Leonie Krippendorff, réalisatrice de « Kokon » : « C'est le premier film allemand qui montre un amour entre deux jeunes filles »

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Leonie Krippendorff, la réalisatrice allemande du fabuleux « Kokon », en salles le 5 avril, s'est confiée à Komitid sur la carrière de son film, les premiers amours queer au cinéma, et la complexité de ses personnages féminins.

Leonie Krippendorff, réalisatrice de « Kokon »
Leonie Krippendorff, réalisatrice de « Kokon » - DR

Autrefois denrée rare au cinéma, les teen-movie LGBTQ+ sont devenus depuis quelques années monnaie courante. Les studios américains s’en sont emparés comme un nouveau produit d’appel d’une cible jeune bien plus habituée et ouverte à ces représentations.

Récemment, la Fox avec Love, Simon (puis sa série dérivée Love, Victor), Netflix avec Crush ou encore Prime Video avec Anything’s Possible se sont alignés dans cette mouvance, appliquant les même codes feel-good et quelque peu balisés qui font le sel du genre aux récits de personnes queers.

À côté de cela, le cinéma international et indépendant, lui, continue d’explorer l’âge de l’adolescence avec inspiration. Kokon, réalisé par l’allemande Leonie Krippendorff, est de ces films simples en apparence, sans grands effets de style ni gros budget, qui arrivent cependant à nous enchanter par la force de son intelligence et de sa sincérité.

Dans un Berlin caniculaire, et alors qu’elle vient de se casser le bras, la jeune Nora, 14 ans, est transférée dans la classe de sa grande sœur pour un temps. En pleine puberté, Nora observe avec une certaine insouciance son corps changer et ses désirs pour les filles s’éveiller. Cette transformation, la réalisatrice la filme avec grâce et complexité, à la manière de ses multiples personnages féminins, tous élégamment écrits pour ne jamais être de simples représentations binaires de la féminité. Porté par une troupe d’actrices bourrées de talent, qui crèvent sans cesse l’écran, le film dépasse assez rapidement son statut de simple teen-movie pour proposer une belle réflexion sur la place que les réseaux sociaux ont pris dans la vie d’une jeune fille comme Nora, pour le meilleur comme pour le pire. Le tout élevé par une énergie survoltée et enthousiasmante, qui fait de ce beau (petit) film un rendez-vous à ne pas manquer.

Komitid a pu s’entretenir avec la réalisatrice Leonie Krippendorff qui nous a parlé de la sortie de son film en plein Covid, de la représentation des jeunes lesbiennes dans le cinéma allemand et de son amour pour ses personnages.

Komitid : Vous avez dit que votre adolescence était très différente de celle de votre personnage principal Nora. En quoi ?

Leonie Krippendorff : En fait elles n’étaient peut-être pas si différentes que ça. Bien sûr elles n’étaient pas similaires surtout parce que je viens d’une autre génération qui n’avait pas les réseaux sociaux. Je n’ai donc pas grandi avec la pression qui leur est spécifique. J’ai grandi dans le même endroit que Nora, plus ou moins, avec le même cocon émotionnel que j’ai essayé de retranscrire en elle. J’ai fait beaucoup de recherches pour comprendre ce que les jeunes filles vivaient et ressentaient aujourd’hui. Les souvenirs de ma jeunesse, de ma puberté, se sont donc mélangés à ces nouveaux éléments.

Vous montrez aussi à plusieurs reprises des jeunes qui se réfèrent à Internet dès qu’ils doivent faire une chose pour la première fois (comme mettre un tampon…). C’est quelque chose que vous leur enviez ou au contraire que vous critiquez ?

Je pense que je ne veux rien critiquer de particulier. Je préfère simplement observer comment les jeunes grandissent avec ce nouvel outil, ce dont je n’ai pas eu le chance justement. Je ne pouvais pas juste regarder une vidéo Youtube pour savoir comment utiliser un tampon, on devait demander à quelqu’un d’autre, ce qui vient avec des aspects à la fois positifs et négatifs. Moi j’avais une relation assez intime et proche avec ma mère, qui me faisait comprendre qu’il n’y avait aucun problème avec le fait de poser toutes sortes de questions. C’est pour ça que je pense que pour ces enfants qui ne sont pas aussi proches de leurs parents, les réseaux sociaux sont comme une bénédiction. Ils peuvent avoir quelqu’un à qui parler, des informations dont ils ont besoin…. C’est le cas pour beaucoup de personnes queer.

Nora commence à s’épanouir lorsqu’elle rencontre une autre fille comme elle. Il y a une très belle scène en pleine Pride berlinoise entre elles deux. Les bienfaits d’appartenir  à une communauté, c’est quelque chose que vous avez aussi ressenti pendant votre jeunesse ?

