« Je ne fais pas juste du visuel, il y a quelque chose de très politisé dans ce que je souhaite transmettre »

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Soa de Muse, drag queen finaliste de l'édition 2022 de Drag Race France, a fait un retour remarqué en Martinique. Pour Komitid, elle revient sur son parcours et sur le message d'espoir et de changement qu'elle porte dans une île encore trop marquée par les stigmates de l'homophobie.

portrait de soa de Muse en tenue de drag queen
Soa de Muse en tenue drag - photo Elois

Après cinq années d’absence, Soa de Muse, finaliste de l’édition 2022 de l’émission de téléréalité Drag Race France, a fait son grand retour en Martinique. Pour Soa, ce retour revêt une signification particulière puisque sa famille est originaire de la Martinique et qu’elle y a elle-même vécu de ses 15 à 20 ans. Artiste pluridisciplinaire, elle jongle avec aisance entre le chant, la danse, le dessin, le cabaret et la couture. De Trénelle-Citron en Martinique à Saint-Denis, son parcours est marqué par la résilience et la détermination, faisant d’elle une figure emblématique de l’expression artistique queer. Retour sur le parcours d’une battante, aussi obstinée que talentueuse, porteuse d’un message d’espoir et de changement pour une île encore trop marquée par les stigmates de l’homophobie.

Komitid : Soa de Muse, tu es née et a grandi en France hexagonale jusqu’à tes 15 ans avant d’emménager en Martinique avec tes parents qui en sont originaires. Peux-tu nous parler de cette période de ta vie ?

Soa de Muse : L’arrivée en Martinique d’une personne queer en pleine adolescence n’a pas été très simple, tu t’en doutes… J’ai été projetée dans un nouvel environnement globalement très hostile à l’homosexualité ou toute autre transgression à l’hétéronormativité, alors que j’étais en pleine construction de mon identité sociale, sexuelle et de genre. C’était une immersion dans une culture différente, avec une histoire et des dynamiques sociales qui m’étaient complétement inconnues donc forcément, l’intégration a pris du temps.

C’est au théâtre que j’ai trouvé un refuge, un moyen de m’exprimer et de trouver un équilibre. La Martinique m’a permis de me découvrir artistiquement. J’ai dû apprendre à m’imposer par mes propres moyens. Heureusement, j’ai eu le soutien de ma famille, qui a compris dès le départ les défis auxquels j’allais être confrontée sur l’île.

J’ai passé cinq années à Trénelle (ndlr : un quartier populaire de la ville de Fort-de-France), où se trouve notre maison familiale. Après avoir obtenu mon baccalauréat, je suis retournée en France hexagonale pour poursuivre mes études, officiellement. J’avais surtout besoin de me lancer artistiquement dans un environnement où rien ni personne ne pourrait me bloquer ou me ralentir.

Reviens-tu régulièrement en Martinique ? Que représente l’île pour toi ?

Cela faisait 5 ans que je n’étais pas revenue. J’ai été sollicitée par l’association de lutte contre l’homophobie, Kap Caraïbe, pour faire un drag show. Mon passage a été très bref, je ne suis restée qu’une semaine.

C’est étrange mais étant une personne ultra marine, j’ai le sentiment que mes racines sont partout. En Martinique, j’ai mes habitudes, des amis, ma famille, mais je me sens aussi chez moi à Saint-Denis, ou au Brésil. Je suis de plus en plus nomade et je suis convaincue que c’est lié à mon histoire : le métissage c’est la multiplicité des origines, on est enfant du monde dès la naissance.

Revenir en Martinique pour travailler, pour performer, comme je le fais depuis des années maintenant, c’est fermer une boucle et dire « en fait c’était possible, j’ai réussi. »

 

Après le drag show du 11 avril, tu as écrit sur ta page Instagram : « C’est mon adolescence que je commence à soigner », que veux-tu dire par là ?

Il y a 15 ans, je n’aurais jamais cru pouvoir faire un drag show à Fort-de-France un jour ! Adolescente, je dansais dans ma chambre comme un fou, je faisais déjà du lip sync et je rêvais de vivre de mes passions. Aujourd’hui c’est le cas. Revenir en Martinique pour travailler, pour performer, comme je le fais depuis des années maintenant, c’est fermer une boucle et dire « en fait c’était possible, j’ai réussi. » Et il faut le dire très fort à toute jeune personne queer, notamment sur l’île, qui souhaite se lancer artistiquement.

