John Cameron Mitchell, président du Jury de la Queer Palm : « Être queer est un immense privilège »

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Dans le cadre de notre couverture du Festival de Cannes, Komitid s'est entretenu avec John Cameron Mitchell, réalisateur entre autres de « Hedwig and the Angry Inch » et « Shortbus », et président du Jury de la Queer Palm 2023.

John Cameron Mitchell - Matthewv Placek
John Cameron Mitchell - Matthewv Placek

Komitid : Quelle a été votre réaction quand on vous a proposé d’être le président du Jury de la Queer Palm ?

John Cameron Mitchell : C’était horrible, ça fait des années que j’essaie de retourner dans le placard (Rires) ! Nan c’est fantastique. Je suis ravi que Franck (Finance-Madureira, créateur de la Queer Palm, ndlr) ait fait quelque chose d’officiel avec ce prix et soit allé jusqu’au bout. C’est génial d’être “la madame Président” (Rires).

Vous avez déjà présenté deux films à Cannes, « Shortbus », en 2006 et « How to talk to girls at parties », en 2017. Quelle est votre relation avec le Festival ?

Malheureusement je ne pense pas que ce soit encore l’endroit idéal pour les petits films indépendants et intéressants. C’est surtout un endroit qui tourne beaucoup autour de l’argent. Aujourd’hui, pour ces films ce n’est pas un très bon moment.

C’est pour ça que vous réalisez peu de films ?

Avec le digital, le streaming, les gens ne courent plus au cinéma. En Europe il y a encore quelques pays et des gouvernements qui supportent les films intéressants, mais certainement pas les Etats-Unis. Il faut donc avoir de gros bagages à ses côtés, que ce soit de bons patrons, de la famille influente, ou une immense star attachée au projet. Ou bien c’est Netflix qui le fait. Faire des films intéressants n’est plus vraiment en vogue à Hollywood. Moi je m’en sors bien parce que je m’intéresse à différentes choses, mais oui malheureusement j’ai pris un peu de recul quant à la réalisation parce que c’est devenu tellement compliqué à financer et distribuer.

Vous n’avez pas d’envie de revenir au cinéma ?

Si je pense que je reviendrais à un moment ou à un autre bien sûr. En fait il y a une histoire que j’ai très envie de raconter, celle de Claude Cahun. C’était une photographe française, juive et lesbienne qui s’habillait en différents personnages avec sa copine. Elles habitaient dans les îles britanniques de Jersey qui était à l’époque occupées par les nazis. Ensemble elles ont décidé de faire une résistance à leur échelle, avec des tracts de propagandes et des photos, parce que personne d’autre ne le faisait. Et il a fallu attendre des lesbiennes pour le faire (Rires) ! Puis Cahun a été trahie, arrêtée en 1944 et a failli être exécutée. Après ça elle a fait une photo d’elle avec le signe de l’aigle nazi dans sa bouche. Elle était vraiment badass, je ne peux pas croire que son histoire n’a jamais été racontée au cinéma. J’aimerais beaucoup le faire, en anglais ou en français, en film ou en série peu importe.

Quel regard portez-vous sur « Hedwig and the Angry Inch », votre premier film sorti en 2001, 22 ans plus tard ?

Quand on a survécu à l’arrivée du VIH, et que les années sont passées, je sentais déjà que les personnes queer ne voulaient plus rester gentiment en place. Ça a été un moment fou pour la lutte pour les droits LGBTQ+. Ce film rentrait dans cette idée, d’un film qui ne s’excuse pas. C’est pour ça que maintenant, où que j’aille, j’ai envie de soutenir le cinéma queer. Hedwig and the Angry Inch avait été un immense privilège parce que le film m’avait fait rencontré des milliers de personnes qui en parlaient entre elles… Commencer par ce film m’a permis d’avoir une vie incroyablement éclectique en tant qu’artiste. J’ai traversé le monde, et le faire en tant que personne queer m’a ouvert au monde. Tu peux aller dans une ville, découvrir les petits lieux secrets et ainsi connaître la ville mieux que ses propres habitants. Être queer est pour moi un immense privilège. Après on en fait ce qu’on veut, on peut être chiant, normé, conformiste, ou on peut faire quelque chose de nouveau.