Personnellement je pense que j’étais un peu plus solitaire quand j’étais jeune, mais j’ai rapidement pris la mesure de la force et de la puissance qui peuvent émaner des rencontres entre personnes queer. C’est un sentiment magnifique de se sentir appartenir à un groupe. Et je n’ai évidemment pas que des amis queer, mais c’est primordial pour les personnes LGBTQ+ de se réunir et de se supporter les un·es les autres.

D’ordinaire dans les teen-movies, même s’ils sont centrés sur une jeune fille, il y a toujours pléthore de personnages masculins : un meilleur ami gay, un garçon populaire, un papa poule…. Dans « Kokon », ce qui est frappant, c’est la pluralité des personnages féminins, tous très différents, là où les garçons ont très peu de temps d’écran…

Oui j’en avais vraiment envie. L’idée c’était de me concentrer sur elles pour ne pas en faire des personnages trop binaires. En traînant et en discutant avec des jeunes filles, j’ai appris à comprendre leurs perspectives, leurs actions et leurs motivations. Elles sont à la fois des fortes têtes, parce qu’elles ont besoin de s’affirmer dans ce quartier très masculin pour ne pas se faire bouffer, mais elles restent des jeunes filles sujettes au monde moderne et au traitement qu’il leur réserve. Elles sont féroces d’un côté et terriblement mignonnes de l’autre, entre elles. Je les ai interviewées, j’ai parlé de script avec les actrices, et c’est l’idée principale qui en est ressortie. Elles ont vraiment eu envie de soutenir cette histoire.

« J’avais envie de faire de Kokon ce film que j’aurais aimé voir plus jeune, et que les jeunes filles lesbiennes d’aujourd’hui pourraient regarder pour se sentir vues »

Le Berlin que vous filmez paraît extrêmement vivant et palpable. Le quartier en lui-même avait-il une importance particulière pour vous ?

Oui, c’était très important. j’ai grandi près de ce quartier (Kreuzberg, ndlr), j’y passais le plus clair de mon temps. C’est un quartier victime de stéréotypes parce qu’il y a beaucoup de dealers, de violences, de vols à l’arrachée. On dit que les femmes n’y sont pas en sécurité… Je voulais donc le montrer sous un autre jour, celui d’où moi je l’ai connu. Il y a tellement de choses merveilleuses, c’est tellement coloré, tellement multi-culturel, pour moi c’est le cœur de Berlin. Je voulais aussi montrer que des personnages timides et sensibles comme Nora pouvaient exister dans un environnement difficile, qu’ils n’avaient pas besoin de travestir leur personnalité pour vivre. Elle a sa propre stratégie pour survivre. C’est pour ça que j’ai voulu qu’elle y soit.

En général, ce que vous voyez des premiers amours queer au cinéma vous satisfait-il ?

C’est à peine croyable, mais en me renseignant j’ai appris que c’était le premier film allemand qui montre un amour entre deux jeunes filles. En préparant le film, je cherchais d’autres exemples pour m’appuyer dessus, m’inspirer peut-être, mais il n’y en avait aucun ! Encore aujourd’hui, je n’en ai trouvé aucun et personne ne m’en a donné non plus. J’ai trouvé ça dingue parce que quand on a 14 ans, c’est généralement l’âge où on découvre l’amour pour la première fois, et qu’on découvre qu’on aime les personnes de même sexe. J’avais donc envie de faire de Kokon ce film que j’aurais aimé voir plus jeune, et que les jeunes filles lesbiennes d’aujourd’hui pourraient regarder pour se sentir vues.

Le film est sorti en 2020 en Allemagne. Trois ans plus tard, comment avez-vous vécu l’expérience d’accompagner ce film et son accueil par le public ?

On a fait la première du film à la Berlinale en 2020 un peu avant le confinement. C’était assez irréel sur le moment, parce que j’ai vraiment mis tout mon cœur dans ce film, pendant plusieurs années. On a eu très peu d’argent pour le tourner. Donc c’était très émouvant de le voir sélectionné à Berlin, de le montrer au public et de le projeter dans plusieurs autres festivals à travers le monde. Puis tout a été bloqué, j’avais l’impression que c’était la fin. Mais pas du tout, ce n’était finalement qu’un début !  J’ai voyagé partout dans le monde via Zoom pour le présenter dans plus de 70 festivals internationaux. C’était une fenêtre superbe sur le monde, de voir comment chaque pays recevait le film, se connectait au film à leur manière. Tout a été très positif.

« Kokon », avec Lena Urzendowsky, Jella Haase, Lena Klenke, réalisation Leonie Krippendorff, en salles le 5 avril.