3 questions à Lina, militante queer et musulmane

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Pourquoi les gens ont-ils et elles tant de mal à imaginer des identités LGBT+ et musulmanes cumulées ? Lina, militante féministe, queer, anti-raciste et décoloniale répond à cette interrogation.

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Tag califat queer à l'université Paris 8 - Nathyfa

Lina, étudiante en Master 2 de sciences politiques à Paris 8 est militante dans deux collectifs de son université (NRJKIR, groupe féministe et queer non-mixte et NMXR, groupe racisé non-mixte), ainsi que chez Lallab, association féministe musulmane. Pour Komitid, elle revient sur son expérience des milieux LGBT+, et l’islamophobie qui y demeure encore très présente.

Les gens semblent avoir du mal à imaginer que des gens puissent cumuler une identité queer et musulmane. Pourquoi ?

Comment c’est possible d’allier ces deux identités ? Ben déjà : j’existe. Par exemple.

Il n’y a pas de théories à élaborer sur ce sujet, ces vécus sont bien réels. Les gens ont du mal à se l’imaginer aussi bien du côté des blancs que du côté des musulman.e.s. Moi, mon explication est la suivante : on a trop longtemps entretenu, et on continue encore d’entretenir, un discours islamophobe et homo-nationaliste qui voudrait que les musulmans soient tous des homophobes, des sexistes, des brutes… Et ce, avec tous les fantasmes coloniaux qu’il y a derrière les garçons arabes violents et les femmes arabes soumises. Je recommande de consulter les travaux de Nacira Guénif à ce sujet. Donc ces idées sont bien ancrées dans la culture dominante et dans les médias français. On retrouve ça à la fois dans les politiques de l’État, les discours véhiculés par les institutions culturelles et éducatives… tout l’appareil étatique avance sur cette même lignée. Du côté musulman, selon moi, c’est aussi l’homo-nationalisme blanc qui entretient chez les personnes musulmanes l’idée que ces deux identités ne sont pas compatibles, car on nous a trop souvent fait croire qu’être queer est « un truc de blanc ». Ce que nous on pourrait voir comme quelque chose de progressiste est du coup perçu comme une occidentalisation forcée des populations ex-colonisées.

Comment s’exprime l’islamophobie dans les milieux LGBT+ ?

Déjà, par le fait que cette communauté ne s’oppose pas au discours dominant islamophobe et homo-nationaliste. On n’y trouve pas vraiment de discours discordant, de contestation vis-à-vis du discours blanc dominant. De manière plus concrète, ça s’exprime par l’exclusion des queers musulman.e.s, ou des pratiques qui poussent à l’exclusion des cercles militants et récréatifs des milieux LGBT+ blancs. On le retrouve dans des discours exagérés de compassion vis-à-vis de nos familles et la pression que l’on nous met au coming out, comme une injonction. On nous donne l’impression qu’il faut qu’on choisisse entre notre islam et notre identité sexuelle, notre queerness. On nous pousse à croire que c’est incompatible, par le discours entretenu à notre égard et dans les interactions avec le milieu.

Je conseille à tout le monde la lecture de l’article de Najwa Ouguerram-Magot sur GLAD quant à l’invisibilisation des personnes queer non-blanches.

Quel message donneriez-vous à vos camarades queers et musulman.e.s ?

Vous n’êtes pas seul.e.s. Notre communauté existe et on est beaucoup plus nombreux.ses que l’on croit. Il est urgent que l’on s’organise et que l’on se regroupe en non-mixité pour savoir quelle place on doit s’approprier, se réapproprier, dans la société.

Il faut aussi que l’on se tourne vers les organisations qui existent déjà, que l’on se soutienne entre nous. Typiquement, les queers palestinien.ne.s sont à mes yeux les plus badass de tous.tes. Ces personnes se trouvent à l’intersection de plus d’oppressions qu’on ne peut l’imaginer. Leur identité est instrumentalisée par l’État colonial d’Israël à travers sa politique de pinkwashing, ce qui rend encore plus difficile leur existence au sein de leur propre communauté. Exister en tant que queer est déjà suffisamment compliqué sans qu’on ait besoin de lutter contre le colonisateur. Il ne faut pas oublier que tous les queers musulman.e.s ne sont pas nécessairement arabes, attention à ne pas tomber dans l’essentialisation des queers musulman.e.s comme arabes et donc reproduire des schémas d’invisibilisation des communautés musulmanes non-arabes.

Il existe déjà des groupes en non-mixité, ou mixtes, comme les Queers & Trans Révolutionnaires contre le racisme et le néo-colonialismeQitoko, Queerasse, LOCs, Massimadi en Belgique, le Collectif Aswat, Al-Qaws… Mais il faut que l’on continue de produire, par et pour nous-mêmes, de la matière, du savoir, des films, des podcasts, des livres, des ressources ! Cela fera notre richesse et notre force et aussi celle des générations à venir.