposons toujours les activités en français et en chinois, et parfois en anglais. Par exemple, pour les films, nous ajoutons des sous-titres. Et nous avons toujours un double sous-titre : chinois-anglais, chinois-français… C’est vraiment nécessaire, car il y beaucoup de personnes chinoises et asiatiques qui ne parlent pas bien français et ne peuvent pas profiter des évènements français. Et ce sont ces personnes qui sont les plus isolées. Pourtant, elles veulent bien aller vers les autres. Ce sont elles qui ont le plus besoin de moyens d’accéder aux communautés.

« Chaque communauté est confrontée à une homophobie différente et s’organise différemment »

Puis lors de nos animations culturelles, nous essayons de toujours proposer des regards croisés. Pendant notre évènement Tea Party à la Mutinerie, nous avons discuté des relations entre femmes, et entre personnes transgenres, autour d’un thé, moitié en français, moitié en chinois. D’autant que chaque communauté est confrontée à une homophobie différente et s’organise différemment. La construction du désir est aussi différente. Nous faisons aussi des soirées littéraires durant lesquelles nous introduisons des littératures LGBT+ ou féministes du monde entier. Nous essayons de toujours inviter des intervenant.e.s d’origines différentes, pour qu’il y ait un croisement des pensées.

Nous allons aussi souvent aux manifestations, comme pour la journée de la lutte pour les droits des femmes le 8 mars, ou encore la Marche des fiertés en banlieues, et nous serons à la Marche de Paris le 29 juin. Le Collectif Sésame F propose aussi des évènements moins politiques ou culturels, nous avons par exemple présenté la cuisine chinoise à la Nouvelle Rôtisserie et nous organisons des pique-niques ou des séances de jeux de société.