« Le travail de Tom of Finland, par son aspect rebelle et révolutionnaire, a une dimension politique »

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Philippe Cardot est administrateur du groupe Fetish Social Strasbourg. Il organise le 13 janvier à 14 heures une après-midi consacrée au grand artiste Tom of Finland. Entretien. 

Un timbre Tom of Finland
Un timbre Tom of Finland - Olga Popova / Shutterstock

Philippe Cardot est administrateur du groupe Fetish Social Strasbourg. Il organise le 13 janvier à 14 heures une après-midi consacrée au grand artiste Tom of Finland. Entretien.

Komitid : Vous consacrez le 13 janvier une après-midi à l’artiste Tom of Finland. En quoi cet artiste reste-t-il important, plus de trente ans après sa mort ?

Philippe Cardot : Ses œuvres se trouvent aujourd’hui dans les grandes collections internationales. Une exposition consacrée en 2023 à Tom of Finland par le Musée d’art contemporain d’Helsinki a attiré 180 000 visiteurs. On est venu de Rome et du Cap pour la visiter. Tom of Finland est aussi un symbole de la lutte contre l’intolérance, un messager, un pédagogue. Ne disait-il pas avec humour : « Je suis là pour éduquer les hétéros » ?
Touko Lakksonen, le vrai nom de Tom of Finland, a révolutionné l’image de l’homosexuel, longtemps cantonnée au stéréotype efféminé imposé par l’hétéronormativité. Virils et fiers, vêtus de jeans, de cuir ou d’uniformes, libérés des contraintes morales, ouvertement sexualisés et épanouis, pas exclusivement blancs de peau, les hommes représentés par Tom contribuent à modifier durablement le regard de la société – et des homosexuels eux-mêmes – sur l’homosexualité masculine. Il leur a permis de se réapproprier tous les symboles d’une forme de masculinité qui leur avait été déniés.
Aujourd’hui, la communauté cuir gay ne fait qu’une avec l’esthétique et les modèles Tom of Finland. Je prends l’exemple emblématique de Tom of France, élu Mr Leather France 2022 : il affiche le cuir de la tête aux pieds, la moustache, le cigare, les muscles saillants et la posture virile.
L’esthétique des Tom’s Men a traversé le temps depuis les années 1960. Elle se retrouve dans la culture populaire, par influence mais aussi par la volonté assumée de la Fondation Tom of Finland, installée à Los Angeles, de transmettre au plus grand nombre l’iconographie de l’artiste : Jean-Paul Gaultier et ses marins, Tom Ford et son « porno chic » de l’époque Gucci, le groupe Frankie Goes to Hollywood et son clip Relax resté dans les annales, Mr Slave dans la série d’animation South Park, une émoticône TOM moustachue et casquettée. Je pense également au cinéma, grâce à Cruising de William Friedkin, avec Al Pacino dans le rôle principal, sorti en 1980. Je pense au film biographique Tom of Finland de Dome Karukoski, présenté en 2017, résultant d’une coproduction entre l’Allemagne, le Danemark, la Suède et la Finlande. Je pense bien sûr à divers objets dont des timbres-poste finlandais, le linge de maison Finlayson, la vodka portant le nom de Tom of Finland, le parfum État libre d’Orange Tom of Finland. Il serait difficile de lister l’ensemble des références directes ou indirectes, dans tous les domaines, reprenant le travail créatif et l’énergie de Tom of Finland.
Bien au-delà de cette esthétique particulière et emblématique, son travail est aussi et surtout le vecteur d’une sensualité/sexualité assumée, libérée des contraintes morales, exprimée de manière directe, dans la tolérance et la joie.
Quasi-archétypales, les figures de Tom of Finland nous invitent à un rapport au corps, à la sexualité, à la Vie et à l’Autre qui continue d’inspirer individuellement au-delà de la stricte communauté gay cuir, fetish ou queer. Chacun peut se sentir concerné quel que soit son genre, son rapport à la sexualité. Le travail de Tom of Finland, par son aspect rebelle et révolutionnaire, a une dimension politique. Il impulse une dimension subversive et revendicative en lien direct avec les luttes pour les droits civiques LGBT+ et antiracistes, entre autres.
À une époque où se dressent les communautarismes de tous poils, dans des formes d’opposition parfois violentes, stigmatisantes, excluantes, l’esprit de Tom of Finland nous rappelle l’importance de se recentrer sur des valeurs humanistes, célébrant le libre-arbitre, l’auto-détermination, la joie d’assumer pleinement qui l’on est, dans toutes ses dimensions d’être humain. Avec force, respect et amour. Tom n’a-t-il pas dit : « Mes dessins s’adressent surtout aux hommes opprimés, incompris, qui pensent avoir raté leur vie. Je veux les encourager. Je veux encourager cette minorité. Je veux leur dire d’être forts. Je leur dis d’être fiers de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont. » Quelle leçon de vie !
Ce que nous faisons aujourd’hui à Strasbourg est très nouveau. Cette ville a vécu, jusqu’à une date récente, en affichant une méfiance rigide à l’égard des formes de sexualité non normatives. On l’a vu, au milieu des années 1990, dans l’attitude de ses autorités religieuses catholiques à l’égard des actions d’Act Up Alsace. De même qu’une exposition sur les années sida se déroulant jusqu’à début février au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg dénote un important changement de braquet dans la vie locale. Le week-end du Fetish Social Strasbourg – se tenant du 12 au 14 janvier – relève aussi de l’innovation.

