« C’est pas un problème que tu sois queer en province, tant que ça ne se voit pas ! »

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Issu d'une famille proche de La Manif pour tous, Jean-Baptiste est militant LGBT+ sur Twitter mais aussi au Centre LGBTI de Normandie et au Planning Familial du Calvados. Rencontre.

Photo d'une soirée « Drama Queer » à Caen
Photo d'une soirée « Drama Queer » à Caen - Drama Queer

JB est « pédé, militant, bénévole et pion, pour remplir le frigo ». Issu de la vieille aristocratie de campagne, à Caen, il a puisé la force de son engagement lors des manifs de La Manif pour tous, face à une famille qui en était. D’abord très actif sur le Twitter queer et féministe, il est à présent engagé au Planning Familial du Calvados et au Centre LGBTI de Normandie. Il est aussi co-organisateur de soirées « Drama Queer » dans sa ville. Ce jeune militant tout-terrain nous raconte son parcours, et son quotidien militant, non loin de la Manche.

J’ai commencé à militer au moment du mouvement réactionnaire de La Manif pour tous, fin 2012. Je ne supportais plus d’avoir à esquiver les questions de ma famille qui ne comprenait pas pourquoi ces manifs auxquelles elle participait me blessaient autant. J’ai pris la colère que j’avais en moi et me suis engagé dans l’asso LGBT étudiante de ma fac. Puis il y a eu Twitter, qui a été pour moi un lieu de ressources et d’informations formidable. J’ai eu le sentiment d’y gagner des années d’apprentissage, de réflexions militantes. Les manifs, elles, m’ont apporté une concrétisation physique et collective de mes objectifs militants. Je suis passé d’un militantisme solitaire à un militantisme collectif, où la charge mentale et morale de la lutte était partagée. Aujourd’hui, je suis aussi bénévole au Centre LGBTI de Normandie et au Planning Familial, qui m’emploie par intermittence.

Avec le CLGBTI, je participe à la représentativité des personnes LGBTI dans l’espace public, j’aide à l’organisation de manifs, comme la Marche des Fiertés de Caen. Je prends aussi part à des débats publics autours de films, pour porter dans les médias nos revendications de justice sociale. Je m’associe également à la lutte contre l’isolement et à l’accompagnement des personnes queer, sur des questions tant sociales que juridiques ou de santé. Au Planning, j’anime aussi des formations pour apprendre à reconnaître, décortiquer, répondre et lutter contre les discriminations liées aux genre, à la sexualité, ou les deux. J’analyse, avec des pros de l’éducation ou du monde médico-social, l’impact de la masculinité hégémonique, de l’hétérosexisme dans la vie de leurs publics, notamment dans leur sexualité. Il m’arrive d’animer des formations en établissements scolaires, par exemple, ou des accueils et de suivi sur les questions de contraception, d’accès à l’IVG, de rapport au corps, au couple… Je participe aussi à un programme d’accompagnement social et de prévention en santé sexuelle des travailleuses et travailleurs du sexe.

Comme pour les femmes et les personnes racisé.e.s, nos luttes sont perçues comme un combat de second plan

Ayant quasi exclusivement vécu en dehors de Paris je ne peux que comparer ce que je vois quand je m’y rends avec ce que je vis à Caen, qui n’est pas un territoire plus représentatif que Paris de ce qu’il se passe partout en France. Sans pour autant dire que tout va bien en région parisienne, l’existence de lieux pour se retrouver diminue vraiment le sentiment de solitude. Là où j’ai le sentiment de pouvoir disparaître dans la foule à Paris, j’ai l’impression de m’exposer, d’être vulnérable et stigmatisé sur Caen. À chaque fois que je me rends sur Paris, je prends conscience de m’être habitué à avoir peur et honte d’occuper l’espace public. J’ai toujours ce fort sentiment de ne pas y être à ma place.

En gros, j’ai l’impression qu’on me dit « C’est pas un problème que tu sois queer en province, tant que ça ne se voit pas !  ». De plus, ma ville a été un bastion de La Manif pour tous, ce qui a créé pour nous, un climat de méfiance par rapport au reste de la société. Mais il n’y a pas que les mouvements réactionnaires, affiliés ou proches de la droite parlementaire qui nous renvoient cette impression pesante. Il y a celles et ceux qu’on dérange en silence et qui se joignent aux réacs’ quand on est trop visibles ou qu’on demande à être pris.e.s en compte dans les débats. Comme pour les femmes et les personnes racisé.e.s, nos luttes sont perçues comme un combat de second plan, dont on s’occupe après, et ça, quand on est tout bonnement pas considéré.e.s comme une diversion des « vrais combats ».

Les Prides locales représentent (…) le seul temps d’occupation de zones qui nous sont encore globalement hostiles

Nos grands enjeux sociaux et politiques se jouent pas ailleurs qu’à Paris, ce qui nourrit un sentiment d’impuissance face à nos difficultés. Les grandes questions nationales dépassent nos moyens et revendications locales et semblent de toute façon être décidées sans nous. Là où sont souvent défendues des questions assez poussées sur la scène parisienne, nous en sommes encore à lutter pour plus de visibilité dans l’espace public. C’est pour ça que nos Prides locales sont importantes : elles représentent pour beaucoup le seul temps d’occupation de zones qui nous sont encore globalement hostiles. Les difficultés qu’on ressent à exister ne tiennent pas tant aux propos LGBTIphobes, qu’à un refus global de prise en compte de notre existence.

Les soirées « Drama Queer » organisées avec les potes et camarades sont une des réponses à tout ça. C’est à la fois un moyen de se réapproprier des espaces qui ne nous sont pas destinés, une façon de se détendre et de lutter contre l’isolement sur la place caennaise, dans un climat de lutte constante. On avait surtout envie de faire la fête, et tant qu’à faire, la faire sans se faire emmerder. Avec les autres co-orgas, on ne savait pas où ni quand, puisqu’il n’y avait rien pour nous, alors on a décidé d’organiser nous-mêmes ces soirées queer qui nous manquaient.

Nous n’avons pas à justifier notre droit d’exister !

Militer, disons-le franchement, c’est chronophage et énergivore, mais ça vaut vraiment le coup. Mon conseil à celles et ceux qui voudraient mettre les mains à la pâte ? Ne restez pas seul.e.s. Essayez de trouver des personnes avec qui vous pouvez verbaliser vos craintes, vos peurs, vos joies. Vous allez être confronté.e.s à autant de propos et des situations angoissantes et violentes qu’à des moments intenses de pur bonheur. Et probablement un paquet d’autres moments improbables qui vous donneront envie de rire. Et n’oubliez pas : nous n’avons pas à justifier notre droit d’exister !

Pour autant, prenez garde à ne pas vous oublier. C’est vraiment important de se ressourcer, car nos combats sont de plus en plus longs et éreintants. Si on veut pouvoir tenir en continuant de lutter, il faut savoir prendre soin de soi. Et ce, que ce soit par le biais de temps festifs, ou de repos. Trouver son processus de self-care est très important : personnellement, je lâche prise en jouant à Donjons & Dragons avec mon coloc’ et mes potes. D’ailleurs je crois fermement que le care peut, et devrait, aussi être collectif. En prenant soin des autres, en allant chercher chez elles et eux ce que l’on n’arrive pas à se donner soi-même ou en leur donnant ce qu’ils et elles ne se donnent pas.

Propos recueillis par Olga Volfson.