#MeTooGay : une porte s'ouvre enfin sur cet autre tabou

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« Ce vendredi matin, le hashtag #MeTooGay fait partie des tendances sur ma TL Twitter. Je n'ai pas envie de dire tant mieux, car lire certains de ces messages est particulièrement difficile. »

Mise à jour : modification sur le récit dans I May Destroy You

La formidable série I May Destroy You est sans doute une de celles qui a le mieux décrit la sexualité, le consentement, les rapports de domination, dans l’Angleterre d’aujourd’hui. On y suit surtout Arabella (puissante Michaela Coel, également réalisatrice de la série) dans sa quête pour retrouver celui qui l’a droguée et violée. Mais en chemin, on réalise que ses deux meilleur.e.s amies, Terry (Weruche Opia) et Kwame (Paapa Essiedu) ont aussi vécu des traumas, à des degrés divers. Ainsi Kwame, qui est gay, a subi une expérience de viol ce qu’il a du mal à reconnaître dans un premier temps. Et l’illustration qu’une relation sexuelle à laquelle on a consenti au départ ne signifie pas que l’on est prêt à tout accepter et que l’autre peut tout se permettre. Arabella  a vécu une expérience de stealthing. Lors d’un rapport sexuel consenti, son partenaire a délibérément et sans l’en informer, enlever la capote lors du rapport sexuel.

C’est pourquoi l’apparition depuis deux jours sur Twitter du hashtag #MeTooGay est comme une porte qui s’ouvre enfin sur cet autre tabou. Dans la communauté gay, il est peu fréquent de s’interroger sur les rapports de domination dans la sexualité, sur le consentement, sur la violence et le viol.

Ce phénomène existe et ce que montre d’abord l’enquête Virage (de l’Ined), c’est que les hommes gays et bis sont beaucoup plus nombreux à déclarer avoir été victime de viol ou d’agression par un membre de leur famille ou un proche (hors couple) que les hommes hétérosexuels. C’est le frère qui abuse de son cadet, le père qui abuse de son fils, l’oncle ou le grand père. À l’âge adulte, ces expériences se perpétuent. Avec le #MeTooInceste, cette parole-là s’est libérée aussi suite à la publication du livre de Camille Kouchner, La Familia grande (Seuil), en début d’année.

Violence au sein du couple

Ce que nous lisons dans les messages #MeTooGay, c’est aussi la violence au sein même du couple gay ou dans les relations d’un soir. Parfois, comme le confie Anthony Vincent, c’est une succession de faits, qui mis bout à bout font système.

 

On peut avancer des tonnes de raisons qui expliquent que pendant si longtemps, cette parole est restée bloquée : pour certains, on ne veut pas alimenter l’homophobie des homophobes, d’autres craignent la « pathologisation » ou encore l’amalgame pédophilie-homosexualité. D’autres encore évoquent la honte. Mais la honte doit changer de camp !

Dimension spécifique

J’avais pour ma part été frappé en 2000, alors que je préparais une enquête pour TÊTU sur les « nouveaux séropositifs », de voir à quel point cette question du consentement et de la violence dans la sexualité faisait partie du quotidien de plusieurs de ces hommes que j’avais interviewés. Car une autre dimension spécifique s’applique aux hommes gays : dans une communauté où l’on estime qu’environ un gay sur six est séropositif, la violence (je ne parle pas du BDSM) dans les rapports sexuels, le non consentement, la pratique du stealthing ont parfois des conséquences immédiates très concrètes – une contamination VIH – en plus des conséquences psychologiques à court, moyen et long terme.

Ce vendredi matin, le #MeTooGay fait partie des tendances sur ma TL Twitter. Je n’ai pas envie de dire tant mieux, car lire certains de ces messages est particulièrement difficile. Mais il est temps de briser ce silence et je me réjouis que déjà plusieurs figures de la communauté LGBT, des gays, mais aussi des lesbiennes, ont apporté leur soutien à ce mouvement. J’en profite aussi pour signaler l’enquête passionnante réalisée par Mathieu Foucher en septembre dernier pour le site Vice.

 

Longtemps opprimés, toujours réprimés dans de nombreux pays, les hommes gays ont du mal à se voir aussi comme oppresseurs. Les violences patriarcales, les rapports de domination, ne sont pourtant pas l’apanage des hommes hétéros mais on a mis du temps à le réaliser, à questionner cette homophobie intériorisée souvent à l’œuvre dans ces actes.

Les gens ne viennent pas au monde pleinement conscients de la manière dont ils sont opprimés et exploités et dont ils peuvent à leur tour être oppresseurs. Si c’était le cas, alors nous aurions renversé le désordre de ce monde il y a longtemps.

Pour le moment, les victimes doivent être encouragées à s’exprimer, soutenues ensuite, et nous devons dire que nous les écoutons et les croyons. Puis viendra le temps, rapidement nous l’espérons, de la conversation dans les associations LGBT+, des discussions afin de construire des ponts avec d’autres combats (#MeToo, #MeTooInceste), tout cela afin de construire une réponse politique trop longtemps évitée.