« Militer pour les droits LGBT+ loin de Varsovie nous pousse à penser les choses différemment »

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Miko Czerwinski milite pour les droits des personnes LGBT+ à Cracovie. Il dresse un état des lieux du militantisme queer en Pologne, loin de sa capitale, Varsovie.

Miko Czerwinski lors de la « Queerovy Maj » en 2015 à Cracovie
Miko Czerwinski lors de la « Queerovy Maj » en 2015 à Cracovie - Queerovy Maj

Le Polonais Miko Czerwinski, 27 ans, est un militant gay, non-binaire et bien sûr féministe. Né dans une petite ville au bord de la mer Baltique, il est désormais installé à Cracovie, au sud du pays, à 4 heures et demi de route de Varsovie. Il nous raconte son parcours militant en Pologne, nation ballottée entre un véritable élan communautaire de solidarité, d’entraide et de visibilité LGBT+, des traditions catholiques très rigides et la montée inquiétante de l’extrême droite. 

J’ai fait mes premiers pas dans l’activisme LGBT+ en 2011. J’avais déjà été membre actif d’associations avant ça, mais je voulais vraiment faire de mon énergie quelque chose de concret pour ma communauté, que j’ai toujours senti très discriminée et terriblement peu représentée. Un sentiment général que confirment hélas bien des rapports et des études sur les LGBTphobies, je ne vous apprends sans doute rien à ce sujet.

Sept ans plus tard, me voilà activiste très impliqué chez Queerowy Maj (« Mai Queer »), asso LGBT+ de Cracovie qui se positionne sur les questions queers et féministes, et organise la Marche de l’Égalité de la ville, « Marsz Równości », équivalent de la Marche des Fiertés. Mais pas que.

Pour notre « Festiwal Queerowy Maj », le plus gros festival LGBT+ de Pologne, nous essayons autant que faire se peut d’inclure les questions de handicap, d’âge et de rapport au corps autour du mouvement body positive, par exemple. Nous essayons aussi d’inscrire dans nos actions les problématiques relatives aux personnes intersexes et non-binaires, souvent moins visibles au sein des luttes LGBT+. Là, je suis en train de plancher sur la meilleure manière de prendre en compte les gens de plus petites villes et des villages, car le militantisme LGBT+ a tendance à ignorer ces groupes déjà très isolés.

Militer pour les droits LGBT+ en dehors de Varsovie nous pousse à penser les choses différemment. Dans une grande ville, vous pouvez passer relativement inaperçu et être plutôt en sécurité. Dans la capitale, il y a plus d’opportunités pour faire du lobbying et avoir de la visibilité queer dans les médias, sans parler de l’accès aux aides financières. Donc l’activisme à des centaines de kilomètres de là est vraiment tourné vers l’animation d’une communauté : aider nos frères et sœurs à se sentir en sécurité, et heureuses.

Nous organisons donc de nombreux événements communautaires, pour créer du lien, et des ateliers d’éducation populaire pour partager nos savoirs et nos ressources. Récemment, nous avons aussi lancé un groupe de parole, et nous développons un programme de santé sur les questions de prévention, mais aussi de ressources spécifiques pour les personnes trans et intersexes. Le souci, c’est qu’une grande partie de la communauté LGBT+ est assez conservatrice, à l’image de la société polonaise dans son ensemble, puisque notre pays est très ancré dans ses croyances catholiques. Lorsque nous avons commencé à parler de sexualité, dans une dynamique sex-positive, nous avons reçu beaucoup de critiques au cœur même de nos cercles. Et en même temps, les plus jeunes chatons queers qui débarquent actuellement dans nos assos, manifs et rassemblements me semblent plus courageux, et plus fiers. Cette nouvelle génération me donne beaucoup d’espoir pour l’avenir.

Et de l’espoir, on en a bien besoin. Droits reproductifs, liberté de se rassembler, garantie d’une justice impartiale… Nos droits ont été constamment remis en question ces dernières années. Les néo-nazis que vous voyez parfois faire la Une des journaux ne sont pas seulement dans la rue pour les manifestations, ils ont aussi leurs représentants au Parlement ! Nous devons rester très vigilant.e.s pour être au fait de ce qu’il advient de nos droits, et dans une certaine mesure, nous vivons dans une peur constante de l’avenir.

Ceci dit, on constate que la société polonaise reste plutôt divisée. La banalisation des actes et propos homophobes et transphobes dans la rue et les médias est indéniable, mais en parallèle, nous avons gagné beaucoup de soutiens qui veulent faire de la Pologne un pays plus démocratique, plus ouvert et plus divers. Leur aide est précieuse, car toute la violence qui s’exprime ici envers les LGBT+ dissuade bien des personnes concernées de s’impliquer personnellement dans la lutte.

Mon message à nos camarades LGBT+ de France et d’ailleurs ? Ne nous oubliez pas. Surtout en ces temps difficiles où nous manquons cruellement d’appuis institutionnels et de subventions pour pouvoir agir. Nous avons besoin de votre soutien.

La Pologne est aussi arc-en-ciel que n’importe quel autre pays du monde, n’en déplaise aux réacs qui essaient de nous faire taire ! Beaucoup de militants et de militantes auraient pu partir là où l’herbe est plus verte, mais ont décidé de rester pour changer la donne. Je suis fier de mener ces batailles égalitaires à leurs côtés.

Nous voulons que notre jeunesse, et pas que celle des grandes villes du pays, ait une vie meilleure. La société polonaise peut être bienveillante et accueillante, nous avons juste besoin de faire tomber un mur de plus : celui dressé devant nous par les stéréotypes ignorants qui se sont installés durant ces trois dernières décennies.

 

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Olga Volfson.