Durk Dehner, président et co-fondateur de la Tom of Finland Foundation interviendra durant une vidéo-conférence. La Fondation aide beaucoup d’artistes. A-t-elle évolué pour soutenir aussi des artistes lesbiennes, bi.es,  trans et queer ?

Dès sa création en 1984 par Durk Dehner et Tom, la fondation s’est rapidement consacrée à la fois à préserver le travail de Tom of Finland mais aussi à promouvoir de manière plus large l’art érotique queer, sous toutes ses formes. Elle encourage, soutient, promeut le travail d’artistes quels que soient leur race, couleur, origine nationale, croyance, religion, sexe, identité sexuelle, identité de genre, situation matrimoniale, handicap physique ou mental, état de santé, âge, comme les moyens d’expression qu’ils utilisent.
Au fil des années, la Fondation a développé son action à travers différents supports en promouvant et en vendant des œuvres d’artistes. La Tom House de Los Angeles accueille la collection permanente des travaux de son fondateur et des artistes en résidence. Des évènements, dont le festival annuel Art et Culture, s’y déroulent. Le Prix annuel de la Fondation récompense des personnes qui ont démontré leur engagement envers la communauté. Ce fut le cas de Pierre Davis, la première designer trans de la Fashion Week de NYC en 2019. En 2022, la fondation a récompensé Violet Chachki, gagnante de la septième saison de « RuPaul’s Drag Race ». La Fondation organise aussi un concours d’artistes émergents, réservé aux non-professionnels. Sa bibliothèque en ligne possède plus de 100 000 images et documents, dont 3500 de Tom of Finland lui-même. La Fondation a travaillé de manière étroite avec le Musée d’art contemporain d’Helsinki pour préparer la fameuse exposition de 2023 dans la capitale finlandaise.
Même si le champ d’action de la fondation reste centré sur l’art et la culture queer, elle touche un public dépassant de loin les frontières de genre, de sexe, d’orientation sexuelle, de fétichisme. La fondation est très ouverte. Elle soutient notamment des concours de photo, au travers de la marque de vodka. Un regard sur son site internet atteste de cette ouverture. La question queer est évidemment beaucoup plus présente aujourd’hui qu’à l’époque de la naissance de la Fondation. Il s’agit d’un phénomène de génération. Aujourd’hui, Tom of Finland aurait 104 ans.

Qui sont aujourd’hui les admirateurs (pour reprendre l’intitulé de votre évènement) de Tom of Finland ?

Nous avons, à Strasbourg, un précurseur septuagénaire. Il se promenait déjà en tenue Tom of Finland dans les rues de cette ville voici près de quatre décennies. S’exerçant sur des anonymes, des fétichistes du cuir, des écrivains, des cinéastes ou des musiciens, l’influence de Tom of Finland est transgénérationnelle. Elle traverse tous les courants de la société. La manifestation du 13 janvier à Strasbourg mettra l’accent plus spécifiquement sur deux artistes qui s’inspirent ouvertement du travail de Tom of Finland. Ils appartiennent à des générations différentes. Logan, dessinateur homoérotique, a une trentaine d’années. Paul Fraser est cinquantenaire. Au cours de l’après-midi du 13 janvier, chaque artiste présentera ses propres œuvres. L’importance de Tom of Finland est aujourd’hui telle que les savants s’intéressent à lui. L’après-midi sera soutenue par l’Université de Strasbourg, dont Mathieu Schneider – son vice-président à la culture – appuie « très fortement » la réalisation. L’un des orateurs sera l’écrivain Philippe Olivier, par ailleurs docteur en histoire contemporaine.

« Une après-midi Tom of Finland », le 13 janvier à partir de 14h30, à la Maison des associations, 1a, place des Orphelins, à Strasbourg (entrée libre)

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