Dans les soirées gays et queers, quelle place pour le consentement ?

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Depuis deux ans, la conversation sur le consentement progresse, grâce à #MeToo, #BalanceTonPorc et aux révélations de la Ligue du Lol, entre autres. Les milieux touchés sont cependant encore très hétéros, les milieux plutôt masculins, qu'ils soient gays ou queers sont-ils concernés ? Enquête et témoignages. 

Dans les soirées masculines gays et queers, quelle place pour le consentement ?
Illustration Kelsi Phung pour Komitid

« Cette soirée, si tu rentres, t’acceptes qu’on te touche, surtout sur le dancefloor. T’acceptes, même si c’est gênant tu vas pas faire une crise quoi. » Roberto a 22 ans, est en master à l’Ehess et nous l’interrogeons sur le consentement dans le milieu festif gay. Depuis 2014, il sort environ une fois par semaine dans des bars et des clubs gays. « Dans les fêtes gays, il y a un élément de promiscuité omniprésent donc tu tolères un peu plus, ça fait partie de ce monde de se toucher beaucoup plus, de faire des commentaires sexuels. J’ai un peu normalisé le truc. » Il évoque une sorte de credo, qui dirait : « Mec, si tu veux pas [que ça se passe], tu viens pas ici. »

Même constat pour Simon, 20 ans, étudiant.e et qui sort en soirées gays et queers depuis deux ans. Dans les soirées gays, iel ressent parfois l’ambiance « si tu dis pas non, c’est oui, » ou encore,  « tu kiffes pas maintenant mais après tu vas kiffer. » En soirée, iel se fait parfois toucher, sans son accord, encore plus quand iel s’habille plus de façon plus féminine : avec une robe, du maquillage, des tenues extravagantes. « Si je mets des robes les gens vont venir me toucher. Mais en fait non tu me touches pas, tu me touches que si j’en ai envie ! ».

Le dancefloor peut aussi être désagréable pour Vénus, 21 ans, étudiante et travailleuse du sexe, qui reçoit des remarques transphobes du genre : « Dommage que tu sois trans ! T’étais beau en garçon. » Elle s’est aussi fait embrassée par surprise, et se fait « tout le temps » prendre en photo sans son accord. « C’est chiant. Je ne suis pas venue ici pour me faire prendre en photo par des tiers, j’ai mon téléphone pour ça. »

Double peine aussi pour les personnes afrodescendantes

Double peine aussi pour les personnes afrodescendantes ou caribéennes, pour qui, aux interactions non consenties s’ajoute la fétichisation du corps noir. Julien, 22 ans, musicien, qui sort dans les soirées gays depuis 2017 et Loïc, 20 ans, téléopérateur et dans le milieu depuis 2016, racontent tous deux s’être fait toucher les cheveux par des inconnus. Le soir de la pride 2018, Julien est en soirée quand un homme blanc « sorti de nulle part met sa main dans [ses] cheveux, il touche et il malaxe, il malaxe… Y a vraiment ce truc de “mon corps lui appartient,” ça te casse bien ta soirée. » Un événement récurrent en soirée, selon lui qui affirme :  « J’ai encore échappé à une tentative récemment. »

Les espaces safe : une solution ?

Mathilda est organisatrice de la Possession, une soirée queer dans un entrepôt où il est courant que les gens aient des relations sexuelles sur le dancefloor. La soirée porte une attention particulière aux problèmes liés au consentement. « On a choisi d’avoir un espace safe sur le dancefloor : notre but c’était d’avoir une soirée où le mec peut enculer son mec et que les meufs puissent être topless sans problème. »

En amont de chacun des événements, la soirée communique sur le respect qui est dû aux fêtards et surtout sur l’intolérance au harcèlement sexuel. Si quelqu’un agit autrement, il peut être expulsé et banni des soirées. Des personnes de la sécurité sont postés sur le dancefloor, à côté des toilettes, près de la scène et à l’entrée du lieu pour être disponible en cas de signalement. Cependant, selon Mathilda, la Possession « a eu la chance d’avoir un public assez ouvert et très respectueux. »

« En terme de consentement, il y a plein de spécificités dans les milieux LGBT. »

Le groupe Consentis, créé en 2018 par des féministes dans la mouvance de #MeToo, intervient aussi dans les milieux festifs. L’association est présente en stand ou de façon ambulante et a élaboré des posters sur le consentement affichés dans certaines soirées. Son travail initial s’est concentré sur les milieux hétéros. Elle a interrogé 1030 Français.es et montré que 60 % des femmes interrogées déclarent avoir été victimes de violences sexuelles dans des établissements festifs. L’association cherche maintenant des financements pour faire de même pour les lieux LGBT+. « En terme de consentement, il y a plein de spécificités dans les milieux LGBT. »

