3 questions à Marielle, Pierrine et Elisa de la chaîne YouTube « Viens voir le docteur »

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« On se défait de tous les marqueurs de position sociale ou de paternalisme inutiles, on intègre d’autres dimensions à la santé que strictement clinique, on propose une vision de santé inclusive et on en profite pour questionner les pratiques ou les postures médicales »

Viens voir le docteur - pilules
Des pilules - freestocks.org / Unsplash

Marielle, Pierrine et Elisa ont la trentaine et travaillent dans la santé publique dans la région de Lille. Les deux premières sont médecins et Elisa est cheffe de projet santé. Ensemble, elles ont créé la chaîne YouTube Viens Voir le Docteur (VVLD) en avril 2017. Dans la veine des mouvements #payetablouse et consorts, elles s’engagent via leurs vidéos (mais pas que !) pour un branle-bas-de-combat dans le monde médical, que ce soit dans l’institution hospitalière, dans la formation des professionnel.le.s de santé, ou dans la politique de santé publique et de prévention à l’échelle nationale.

Sans blouses blanches mais en cuir et chemises à carreaux, elles expliquent aussi simplement que politiquement l’actualité médicale : elles décortiquent les débats sur l’obligation vaccinale, les conséquences de la loi travail sur les organismes, expliquent ce que c’est que l’endométriose ou la drépanocytose

Après la mort de Naomi Musenga, elles ont posté une super vidéo contre le paternalisme médical et la conception de l’irresponsabilité supposée des patients et surtout des patientes.  Elles ont aussi parlé de la fabrication médiatique de la loi Élan et du handi-washing du gouvernement.

Pour leur super travail, Viens Voir Le Docteur a été sélectionnée par l’Association des journalistes LGBTI aux OUT d’or 2018. Bref, chez Komitid, on aime beaucoup le travail des trois jeunes femmes et on a voulu en savoir plus sur leurs intentions !

Comment en êtes vous venues à créer Viens Voir le Docteur (VVLD) ?

On pourrait présenter un rationnel cohérent mais c’est surtout les circonstances qui nous ont menées là. Elisa quittait son boulot de chargée de projet, Pierrine se formait à l’éducation en santé et moi (Marielle, ndlr) je commençais à tourner en rond sur mes bases de données. Pierrine a suggéré l’idée de monter quelque chose en santé publique qui aurait le bon goût de nous amuser et de combiner les compétences de chacune. C’est là qu’est venue l’idée de monter ce projet.

Maintenant que le projet a mûri, on ne se le représente pas vraiment comme une chaîne YouTube – surtout qu’on n’est pas des grandes techniciennes – mais plutôt comme un projet de santé publique au sens large, bien que la principale expression du contenu se développe sur YouTube. Que ce soit sous format vidéo, dans des interventions, des articles ou dans le cadre de projets de terrain, c’est d’abord l’occasion de faire connaître la santé publique, un champ médical encore mal connu y compris des médecins, et de présenter une autre vision de la santé plus globale : une vision politique et sociétale. En France, on est encore en retard dans ce domaine. On a effectivement des émissions santé mais qui sont souvent très consensuelles et qui ne vont pas beaucoup plus loin que «  comment ça marche ? ».

« In fine on souhaite favoriser une vision de santé inclusive qui parle à un large public et davantage aux jeunes générations »

Le but, c’est d’ouvrir au maximum le champ de réflexion lié à la santé (prévention, politique de santé, histoire de la médecine, actu…). On favorise le traitement de sujets de santé tabous ou invisibilisés comme l’endométriose ou la drépanocytose, on essaie de présenter des angles de réflexion différents sur les enjeux politiques et sociaux pour in fine favoriser une vision de santé inclusive qui parle à un large public et davantage aux jeunes générations.

Récemment de nombreuses sonnettes d’alarme ont été tirées contre les violences médicales liées au genre. Comment entendez-vous changer les choses dans le cadre professionnel ?

Ça fait effectivement plusieurs années que la communauté médicale est amenée à s’interroger sur son comportement avec les patientes, on le voit avec des mouvements comme #payetablouse qui illustre la prise de parole en dehors mais aussi au sein de la communauté médicale.

Les choses sont en train de changer dans le cadre professionnel puisque les jeunes générations montent de plus en plus au créneau contre le système culturel et politique des études médicales et de la profession en général. Tu vas me dire que je n’avance pas de chiffres, mais c’est un sentiment général que ressentent les jeunes médecins. Et d’ailleurs on le voit avec les positions politiques des associations d’internes, avec la dénonciation des dérives venant de l’intérieur… Mais oui, ce sera sans doute encore très long, compte tenu des habitudes corporatistes et des processus d’ascension dans la carrière médicale qui fonctionnent beaucoup par cooptation.

« On se défait de tous les marqueurs de position sociale ou de paternalisme inutiles, notamment la blouse »

Par contre, les attaques venant de l’extérieur, sous forme de scandale comme ça a pu l’être avec l’affaire Naomi, se feront plus en plus nombreuses et mèneront inévitablement à une remise en question voire à des réformes.

Avec VVLD, on essaie d’aborder la santé de façon innovante sur le fond comme sur la forme. On se défait de tous les marqueurs de position sociale ou de paternalisme inutiles, notamment la blouse, on intègre d’autres dimensions à la santé que strictement clinique, on propose une vision de santé inclusive (quand un sujet est abordé, on s’arrange pour traiter le sujet en tenant compte des spécificités des diverses communautés) et on en profite souvent pour questionner les pratiques ou les postures médicales.

En quoi les personnes LGBT+ sont-elles plus sujettes au manque d’accès à la prévention médicale ?

Si on ne se focalise que sur la prévention et la promotion de la santé, on pourrait soulever plusieurs problèmes. D’abord, la timidité des campagnes de prévention dans le fait de cibler les communautés, de peur de choquer la population générale ou au contraire de stigmatiser les concerné.e.s.

La méconnaissance et/ou la mauvaise compréhension des problématiques de santé spécifiques aux personnes LGBT+ est également une raison à tout cela. Il y a un manque criant d’études de qualité à ce sujet, qui en plus est c’est loin d’être un ensemble homogène, particulièrement sur le plan de la santé. Chaque sous-catégorie (lesbiennes, gays, bi, trans…) fait face à des problèmes spécifiques qui n’ont rien à voir avec ceux des autres.

Troisième point, et non des moindres, les mécanismes d’exclusion et de marginalisation des personnes LGBT+ qui contribuent à les éloigner du système de soin en général.