Quand as-tu commencé le drag et qu’est-ce que cela représente pour toi ?

A la base, je fais surtout du cabaret. C’est avec l’émission Drag Race France que je me suis lancée dans le drag. Je me définis comme une artiste pluridisciplinaire qui déconstruit les normes de genre. Ce n’était pas prémédité, c’est tout simplement comme ça que je performe. Le drag c’est un style de performance dans lequel je m’épanouis parmi une multitude d’autres genres artistiques. Pour moi, performer en tant que drag queen, c’est être à une intersection de savoirs artistiques : du jeu d’acteur à la danse, du chant au rire, des costumes insolites aux mises en scène audacieuses. Le drag incarne la liberté sous toutes ses formes.

Je ne fais pas juste du visuel, il y a quelque chose de très politisé dans ce que je souhaite transmettre

 

Il y a des personnes pour qui le personnage de drag queen est un véritable alter égo, très séparé de la vie quotidienne, comme un personnage de scène. Qu’en est-il pour toi ?

Pour moi, c’est une continuité de moi-même avec un peu plus de maquillage. Je porte des vêtements qui me plaisent, dans lesquels j’ai confiance en moi. Cela me permet de me sentir bien et d’affronter le regard de la société ainsi. Je me sens plus puissante sur scène que dans la vie de tous les jours.

Depuis peu, je réalise qu’il y a une forme de responsabilité immense vis-à-vis du public quand tu veux faire de la scène. Tu détiens un privilège quand les gens t’écoutent, il faut donc conscientiser ce que tu dégages, les messages que tu fais passer. Je ne fais pas juste du visuel, il y a quelque chose de très politisé dans ce que je souhaite transmettre. Ma couleur de peau est politique, mon genre est politique, ma sexualité est politique. Sur scène, j’écris une histoire autour de moi.

Quelle place ont tes origines antillaises dans celle-ci ?

La mythologie et l’énergie antillaise y sont omniprésentes, je ne le renie plus. J’essaye d’associer le cabaret et l’art martiniquais dans tout ce que je construis. La banlieue fait aussi partie de ma manière d’être.

Existe-t-il une culture drag en Martinique ?

Bien sûr ! Elle n’est visible qu’en février pendant le carnaval mais elle existe.  C’est au cours de ces trois jours de défilés que les hommes se libèrent de la pression sociale et du patriarcat en mettant des vêtements qui appartiennent à des femmes. Le reste de l’année c’est plus compliqué…

Le drag en Martinique est en pleine évolution mais cette transition doit se faire progressivement. Il faut multiplier les espaces de performance pour les baby drag et en avant toute ! On organisera ensuite un gros festival queer qui marquera les esprits.

On doit donner la possibilité à la communauté LGBT+, artistes et autres, ayant fui la Martinique de revenir sur le territoire

Souhaites-tu t’impliquer dans la sensibilisation aux questions LGBT+ sur ton île ?

En tant qu’artiste, je sens que j’ai un rôle à jouer en Martinique et qu’il faut que je fasse plus. C’est viscéral. Quand je suis rentrée chez moi après la soirée du 11 avril, je n’ai pas réussi à dormir, j’étais en ébullition ! Il faut créer des foyers artistiques où la diversité sera célébrée, où les personnes queer pourront s’épanouir sans crainte. On doit donner la possibilité à la communauté LGBT+, artistes et autres, ayant fui la Martinique de revenir sur le territoire. Il y a de l’espoir à créer pour les jeunes martiniquais qui n’y croient plus, leur dire qu’il est possible de créer plein de choses sur l’île ou ailleurs. Pendant mon show, j’ai rencontré des baby drag qui performaient le lendemain. Il y a des graines d’espoir partout !

 

Quels sont tes rêves pour l’avenir ? Souhaites-tu revenir en Martinique ou développer un projet similaire ici ?

Je ne veux pas m’installer en Martinique car je suis trop nomade. Par contre, je veux revenir plus régulièrement pour soutenir les jeunes artistes de l’île qui souhaitent évoluer. De retour à Paris, j’ai contacté mon réseau pour organiser un festival en Martinique. L’idée c’est de monter de plus en plus de spectacles, d’événements culturels pour déranger l’ordre actuel, encore trop marqué par les discriminations et les violences homophobes. Il faut lancer des initiatives qui vont prendre partout, en jouant avec l’énergie de la Martinique, sans chercher à la changer drastiquement d’un seul coup. Je souhaite faire partie de ceux qui y contribuent.

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