Culture spécifique

Mathilde évoque notamment l’existence d’un « sexisme transposé dans la communauté gay entre les hommes gays » qui se retrouve dans le « fat-shaming, le slut-shaming et l’objectification des corps. » Grossophobie, critique des hommes gays à la sexualité différente, notamment seraient donc monnaie courante. Cependant, elle reconnaît aussi qu’il existe une culture du consentement spécifique à la communauté gay, notamment venant des saunas. Ces derniers ont historiquement publié des chartes avec une règle assez répandue qui pourrait se traduire en : « je touche et après je vois s’il y a un non. »

Une définition du consentement

Consentis considère l’ambiance sex-positive des milieux gays et son histoire autour du consentement comme positifs, cependant l’association y voit quelques limites et promeut une définition différente du consentement : « spécifique, réversible, libre et informé. » Spécifique signifiant : on consent à une action, pas forcément à toutes ; réversible car on peut changer d’avis ; libre parce que sans contrainte ou menace ; et enfin informé par rapport aux risques des Infections sexuellement transmissibles.

Sur le harcèlement, « les gays se sentent pas concernés »

Quand on demande à Mathilda de la Possession si elle et les autres organisatrices ont déjà reçu des signalements de la part d’hommes gays ou queers victimes, elle me répond : « jamais. » Éliane Thivierge est confondateurice de PLURI, un collectif montréalais qui intervient sur les pistes de danse pour éduquer à la question du consentement et prévenir les agressions. En soirées gays, Éliane Thivierge remarque une relation à la sexualité plus à l’aise et libre, malgré le fait qu’iel pointe aussi des situations dans lesquelles il est souvent difficile ou impossible d’échanger le consentement. « La discussion sur le harcèlement sexuel, c’est un mouvement qui vient des femmes et des lesbiennes, » iel trouve que souvent « les gays ne se sentent pas concernés. »

Car pour signaler des comportements déplacés, encore faudrait-t-il que ces comportements soient compris comme tels et que la personne fasse la démarche. Entre gays, dans des soirées, l’omniprésence du sexuel confondu avec l’abus peut rendre cela difficile. D’après Roberto, « quand tu te fais harceler, agresser dans un contexte gay mainstream, ils trouvent que tu abuses de le leur reprocher. Ils prennent ça pour du puritanisme ou même de l’homophobie. Leur réponse est souvent :  “Mec, si tu le veux pas viens pas ici.” »

Loïc n’a jamais rapporté les incidents lorsqu’il s’est fait toucher les cheveux ou les fesses par des inconnus. « Je pense qu’ils n’en auraient rien à foutre parce que ça arrive un peu à tout le monde, c’est assez commun du coup il s’en accommodent et s’en battent un peu les couilles. »

Même chose pour Julien, qui remarque que dans la société, les affaires d’agressions sexuelles sont déjà mal traitées. « On ne croit pas les gens », affirme-t-il.  Alors en soirée, « je me dis qu’aller rapporter “ on m’a touché les cheveux et c’est raciste ” ça me mettrait encore plus dans la merde et j’entendrais encore plus de choses horribles de la part des gérants. »

Des harceleurs ou « juste des mecs relous » ?

Comment justifier alors de parler de consentement ou de harcèlement si ce n’est pas un langage commun dans la communauté ? Même pour écrire cet article, nos appels à témoignages du type : Je cherche des gens qui se sont fait harceler sur des dancefloor gay, nous valaient des  « Je vais chercher voir si je connais quelqu’un. » Personne n’avait d’histoire personnelle à raconter. Je me suis souvenu d’un post de Caroline De Haas sur les mecs lourds : « Le gros relou n’existe pas. C’est un mythe. Une invention servant à banaliser les violences ». Alors nous avons  tenté autre chose : Je cherche des gens qui ont eu des histoires avec des mecs relous sur des dancefloors gay. Alors, chacun mes interlocuteurs avait immédiatement au moins une histoire personnelle à partager.

Christopher Dietzel est doctorant sur les notions de consentement dans les communautés LGBT+ à l’université McGill à Montréal. Il se heurte lui aussi, dans sa recherche, aux codes de langage de ses participants : « Les gens utilisent des codes comme “ lourds ” (en anglais “creep”) pour communiquer leur malaise. C’est un mécanisme de préservation de soi. Il peut être difficile pour quelqu’un de s’identifier en tant que victime, mais l’on ressent toujours le besoin de s’identifier à une expérience commune, et ces mots permettent de trouver cet entre-deux. »

Une sensibilisation difficile

La critique de la liberté sexuelle des communautés gay et queer est un sujet sensible, car elle a été et est toujours quasi monopolisée par des arguments homophobes. « Être sexuel de la façon dont on voudrait est toujours un combat pour notre communauté. Il y a toujours une inquiétude sous-jacente que nos droits seront limités, confisqué, piétinés. », affirme Christopher Dietzel. Il poursuit : « On pense souvent qu’être dans un espace queer rend sexuellement libre, ce qui peut être positif, mais il manque un sens de responsabilité qui vient avec cette liberté. Il nous faut respecter les espaces personnels des autres. »

