Cédric Succivalli, jury de la Queer Palm 2023 : « La représentation queer dans les festivals est capitale »

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Komitid s'est entretenu avec Cédric Succivalli, membre du jury de la Queer Palm 2023, sur son rôle en tant que critique et programmateur dans la diffusion du cinéma queer international.

Cédric Succivalli - Pedro Usabiaga
Cédric Succivalli - Pedro Usabiaga

Quelle a été votre réaction quand on vous a proposé d’être membre du  jury de la Queer Palm ?

J’étais enchanté pour deux raisons. La première c’est qu’étant moi-même une personne queer, c’est une évidence même. Puis parce que j’estime que la représentation du cinéma queer dans les grands festivals, de catégorie et pas uniquement, est capitale. On parle parfois de prix qui compartimentalisent et mettent les choses dans des boites. Je pense que c’est exactement le contraire. C’est pour donner une visibilité qui dépasse complètement le médium, c’est pour montrer qu’à l’intérieur du médium-cinéma, on peut aussi parler de subdivisions identitaires tout en faisant du cinéma. Ce n’est donc pas pour dire que c’est un prix exclusivement queer, c’est pour dire qu’il y a dans le cinéma des histoires queer qui doivent être mises en avant. C’est très important pour les jeunes de la nouvelle génération d’avoir de tels prix, ça leur donne des points de repère et leur permet de poser des jalons sur leurs identités et comment continuer à les construire par la culture. C’est capital.

Donc selon vous, ces prix-là sont toujours nécessaires aujourd’hui ?

Moi je vis en Italie, où on a un gouvernement d’extrême droite avec l’horrible Giorgia Meloni. J’ai beaucoup d’amis plus jeunes que moi qui souffrent tellement de la transphobie, de l’homophobie et de la lesbophobie qu’ils ont plus que jamais besoin de reconnaissance. Ça passe par le prisme de la culture. Tout passe par le prisme de la culture. C’est la culture qui crée la société, et donc un prix c’est rendre visible, permettre aux gens de s’émanciper, de se sentir eux-mêmes. Donc oui je pense que ces prix sont toujours aussi importants.

Vous connaissiez le travail de chacun des autres jurés ?

Oui bien sûr. J’avais vu le film de Zeno Graton (Le Paradis, ndlr) à Venise, j’ai évidemment vu tous les films d’Isabel Sandoval, je connais très bien le cinéma de Louise Chevillotte dont je suis un fan absolu, et bien sûr John Cameron Mitchell est quelqu’un qui m’a toujours énormément bouleversé. J’avais eu la chance à l’époque d’être à la première séance de Shortbus à Cannes en Salle Lumière, et de toute mon expérience cannoise et 20 ans de festival, c’est la projection la plus excitante et jubilatoire que j’ai jamais vue. C’était une montée d’adrénaline sexuelle.

En plus de votre travail de programmateur, vous êtes aussi président de l’International Cinephile Society. Vous pouvez nous en dire plus ?

C’est une société de 100 critiques dans le monde entier, sur les cinq continents, qui ont entre 16 ans à 80 ans, avec toutes les couleurs du monde et tout le rainbow flag du monde. On travaille pour couvrir les festivals les plus importants sur un mode purement non-commercial et non-mercantile. L’idée est juste de mettre en avant nos coups de cœur. Avant d’être un travail bénévole, c’est avant tout un immense plaisir, on veut rester totalement indépendants.

Avec cette place particulière que vous avez, de critique et de programmateur, qui vous offre une vue à 360 degrés sur le cinéma queer mondial, quel regard portez-vous sur son évolution et son état actuel ?

Je suis ravi de voir que depuis deux-trois ans on a de plus en plus de films qui sont pro-actifs et qui ne sont pas que des histoires dramatiques et misérabilistes. Le film de mon co-juré Zeno Graton, Le Paradis, en fait partie. Ce sont des films qui montrent des voies qui nous permettent de nous émanciper et de ne pas être uniquement dans la punition ou dans le film moral-sociétal-social pour le dimanche soir sur TF1, mais plutôt dans la revendication d’un amour et d’une identité. C’est très important de voir cette nouvelle direction, qui est visible partout, sur les cinq continents.

Aujourd’hui ces films restent commercialement très fragiles, ils rapportent peu et on du mal à être distribués. Est-ce que vous reconnaissez la portée militante que constitue la mise en avant de ces oeuvres par vos médias ?

Totalement, pour moi c’est fondamental. Je ne regarde jamais un film par rapport au prisme queer, parce que je suis programmateur d’un festival généraliste et pas exclusivement queer. Je vais en Colombie au mois de juin pour le 22ème festival queer de Bogota, où on m’a demandé de choisir six films queer à projeter. Au Festival de Venise, où je travaille en tant que programmateur, je suis très fier que dans notre section qui compte 15 films, on en avait six qui étaient éligibles pour le Queer Lion, dont Blue Jean ou Loup & Chien. L’idée c’est d’accompagner ces films et de donner mon assentiment sur leur travail. Quand un film est passé par chez nous, je fais tout un travail en sous-terrain avec d’autres programmateurs du monde entier, je téléphone à tous mes amis pour leur conseiller et diffuser au maximum les films queer aussi dans des festivals non-queer. J’aime que nos films puissent dépasser la frontière des festivals queer – qui restent capitaux – et qu’ils rentrent dans des catégories autres.

Quel film auriez-vous adoré récompenser d’une Queer Palm ?

C’est un peu problématique parce que c’est celui de ma co-jurée, Isabel Sandoval (Rires). Brooklyn Secrets est un film que j’ai moi-même sélectionné à Venise en 2019 et qui est fondateur du nouveau cinéma indépendant américain transversal qui m’a bluffé à un point hallucinant. D’ailleurs je continue à faire voyager le film aujourd’hui, en 2023. Les films ont une durée de vie indéfinie pour peu qu’on les soutienne.

Vous vous souvenez du premier film queer que vous avez vu ?

C’était Querelle de Rainer Werner Fassbinder, que j’ai vu très jeune, à 11 ans, et j’étais amoureux fou de l’acteur (Brad Davis, ndlr) et de Jeanne Moreau !