Pénalisation des clients de la prostitution : deux ans ferme pour les travailleurs et travailleuses du sexe

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Le 13 avril 2016, la loi de pénalisation des clients de la prostitution était adoptée. Deux ans plus tard, travailleurs et travailleuses du sexe déplorent une précarisation et des violences, sur lesquelles elles et ils n’avaient pas manqué de prévenir en amont du vote de cette mesure. Enquête.

Manifestation contre la pénalisation des clients de la prostitution en avril 2017 - Olga Volfson
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En avril dernier, à l'occasion du second anniversaire de la loi de pénalisation des clients de la prostitution, qui a aussi marqué la fin du délit de racolage instauré par Nicolas Sarkozy en 2013, les 62 associations du collectif Abolition 2012, saluaient « un essai à transformer ». Le Mouvement du Nid, l’Amicale du Nid, Osez le Féminisme et autres organisations membres vantaient alors les mérites d’une mesure que d’autres pays nous « envient ». Dans les médias, les discours des organisations abolitionnistes sont optimistes. Avec un relais médiatique bien moindre, les syndicats et assos de travailleuses et travailleurs de sexe (TDS), elles, déplorent les effets négatifs de cette loi sur les premièr.e.s concerné.e.s, qu’elles n’avaient eu de cesse de dénoncer avant l’adoption du texte de loi.

Précarisation, contaminations et violences : un scénario catastrophe qui se réalise

Pour Robin, acteur de santé communautaire dans la lutte contre le VIH et ancien travailleur du sexe résidant à Toulouse, le constat est simple : « Cette loi n’a absolument pas pris en compte l’avis des premier.e.s concerné.e.s, donc c’était un échec annoncé depuis le début. C’est pour ça que de nombreuses assos comme le Strass, Aides, Act Up et bien d’autres ne cessent de répéter que cette loi pénalise en fait bien plus les TDS que leur clientèle ».

« Allongement du temps de travail, négociation des tarifs et de l’usage du préservatif, création d’un climat de concurrence entre TDS, augmentation du harcèlement des policiers qui suivent les TDS sur leur lieu de travail pour interpeller les clients en flagrant délit, éloignement des TDS vers des zones non-riveraines les exposant aux agressions et aux vols, mobilité forcée pour trouver des clients forçant certain.e.s TDS séropos à interrompre le traitement durant plusieurs mois (et donc augmenter la charge virale)… » Telle est l’inquiétante liste de conséquences négatives que dresse June Charlot, de l’association toulousaine Grisélidis.

« On est amené.e.s à dire oui à des personnes que l’on n'aurait pas acceptées auparavant »

Ce sont principalement les personnes qui se prostituent dans la rue qui sont impactées par la loi de pénalisation des clients. Mais la raréfaction des clients, l’amoindrissement des revenus et le rapport de force bénéfique à la négociation des prix et pratiques à risque, elle, touche également les TDS en appartement. Axelle de Sade, membre du Strass, syndicat autogéré des TDS, confie : « On est amené.e.s à dire oui à des personnes que l’on n'aurait pas acceptées auparavant, car la loi a eu un effet dissuasif pour les clients qui ont une situation établie et dont la poursuite pour consommation de services sexuels pourrait ruiner ou carrière ou vie de famille. Certains clients ont disparu, ou préfèrent aller à l'étranger ».

Le fort pouvoir de négociation des clients face à des travailleurs et travailleuses du sexe qui voient leurs revenus baisser depuis la loi de pénalisation des clients présente un risque réel pour la transmission du VIH et d’autres IST. Déjà, à la fin de l’été 2017, l’association Acceptess Transgenres signalait une augmentation des contaminations parmi les TDS avec lesquel.le.s elle est en contact. Un retour qui semble étonnant pour le Mouvement du Nid. «c'est un petit peu surprenant d'entendre que, deux ans après cette loi, il y a des chiffres sur l'utilisation du préservatif. Ça fait plusieurs décennies qu'on rencontre des personnes qui se prostituent et la question du préservatif est problématique tout le temps », commente Sandrine Goldschmidt, chargée de communication de l'association. « Cette loi est du côté des personnes. Au moins, maintenant, plus elles la connaîtront, plus elles seront en mesure de savoir qu'elle est de leur côté. Elles pourront dire "je vous dénonce si vous ne voulez pas mettre de préservatif" ».

« Il y a une multiplication des demandes qu'on n'aurait pas acceptées auparavant, du type relations non protégées », poursuit Axelle, « Ce qu'on a aussi pu constater, c'est que sur les annonces, les mentions type « le seul objet de valeur dans cet appartement c'est moi, ne venez pas chercher mes fonds » se sont développées. Ce qui laisse présager qu'il y a plus de d'incidents en appartement. C'est très problématique ! ».

Pour ce retour de terrain, le Mouvement du Nid a une explication très simple. D’après Sandrine Goldschmidt : « Les témoignages qui font état de plus de pression et de violences, c'est aussi parce qu'aujourd'hui, c'est possible de le dire, d'en parler. Avant, ce n'était pas le cas, mais ces violences sont là depuis toujours ».

Un nettoyage des rues en marche ?

Dans un communiqué de presse, le collectif Abolition 2012 relaye les chiffres officiels de la préfecture de police : « Plus aucune personne prostituée n’a été arrêtée pour délit de racolage après le 13 avril 2016 et plus de 2000 clients prostitueurs ont déjà été arrêtés ». Mais les arrestations de TDS n’ont pas cessé pour autant, explique Thierry Schaffauser, travailleur du sexe, coordinateur de la Fédération Parapluie Rouge et co-fondateur du Strass. « Il y a eu des erreurs et on est encore arrêté.e.s sur d'autres motifs, notamment en raison de certains arrêtés municipaux. Mais pas que : les questions migratoires elles aussi rentrent énormément en jeu, mais le "travail dissimulé", l'outrage ou la rébellion sont encore invoqués. Nous avons lutté pendant des années contre le délit de racolage, qui aurait pu être levé bien plus tôt, dès 2013, avec la proposition d’Esther Benbassa... Mais il y a eu toute une campagne des abolitionnistes pour faire en sorte que cette mesure ne soit pas séparée de la loi de pénalisation des clients, trois ans de plus, pour s’assurer que ça passe mieux ! C'est très manipulateur de s'attribuer cette avancée ».

« C'est très manipulateur de s'attribuer cette avancée »

« Chez Grisélidis, nous suivons une personne qui habite dans une rue où s'exerce l’arrêté municipal anti-prostitution et qui travaille dans une rue où cette interdiction est levée », explique June Charlot. « Elle sort habillée pour aller sur son lieu de travail, les flics la connaissent et savent qu'elle ne travaille pas là, mais elle va quand même se prendre une amende. Leur réponse ? "Si t'es pas contente, t'as qu'à prendre un taxi" ». Mais là où le zèle policier se fait plus particulièrement sentir, c’est auprès des migrant.e.s. Pour Robin « Les rafles dans le bois de Boulogne attestent d’un climat très particulier, celui instauré par la loi asile-immigration. Le contexte est finalement encore plus xénophobe que putophobe dans ce cas-là, les contrôles aux faciès sont légitimés. »

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