S’il voit d’un oeil positif les initiatives naissantes visant à sensibiliser à ces questions comme les posters du style « consent is sexy [le consentement c’est sexy] » et pense que les personnels peuvent être formés à la question, il conserve quelques doutes. Des slogans rapides pourraient masquer le fait que, selon lui, « le consentement n’est pas juste entre deux personnes, c’est souvent une relation de pouvoir différenciée : quand une personne est racisée, trans, visiblement queer [ou efféminée], cette dernière sera plus visée, plus vulnérable à une forme d’abus. Le consentement a tout avoir avec le contexte. »

 

  • arnosa

    Je crois que cela depend du contexte. Attention à ne pas verser dans l’extrémisme comme dans certains pays anglo saxons, où il n’y a plus de drague car chacun a peur. Si on peut baizer sur un dance floor, on peut approcher (i.e. Toucher un mek) et voir sa réponse. Oui ou Non. Et basta. Sinon on ne va plus baizer. Je ne parle même pas des sex clubs, où la limite est difficile à voir. On y va tous avec un but précis.
    Étonnant enfin que vous ne parliez pas de la drogue. Comment approcher un mek perché ? Il y en a beaucoup non ?! On n’approcherais pas sous prétexte qu’il n’est pas 100% conscient ?! Il ne restera plus grand monde à Paris ?

  • petitcesar

    d’après mon expérience, il n’est pas nécessaire d’être noir ou d’avoir des cheveux crépus pour que des inconnu.e.s se permettent de les toucher sans demander avant. moi, par exemple, j’ai les cheveux bouclés et il m’est arrivé que des malotrus (on va les appeler comme ça) les tripotent sans que je dise “oui, vas-y, tu peux les toucher”. c’est vrai que ce n’est pas agréable ni même flatteur, contrairement à quand les personnes se contente de vous dire “j’adore tes cheveux”. il m’est aussi arrivé récemment d’entendre des commentaires de la bouche de jeunes gays, du style “t’as vu son cul, je baiserais bien avec lui”, alors que j’étais juste à côté du type et son ami, en boite, avec la musique très forte. comme si celle-ci couvrait forcément les conversations. si j’ai clairement entendu (et ma copine marie-Noelle également), c’est qu’eux aussi savaient que j’entendais. était-ce une méthode de drague? je ne le saurai jamais, mais c’est vrai que je me suis senti un peu comme une pièce de boucher (alors que je suis végétarien ^^). je ne vois pas ça comme une “violence sexuelle” ou du harcèlement, juste comme un manque d’éducation et de savoir vivre. un dancefloor n’est pas différent de la rue ou d’un magasin, et même si c’est un lieu de rencontre traditionnel, les bonnes manières ne sont pas inutiles (les sex-clubs, c’est différent, j’imagine, on sait ce qu’on va y trouver, c’est dans le nom). ah! un autre souvenir me revient, et je précise que je suis loin d’être un canon. il y a quelques années, je devais avoir 45 ans (comme quoi, il n’y a pas que les jeunots qui y ont droit), je dansais tranquille quand un type s’approche et me dit “excuse-moi pour ce que je vais faire”. je pensais qu’il allait me toucher les cheveux, comme d’hab, mais au lieu de ça, il m’a attrapé le visage avec ses deux mains et a essayé de m’embrasser! le goujat! bon, j’ai secoué la tête et me suis débattu, et il n’a pas réussi son coup, mais quand même! je me suis dit à ce moment : “mais qu’est-ce qu’ils ont ce soir, c’est la pleine lune, ou quoi?”. et bien, croyez-le ou non, c’était le cas! après, je blâme aussi l’alcool, qui, si parfois il donne du courage pour se lancer (sur la piste ou sur une drague), il désinhibe un peu trop certain.e.s. ceci-dit, je ne sors jamais avec une appréhension, et si des types osent me proposer un plan à trois, comme c’est déjà arrivé (mais à qui ce n’est jamais arrivé?), je réponds simplement : nan merki!. voilà, un petit témoignage de derrière les fagots, excusez-moi si j’ai été un peu long…

  • phil86

    Perso jamais je me permettrais de tripoter un mec d’emblée. Je ne le toucherai que si je sens qu’il y a un accord probable de sa part après une phase d’approche respectueuse. Un jour dans un sauna je me suis brutalement fait tripoter sous la douche par un mec, qui me plaisait pas du tout et je lui ai dit bas les pattes (dans le cas contraire je me serais sans doute laissé faire lol)