3 questions à Fanchon, qui a lancé le mouvement #SEOLesbienne

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« Le mot lesbienne mérite d'être défini par les personnes qui le sont et non celles qui l'utilisent à des fins commerciales. »

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3 questions à Fanchon, qui a lancé le mouvement #SEOLesbienne - capture d'écran Instagram @seo_lesbienne

C’est la goudou qui fait déborder le vase. Le traitement médiatique de l’élection de Lori Lightfoot, première maire ouvertement lesbienne et noire de Chicago – surtout présentée comme « femme homosexuelle » par la presse — a permis de mettre un coup de projecteur sur un problème de référencement majeur. Lorsque l’on tape le mot lesbienne dans Google, c’est un déferlement de liens vers des sites de porno mainstream (aux représentations largement hétéronormées de surcroît). Fanchon, une jeune cyberactiviste, a décidé d’en finir une bonne fois pour toutes avec cette invisibilisation des lesbiennes par les moteurs de recherche. Pour ce faire, elle a lancé le mouvement #SEOLesbienne. Interview.

Komitid : Quel a été le déclencheur du projet SEO Lesbienne ?

Fanchon : Les facteurs ont été multiples. Je suis des militantes lesbiennes depuis un moment et je fais partie de plusieurs réseaux lesbiens. J’ai vu de nombreux tweets qui parlaient de ce sujet. Notamment celui de Marie Turcan, de Numerama, en décembre : elle comparait les recherches pour les mots « gay » et « lesbienne », mais elle n’avait pas eu autant de retours qu’elle espérait. Il y a aussi eu Alice Coffin, puis la Conférence Européenne Lesbienne*, qui a eu des soucis de référencement, avec des mails qui atterrissaient dans les spams… Puis il y a eu l’édito de Maëlle Le Corre, sur Lori Lighfoot. C’est la somme de tout ça. Mais ce qui a vraiment été déclencheur, c’est le tweet de Marie Labory, qui disait qu’elle avait eu du mal à s’approprier ce mot avant de pouvoir dire qu’il la représentait. En-dessous, un homme lui a demandé les raisons de cette difficulté à s’approprier le mot lesbienne, il y a eu beaucoup de témoignages en réponse, et ça m’a questionné. J’ai fait moi aussi cette recherche sur Google et je me suis rendu compte que oui, 100 % des résultats renvoyaient à du contenu pornographique, alors qu’en anglais le mot « lesbian » ressort beaucoup mieux. Ça m’a vraiment choquée. Je me suis dit qu’on pouvait faire quelque chose, car il y a encore beaucoup de femmes « homosexuelles » qui rechignent à s’appeler lesbiennes entre elles. Encore récemment on m’a demandé si j’étais bien sûre qu’il n’y avait pas de sexualité derrière le mot lesbienne, si ce n’était quand même pas un peu pornographique. Mais non, malgré les résultats des recherches, ce n’est pas le cas. J’aimerais bien qu’il commence à y avoir des résultats Google pour le mot lesbienne !

« L’idée est de créer un mouvement qui va synthétiser et permettre à tout le monde de s’y mettre »

Je ne suis pas experte en SEO (optimisation pour les moteurs de recherche) ni en marketing, ce n’est pas mon domaine de prédilection, mais j’en ai des notions. Je me suis dit qu’on pouvait agir pour que ça bouge et du coup, j’ai lancé la page et le hashtag #SEOLesbienne. C’est venu comme ça un soir à 1h30 du matin, et ça a commencé à avoir un peu d’écho. Rapidement j’ai demandé à ma femme de me faire un petit logo (rires), et elle l’a fait, puis on a créé notre compte Instagram. Je me suis dit que ça aurait sans doute plus d’impact là-bas que sur Twitter et effectivement, on a eu beaucoup de réactions, plutôt positives. Même s’il y a eu quelques commentaires un peu condescendants de la communauté des professionnel.le.s du SEO. Cela venait plutôt d’un malentendu car ils et elles s’attendaient sans doute à ce que je sois experte. Or l’idée est plutôt de créer un mouvement qui va synthétiser et permettre à tout le monde de s’y mettre. Mon premier réflexe a ensuite été de contacter Lesbians Who Tech. Beaucoup d’expertes du SEO sont prêtes à lancer le défi ! Elles ont parlé à leurs employeurs, et des agences pas du tout en lien avec la communauté LGBTQ nous ont contactées, parce que le challenge les intéresse. Il y a peu d’expert.e.s sur le sujet en France, et ce sont surtout des hommes. C’est intéressant de voir que ça va au-delà de la communauté des lesbiennes. L’idée est de lancer une réunion publique, avec des commissions, où chacune aurait un rôle. Je suis en train d’organiser et de coordonner tout ça avec Lesbians Who Tech et je lance aussi un groupe Meetup, pour mettre sur pied ce travail de longue haleine.

Quelles ont été les réactions après le lancement du compte Instagram @seo_lesbienne et du hashtag #SEOLesbienne ?

