Tal Madesta : « La visibilité des personnes trans se fait beaucoup sans elles »

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Le journaliste trans féministe Tal Madesta s'est entretenu avec Komitid sur un des événements majeurs du Festival des Fiertés, consacré aux questions trans le 18 novembre et intitulé « Transidentités : tous·tes ensemble contre la transphobie ».

Tal Madesta - credit photo Adeline Rapon
Tal Madesta - credit photo Adeline Rapon

Le journaliste trans féministe et auteur de plusieurs ouvrages Tal Madesta s’est entretenu avec Komitid sur un des événements majeurs du Festival des Fiertés. Le 18 novembre, à partir de 15h30, la Mairie du 14e propose une série de rencontres pour s’informer et lutter contre la transphobie.

Ces derniers mois, en France, plusieurs médias conservateurs ont entrepris un travail de sape contre les droits des personnes trans, contre leur visibilité même.

Cette journée spéciale débute par une conférence « gesticulée et interactive », organisée par l’association OUTranspour donner des outils concrets pour bien accueillir les personnes trans.

Puis dans un village associatif, vous pourrez aller à la rencontre de plusieurs associations : Espace Santé Trans, Fransgenre, Toutes des Femmes, OUTrans et L’École des Voix Trans.

Tal Madesta, lui, va animer à 18h00 la table-ronde consacrée à la place des personnes trans dans les milieux sportifs, avant une représentation de la Queerale, la chorale queer et trans parisienne.

Komitid : En quoi c’est important pour vous cette visibilité des questions trans ?

Tal Madesta : La visibilité est une notion qui peut être compliquée à appréhender parce que les personnes trans n’ont jamais été aussi visibles et pour autant elles n’ont jamais été plus violentées qu’actuellement. Ça dépend de comment on met en œuvre cette visibilité. En l’occurrence, la visibilité des personnes trans se fait beaucoup sans elles. On voit une multiplication de documentaires anti-trans, de lobbying anti-trans, de tribunes anti-trans dans la presse, d’émissions un peu sensationnalistes qui suivent des parcours sans interroger les personnes concernées. C’est important quand il y a des événements qui sont pensés par, pour et avec les personnes concernées parce que ça permet de mettre en avant une expertise spécifique et d’avoir des témoignages beaucoup plus proches de la réalité de ce que c’est un parcours de transition en France aujourd’hui. En dehors de toutes les paniques morales et de tous les fantasmes du tryptique Figaro, Valeurs Actuelles, Marianne.

« Pour lutter contre la transphobie, c’est un projet politique d’ampleur qui implique, comme le font déjà beaucoup d’associations, d’investir le dialogue avec les pouvoirs publics »

Vous avez commencé à y répondre, ce type de journée peut-il être une façon de répondre à ce climat transphobe ?

C’est bien à notre échelle de diffuser d’autres savoirs et d’autres expertises. Pour lutter contre la transphobie, c’est un projet politique d’ampleur qui implique, comme le font déjà beaucoup d’associations, d’investir le dialogue avec les pouvoirs publics, d’investir aussi la question du plaidoyer, du lobbying. C’est aussi beaucoup de travail, il me semble, de substitution aux pouvoirs publics. Il y a beaucoup d’associations qui font de l’aide aux parcours médicaux, de l’aide par exemple comme Acceptess avec le FAST en cas de problèmes financiers auxquels sont généralement très exposés les personnes trans. Je ne crois pas qu’une une table-ronde ou une journée sur ces thématiques-là a un impact sur les causes structurelles de la transphobie. Mais ça reste important de faire émerger d’autres voix d’une manière ou d’une autre. Pour la table-ronde, la thématique du sport nous est apparue très vite. Quand on parle de surexposition et de survisibilité des personnes trans dans les médias, immédiatement on pense à la question du sport parce que c’est l’un des enjeux qui est le plus instrumentalisé aujourd’hui. Il y a eu beaucoup d’infos récemment sur le sujet de l’accès des femmes trans au sport. On pense même à cette décision complètement absurde de la Fédération internationale des échecs, qui a annoncé ne plus accepter les femmes trans en compétition. Alors qu’on parle d’échecs ! Il y a beaucoup de choses fausses qui sont dites. Ça nous paraissait important de remettre de la preuve scientifique dans les débats. Si on regarde la littérature scientifique, elle est très claire. Il n’y a pas la preuve d’un avantage compétitif des femmes trans par rapport aux femmes cis, pas plus qu’il n’existe un avantage compétitif qui serait supérieur aux avantages compétitifs qui existent de manière générale au sein du groupe “femmes”, selon des facteurs allant de la qualité de l’entraînement jusqu’à la gestion du stress ou du sommeil.

