3 questions à Mischa des Délaissé.e.s des Fiertés, qui ont pris la tête de la Marche des fiertés de Paris

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« Les associations et organismes ont longtemps pensé qu’on était une quantité négligeable de la communauté, je crois que samedi on leur a prouvé le contraire. »

3 questions à Mischa des Délaissé.e.s des Fiertés, qui ont pris la tête de la Marche des fiertés 2019 de Paris
Le cortège des Délaissé.e.s de la Fierté à la marche parisienne, le 29 juin 2019 -Tonio pour Komitid

Samedi 29 juin 2019, la marche de Paris, placée sous le signe des 50 ans des émeutes de Stonewall, a été menée par deux cortèges de tête fort flamboyants : les Goudou.e.s sur Roues, précédées des Délaissé.e.s des Fiertés. Mischa, membre du Collectif Intersexes et Allié.e.s et l’un des initiateurs de ce mouvement qui a réuni 200 à 250 personnes en ouverture de la marche des fiertés parisienne revient sur cette puissance action, aux couleurs jaune et violet du drapeau intersexe.

Komitid : Qu’est-ce qui a amené à la formation de Délaissé.e.s des Fiertés ?

Mischa : Le Mouvement est né d’une frustration, d’une urgence d’exister dans les luttes et les fiertés LGBTI, pour les personnes intersexes. Submergé de travail, le Collectif Intersexes et Allié.e.s, seule association par et pour les personnes intersexes en France, est à la fois très sollicité et ironiquement peu entendu dans les revendications générales de la communauté LGBTI. D’un côté on nous veut partout, et dans le même temps on ne nous donne pas du tout les moyens de l’être. C’est épuisant et frustrant pour nos militant.e.s.

Cette année, l’organisation avec l’Inter-LGBT ne s’est pas bien passée. On leur a fait une proposition de formation, essentielle dans le cadre de la Marche des Fiertés où nos revendications peinent à être portées correctement, dignement. Mais iels nous ont répondu trop tard — et s’en sont excusé.e.s — et nous n’avions plus du tout le temps de nous organiser. Ça ne s’était pas bien passé avec nos partenaires non plus, comme souvent. On était démoralisé.e.s.

« Ces militant.e.s, pour la plupart handis, racisées, queer, jeunes, ont remué ciel et terre pour nous donner un espace et une portée inespérée »

En parlant avec d’autres militant.e.s (dyadiques, non-intersexes), en particulier des militant.e.s queer et antiracistes, j’ai repris espoir et on a fini par vraiment créer quelque chose. Ces militant.e.s, pour la plupart handis, racisées, queer, jeunes, ont remué ciel et terre pour nous donner un espace et une portée inespérée. Le travail qui a été mis dans ce projet est inimaginable. Le tout, en trois semaines seulement.

« Toute l’attention a été portée sur les revendications intersexes, des couleurs aux slogans en passant par la banderole. Une telle action, c’est du jamais vu ! »

Le Mouvement ne réunissait pas que des inter. Il a une ligne politique claire : il dénonce les violences de l’institution médicale sur les personnes LGBTI, mais aussi le pinkwashing qui s’empare peu à peu de nos représentations et l’invisibilisation des groupes minoritaires. En revanche, toute l’attention a été portée sur les revendications intersexes, des couleurs aux slogans en passant par la banderole. Une telle action, c’est du jamais vu !

Comment s’est déroulée la prise de tête du cortège de la pride parisienne par les Délaissé.e.s des Fiertés ?

La prise de la tête de la pride s’est très bien passée, notamment grâce à l’aide et le soutien inconditionnel du collectif Goudou.e.s sur Roues. Nous étions extrêmement bien préparé.e.s, que ce soit au niveau logistique, technique, sécuritaire, humain, chaque équipe avait été formée, et chaque coordinateurice du Mouvement a été d’une efficacité magistrale !

« Les couleurs inter n’ont jamais été aussi visibles, les voix des inter n’ont jamais été aussi fortes »

Les couleurs inter n’ont jamais été aussi visibles, les voix des inter n’ont jamais été aussi fortes. On nous a laissé marcher, la rue était à nous pendant toute la marche. On nous a même laissé parler en carré de tête ! Les personnes ayant pris part à notre cortège, en particulier les personnes intersexes, se sont senties en sécurité, ce qui en soi est déjà une victoire. Il suffit de comparer avec les expériences des années précédentes.

« Nous avons marché sans aucune pause, plus de trois heures d’affilée. Les autres cortèges, à l’exception des trois premiers dont nous, n’ont pas reçu ces consignes »

Cela étant, nous pouvons déplorer une organisation incertaine de la part de l’Inter-LGBT, qui a encouragé ou en tous cas permis la formation des espaces de plusieurs centaines de mètres entre certains cortèges, ce qui nous a isolé du reste de la manifestation et qui aurait pu altérer la portée de notre action, et surtout nous mettre en danger. On nous avait fait comprendre très clairement qu’il n’y aurait pas de pause dans la marche, contrairement aux années précédentes, pour cause de canicule. Nous avons donc marché sans aucune pause, plus de trois heures d’affilée. Les autres cortèges, à l’exception des trois premiers dont nous, n’ont pas reçu ces consignes. Nous n’avons pas bien compris pourquoi c’est arrivé.

Quoi qu’il en soit, l’impact de cette action a été immense. C’est une chose de le vivre, mais quand on a compris à quel point ça avait été énorme, historique, ça nous a un peu bouleversé.e.s. Le hashtag #IntersexesEnTêtePride2019 a pris une ampleur phénoménale, nous avons été dans les cinq premières tendances nationales toute la journée du lundi qui a suivi. On a fini par parler de nous dans les médias, même si c’est encore bien timide. Beaucoup d’assos et de collectifs, ainsi que des personnalités, ont relayé le mouvement, avant et après son déroulement, et ont fait grimper notre visibilité.

Que devraient faire les associations pour mieux soutenir et porter les revendications des personnes intersexes ?

Les associations, collectifs et autres doivent toujours prendre en compte le fait que les luttes intersexes ont besoin de visibilité. Mais aussi que les militant.e.s inter sont, en France, encore très peu nombreux.ses et déjà surchargé.e.s de travail. À mon sens, le plus urgent est de nous entendre, nous écouter, nous permettre de les former, de s’assurer qu’on n’instrumentalise pas une parole ou une lutte, de nous faire une place digne, même si c’est difficile, même si ça demande plus d’efforts.

« Il n’y a qu’une seule association inter en France : les assos ont la responsabilité de tout faire pour la mettre en avant »

Il n’y a qu’une seule association inter en France : les associations ont la responsabilité de tout faire pour la mettre en avant, faciliter son inclusion. Nous produisons beaucoup de documentation, nous travaillons vraiment dur. Les associations et organismes ont longtemps pensé qu’on était une quantité négligeable de la communauté, je crois que samedi dernier on leur a prouvé le contraire.

  • phil86

    Il y en a marre de ce pugilat permanent au sein des association LGBT.