J’ai principalement été contactée par le secteur professionnel du SEO. J’ai reçu beaucoup de conseils vertueux : quoi faire pour commencer, réfléchir à modifier l’article Wikipedia du mot lesbienne. C’est une des premières choses qu’il a été recommandé de faire et je sais qu’il y a des filles de Lesbians who Tech qui ont commencé à la rédiger de nouveau. Car dans les résultats Google, elle n’est pas forcément sur la première page… Et on sait que le référencement de Wikipedia nous aidera beaucoup. Du coup, j’ai envoyé un mail aux filles de Computer Girls, je sais qu’elles font du cyberactivisme et qu’elles ont organisé des ateliers de rédaction sur Wikipedia pour créer des fiches, se les réapproprier…

« J’aimerais bien mettre à ce jour ce paradoxe de s’engager avec des chars par la pride, puis de ne rien faire pour les questions de référencement. Je pense que cette fois-ci, Google pourrait répondre »

Je pense que des choses vont se passer dans les jours, semaines et mois à venir. C’est un mouvement qui vient de naître, qui est un sursaut… J’ai du courage pour mille, j’ai envie de le lancer et de l’entretenir, mais il ne pourra pas fonctionner sans l’intervention des expert.e.s et leur concours bienveillant. Après, on aimerait bien que Google réagisse, aussi. Je n’ai pas encore essayé de les contacter, je sais que Marie Turcan n’a pas eu de réponse lorsqu’elle a cherché à le faire pour Numerama. J’aimerais bien mettre à ce jour ce paradoxe de s’engager avec des chars par la pride, puis de ne rien faire pour les questions de référencement. Je pense que cette fois-ci, l’entreprise pourrait répondre. Il y a un truc qui est en train de se passer : je vois que ça touche des gens en dehors du milieu, car le challenge les titille, et pour moi c’est un indicateur positif.

« Je pense que le mot lesbienne mérite d’être défini par les personnes qui le sont et non celles qui l’utilisent à des fins commerciales »

Parallèlement, j’ai aussi eu des personnes qui n’y croient pas, qui disent que c’est « angélique », que ce n’est pas si important que ça, qu’on devrait se concentrer sur autre chose… Alors que c’est essentiel. Je me souviens que moi-même, je l’ai faite, cette recherche-là, toute jeune, quand je me posais des questions, je cherchais du contenu pour le mot lesbienne, désespérément, dans l’internet des années 2010. Il n’y avait rien, sinon du porno. J’ai fait le deuil de ce mot, du coup. J’ai envie de me le réapproprier car il est important pour nos constructions, pour lutter contre le sentiment de honte au moment du coming out. Je pense qu’il mérite d’être entre de meilleurs mains, en tout cas il mérite d’être défini par les personnes qui le sont, et non par celles qui l’utilisent à des fins commerciales. Ensuite, il y a eu un autre débat. On m’a dit qu’il fallait que j’arrête d’utiliser Google : « et pourquoi vous n’allez pas sur Ecosia ? ». Effectivement, sur d’autres moteurs de recherche, qui sortent tous de Bing, le mot lesbienne affiche des résultats plus sérieux, plus pertinents, même s’il y a du porno sur la première et la deuxième page. Alors oui, mais il se trouve qu’en France, Google est le moteur de recherche qui est le plus utilisé, qui est par défaut dans les ordinateurs qu’on utilise. Donc c’est là qu’il faut agir même si ça peut être frustrant et qu’on a envie de changer les choses de manière plus globale sur les moteurs de recherche. C’est un autre débat, en fait ! À un moment donné, il faut être pragmatique.
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Comment participer au mouvement si l’on ne travaille pas dans le référencement ou les médias ?

Ce qui est assez cool dans le cyberactivisme, c’est qu’on peut faire des choses assez concrètes. Déjà, rectifier, quand quelqu’un nous dit que le mot lesbienne est affilié à une connotation pornographique car ce n’est pas le cas, peu importe les résultats de recherche. C’est important de rappeler que Google n’est pas une bible : l’algorithme est le résultat d’un choix, un choix qui est subjectif. Ensuite, on a besoin d’aide, on a besoin d’expert.e.s ! Parlez-en autour de vous, racontez qu’il y a ce mouvement qui est en train de naître et expliquez qu’on a besoin de toutes les bonnes volontés.

« Il n’y a pas besoin d’être experte, juste lesbienne ! »

Enfin… témoignez. On nous dit que « ce n’est pas grave » : je reçois beaucoup de messages me disant que ce n’est pas un problème de trouver de la pornographie en cherchant le mot lesbienne sur Google. J’aimerais leur montrer des témoignages qui disent le contraire, que ça fait des ravages, que c’est grave quand on est une jeune fille… Et même quand on est plus âgée. Et le fait de ne pas utiliser le mot qui nous représente et nous symbolise, c’est horrible, comme forme de négation. Ces témoignages-là sont nécessaires et précieux. Il n’y a pas besoin d’être experte, juste lesbienne !