Vous interprétiez dans ce premier film une drag queen. Aujourd’hui, en France comme aux Etats-Unis, ces artistes sont les cibles de l’extrême-droite. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Tout ça est juste une couverture pour recouvrir leur transphobie selon moi. Dans leurs yeux, le drag et la transidentité sont la même chose. Au même moment on adopte des lois anti-trans concernant la jeunesse. Même si bien sûr les deux n’ont rien à voir, si ce n’est la communauté LGBTQ+. Donc c’est évidemment ridicule, absurde, et je ne peux pas imaginer ces lois être réellement adoptées à la Cour Suprême. Elles ne sont même pas claires et n’ont aucun fondement. Maintenant les trans sont les nouveaux boucs émissaires. C’est plus rassembleur que les immigrés et les autres minorités, et ça permet à l’extrême-droite d’unifier la haine de chacun. C’est ce que les conservateurs adorent faire. Mais je pense que ça passera à un moment ou un autre et… ils trouveront un autre groupe.

Vous avez récemment dit que Todd Haynes était l’une de vos « mothers » de cinéma. Vous pouvez nous en dire plus ?

Oui, il l’est avec Gus Van Sant et Almodovar. Dans les années 70, même si leurs films n’étaient pas toujours à mon goût, la façon dont ils faisaient du cinéma l’était. Et beaucoup de leurs longs-métrages étaient en plus brillants ! Leur manière de réaliser par eux-mêmes, avec leurs amis, en laissant le système venir vers eux plutôt que de changer pour lui…. Cassavettes a commencé ça dans les années 60 aux Etats-Unis, puis la Nouvelle Vague française, tout ça sont des choses très punk ! Et j’adore ça. Todd est devenu un ami et un collègue, il a produit Hedwig par la suite. Il a changé ma façon de voir le cinéma, de travailler avec les acteurs, là où j’étais au début assez conservateur dans ma manière de diriger mon casting.

Vous avez hâte de voir son nouveau film ?

Oui très, même s’il n’est pas queer (Rires). Mais je ne peux pas le blâmer pour ça, quand on est un cinéaste queer en général on aime parler de notre particularité dans nos premiers films. Si l’on a l’opportunité, comme Todd, de faire beaucoup de films, on préfère explorer d’autres choses. Moi-même je ne m’intéresse pas qu’à ça, il y a plein d’histoires à raconter.

Si vous pouviez choisir de remettre une Queer Palm à un film, ce serait lequel ?

Je dirais Happy Together de Wong Kar-Wai, que je trouve assez brillant. Je me suis rendu compte avec le temps que beaucoup de mes films queers préférés étaient réalisés par des hétéros, et c’est sûrement lui mon favori ! Il y a aussi Un après-midi de chien de Sydney Lumet. Je pensais que ça allait être un peu problématique, mais c’était en fait “problémagique” (Rires). C’est l’histoire vraie d’un homme qui vole une banque pour payer la transition de son petit copain, en 1975 ! Et c’est absolument génial. Chris Sarandon, John Cazale et Al Pacino sont géniaux, et leurs personnages tellement dignes. Encore un film réalisé par un hétéro (Rires). Paris is Burning évidemment aurait dû gagner une Queer Palm. Il y en a trop !

Vous avez créé il y a plusieurs années la Nuit Queer à Cannes, une soirée annuelle qui a beaucoup de succès. D’où venait cette initiative ?

Quand je venais à Cannes au début des années 2000, je me disais toujours que ce n’était jamais assez queer, pas autant que ça devrait l’être en tout cas. Il y avait un bar gay, le Zanzibar, où tous les Américains queer et les autres traînaient. Puis ça a fermé, donc en 2006 j’ai crée la Nuit Queer au Pavillon américain de la ville, pour avoir une sorte de fête anti-Cannes. Je détestais toutes les soirées cannoises hyper sélectives. L’idée c’était de faire une soirée ouverte à tout le monde, où il fallait juste faire la queue assez tôt pour rentrer. Ça a été un succès très rapidement, et elle a lieu maintenant tous les ans même quand je ne suis pas là pour faire le DJ. On n’est pas là pour passer la même musique qu’ils mettent depuis 50 ans, et ça fait du bien. Ici à part les prix rien ne change jamais !