3 questions à Kis Keya, réalisatrice de la première websérie afroqueer francophone

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« On part du principe que tout ce qui est non-blanc n'est pas bankable. Des films comme “Black Panther”, ou “Les Figures de l'ombre” ont prouvé le contraire.»

Visuel de la websérie afroqueer Extranostro

Artiste belge d’origine haïtienne et congolaise, Kis Keya s’attaque au format websérie, après avoir réalisé trois moyens-métrages. Avec Extranostro, une série en cinq épisodes, elle veut donner aux jeunes Noir.e.s LGBT+ une occasion (rare) de se voir à l’écran.

Comment est né Extranostro ?

Kis Keya : À la base, je suis militante. Dans mon art, j’essaie d’aborder les discriminations, le sexisme, le racisme, l’homophobie. Je voulais travailler sur le problème de l’homophobie au sein des familles africaines ou noires plus généralement. J’ai donc écrit une base de long-métrage mais je me suis dit que le média de la web-série était intéressant, parce que il est plus facile de le rendre international, de le diffuser plus largement, de le faire voir à beaucoup de gens. Toutes les façons de traiter la question des discriminations sont importantes et se complètent. Avant de faire Extranostro, j’utilisais la fiction, car je pense que le documentaire ou le reportage de fond aident à connaître des sujets auprès d’un public déjà averti. Avec la fiction, on peut toucher un public plus large, parce que l’idée n’est pas de dénoncer des faits de société. Je trouve que la fiction permet de faire passer des messages, sans spécialement que ce soit évident au premier abord, par des sentiments, par des personnages. J’espère que la série sera regardée par le plus grand nombre. Je vise les jeunes et même les moins jeunes, qui ont besoin de visibilité. On a tous besoin de se voir à l’écran, de s’identifier. De l’autre côté, je vise aussi les familles et les proches qui pourraient avoir du mal à les comprendre.


Cette
première web-série vient pallier le manque de représentation des personnes noires LGBT+. Pourquoi les voit-on si peu dans la fiction ?

K.K. : Dans le cinéma, dans les médias, les personnages sont blancs. Vu que le sujet de l’homosexualité est délicat en Afrique, ce n’est pas là-bas qu’on va créer une série afroqueer. Quand on voit des séries LGBT européennes ou américaines, on a un rôle de Noir, qui va être une sorte de caricature, marrante, fofolle. L’idée en faisant une série afroqueer, c’est de ne pas avoir que des Noir.e.s à l’image, mais au moins de diversifier les personnages et de rendre cela plus en phase avec la vie réelle. Il y aura toutes sortes de personnages avec toutes sortes de tempéraments, des caractères différents, complexes, et aussi de l’humour.

Avec l’engouement autour d’Ouvrir la voix, le documentaire d’Amandine Gay, ou encore le succès de Moonlight, pensez-vous qu’il y a une lente prise de conscience du besoin de représenter les personnes LGBT+ racisées ?

K.K. : Le cinéma, c’est un business. Les investisseurs pensent par rapport aux rentrées d’argent. On part du principe que tout ce qui est non-blanc n’est pas bankable. Des films comme Black Panther, ou Les Figures de l’ombre ont prouvé le contraire. Alors peut-être que les investisseurs vont commencer à se dérider et qu’on ne va pas rentrer dans ce processus de producteur blanc qui produit des films blancs, de producteur noir qui produit des films noirs, ce qui est absurde. Aujourd’hui, les moyens se trouvent petit-à-petit. Moi par exemple, en tant que femme noire réalisatrice, je le vois bien, c’est très compliqué de trouver des boîtes de productions, des financements. Et quand on arrive avec un sujet aussi outsider que Extranostro, c’est encore plus difficile. Maintenant, on peut essayer de se débrouiller. Pour mon long métrage, ça prendra quelques années, mais pour la web série, avec internet, le crowdfunding, je peux me lancer. Je ne peux pas attendre qu’on vienne m’aider à le faire, les mentalités ne sont pas prêtes au niveau des gens qui ont du pouvoir. Mais au niveau des artistes, c’est là depuis un moment, et on a la possibilité de se débrouiller seul.e. Et effectivement, il y a aussi un public qui est là, qui est prêt pour ça… et qui attend.

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