Vous diriez que c’est par manque d’informations, par ignorance, ou est-ce que c’est vraiment délibérément une politique que vous qualifieriez de transphobe justement par rapport de la part de ces fédérations ?

Il y a de l’ignorance, c’est certain. Vu à quel point ce sujet est monté en épingle dans la presse, dans les médias, les fédérations n’ont pas du tout envie de s’emmerder à prendre la défense des femmes trans alors qu’elles sont quand même très minoritaires dans les compétitions de haut niveau. Ce sont des polémiques qui rendent très frileuses les fédérations et puis elles n’ont pas envie de se mouiller tout simplement. Et c’est ce qui s’est passé par exemple avec Lia Thomas. Lia Thomas – qui était la première femme trans à gagner un titre universitaire, donc pas la millième, la première – a conduit la fédération de natation à annoncer l’interdiction des femmes trans de concourir. Sa victoire a provoqué un tollé gigantesque parce qu’on disait que c’était un avantage compétitif sur les autres femmes cis. Il y a un livre très intéressant sur ce sujet, celui d’Anaïs Bohuon, Catégorie dames (lire l’article de Yagg à la sortie du livre en 2012). Elle y explique qu’en dehors même de la question des femmes trans, les fédérations ont de tout temps essayé d’établir ce que c’est être une femme et ce que c’est être un homme. Il y a eu les tests génitaux, les tests chromosomiques, les tests hormonaux et à chaque fois, on essaye juste de donner une définition biologique de ce que c’est le féminin et le masculin. Et en fait, à chaque fois, ça a été une impasse parce que la partition du monde en deux sexes, c’est une fiction idéologique. Il y a 4 % de personnes intersexes. Il y a des femmes cis qui ont des taux de testostérone très très haut. On pense à Caster Semenya, par exemple, qui est une femme cis qui a été interdite de compétition parce qu’elle avait un taux de testostérone trop élevé. On se rend bien compte que dès qu’on essaie de biologiser ce que c’est le féminin ou le masculin, on se retrouve dans une impasse.

Je ne voulais pas vous terminer cet entretien sans évoquer votre dernier livre, « La Fin des monstres », aux éditions La Déferlante. Pourquoi vous avez souhaité écrire ce livre ?

Ça répond un petit peu en miroir à ce que vous me demandiez en début d’interview. Ce livre est né justement du contexte médiatique anti-trans. Je voyais se multiplier les tribunes anti-trans dans la presse, les documentaires abominables, les plateaux télé qui font débattre tout le monde sauf des personnes trans. C’est incroyable parce que ce qui est mis en avant tourne souvent autour des mêmes choses. On pousserait les mineurs à transitionner, il y aurait une espèce d’« épidémie de trans », etc. Tout tourne autour du fait que la transition ou le fait d’être trans, ce serait quelque chose de facile, quelque chose qu’on peut juste investir parce qu’on s’est fait influencé·e par les réseaux sociaux, le militantisme ou que sais-je. J’ai eu besoin, à un moment donné, de dire, excusez-moi, mais en fait, transitionner, c’est encore vraiment très compliqué aujourd’hui en France. On est beaucoup plus découragé·e de transitionner qu’encouragé·e. Ce sont des parcours qui prennent des années. Ce sont des dossiers médicaux et des dossiers administratifs de dizaines et de dizaines de pages. Ce sont des milliers d’euros d’économies pour les opérations chirurgicales. Ce sont des traitements hormonaux à vie. C’est potentiellement perdre sa famille qui ne comprend pas ce qui se passe. C’est avoir des grosses difficultés d’accès au logement et à l’emploi quand on est visiblement trans. Ce n’est ni drôle, ni cool, ni une mode, en fait. C’est compliqué et on doit se battre pour vivre nos transitions. J’ai voulu sortir encore une fois de la panique morale et parler à la fois en mon nom mais aussi de mon point de vue de journaliste en présentant des données et des chiffres.

« Transidentités : tous·tes ensemble contre la transphobie », le samedi 18 novembre, à partir de 15h30, Salle des fêtes de la Mairie annexe, 12 rue Pierre Castagnou, 75014 Paris. Entrée libre sur inscription

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