À Paris, la cinéaste féministe Carole Roussopoulos enfin mise à l'honneur

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À Paris, un jardin change de nom en hommage à la cinéaste féministe Carole Roussopoulos, réalisatrice de dizaines de passionnants documentaires militants à partir des années 70.

Carole Roussopoulos dans « Delphine et Carole, Insoumuses » - Alba Films

Après le Jardin Monique Wittig et l’Allée Chantal Akerman en 2020, c’est au tour d’un nouvel espace parisien d’être rebaptisé pour rendre hommage à une figure féministe importante.

Vendredi 12 mars, le Jardin du Moulin de la Vierge situé dans le 14ème arrondissement de Paris, est officiellement devenu le Jardin du Moulin de la Vierge – Carole Roussopoulos !

Une inauguration joyeuse malgré les intempéries météo, où son amie de toujours, la chanteuse Brigitte Fontaine, lui a rendu un hommage émouvant : « Combattant l’injuste, tu étais une juste » a t-elle dit avant que les festivités soient déplacées à l’Entrepôt, cinéma tenu par Carole Roussopoulos pendant plusieurs années.

Cinéaste passionnante et militante féroce, Carole Roussopoulos est à l’origine d’une multitude de films documentaires passionnants, sur différents mouvements grévistes, ouvriers et sociaux (le Fhar, les Black Panthers…).

Le 1er juin 2022, lors du vote de cette délibération au Conseil de Paris, portée par Laurence Patrice (adjointe à la Maire), la journaliste et militante féministe Alice Coffin expliquait dans un long discours, avec le sourire aux lèvres, devoir son engagement à la cinéaste :  « Je voudrais en quelques mots vous dire pourquoi c’est important que le plus grand nombre possible de personnes, et en particulier les militantes féministes confirmées ou en herbe, à venir voient ses œuvres. Je dis à venir parce que moi c’est grâce à un film de Carole Roussoupoulos vu dans un cinéma Utopia un soir du début des années 2000 que je suis devenue activiste féministe. Pas à cause des injustices quotidiennes, du sexisme omniprésent, de la colère, mais grâce à la joie et au bonheur qui irradiaient de ce film consacré aux militantes du MLF. Je me suis dit, c’est ça que je veux faire dans la vie ».

 

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Artiste, militante et pionnière

Née à Lausanne, arrivée en 1967, à l’âge de 22 ans, dans la capitale, Carole Roussopoulos se munit rapidement d’une des premières caméras vidéo portables vendues en France, lui permettant de filmer le réel du plus près possible, seule et dès qu’elle le souhaite. En 1971, elle fonde avec son mari, le peintre Paul Roussopoulos, le premier collectif de vidéo militante, qu’ils nomment Video Out.

Tout au long de sa carrière, et à travers pas moins de 120 documentaires (au format long ou court), Carole Roussopoulos a tourné sa caméra vers les invisibles, ceux que l’on ne voit et n’écoute jamais : elle donne la parole aux femmes qui avortent dans Y’a qu’à pas baiser !, aux militant·es gays et lesbiennes dans Le F.H.A.R. (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire), aux prostituées dans Les Prostituées de Lyon Parlent, aux Palestinien·nes dans Munich, aux immigré·es dans Le Juge et les immigrés, aux victimes d’inceste dans L’inceste, la conspiration des oreilles bouchées et aux victimes du fascisme franquiste dans Mères espagnoles.

Parmi ses documentaires les plus connus, il y a Maso et Miso vont en bateau (en référence au film de Jacques Rivette, Céline et Julie vont en bateau), qu’elle co-réalise avec l’aide de Delphine Seyrig et Iona Wieder en 1976. Avec humour et moquerie, elle décortique la misogynie crasse de Bernard Pivot lors d’une émission télé où il fait face à Françoise Giroud, secrétaire d’état chargée de la Condition féminine.

Ensemble, elles réaliseront aussi Scum Manifesto, où l’actrice de Jeanne Dielman lit à haute voix des passages du roman éponyme de Valérie Solanas, texte culte de la littérature féministe. Son œuvre, bien qu’engagée et revendicative, est empreinte d’une légèreté rare. Que ce soit des avortements ou des réunions de militants LGBTQ+, Carole Roussopoulos appose un regard rafraichissant et inédit sur ses sujets bouillonnants d’énergie.

En 1982, toujours accompagnée de ses deux acolytes, elle fonde le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, soit le tout premier lieu de production et d’archivage de documents audiovisuels consacrés aux femmes.

Souvent, elle déclarait vouloir montrer, par ses films, que « c’est un grand bonheur et une grande rigolade de se battre ». En 2004, elle est nommée Chevalière de la Légion d’Honneur, avant de décéder cinq ans plus tard, en 2009. Près de quinze ans après sa mort, la pertinence, l’acuité, et l’irrévérence de son travail sont toujours intactes.

Plus que jamais, il est important de montrer ses films, de les partager et d’en parler. Cet hommage qui lui est fait aujourd’hui, en donnant son nom à ce beau petit parc, est bien la moindre des choses face à l’immensité de son héritage. En 2021 sa fille, Callisto McNulty, réalisait le superbe documentaire Delphine et Carole, insoumuses, qui revenait sur cette collaboration éclairante et leurs combats communs.

Une partie des films de Carole Roussopoulous sont disponibles gratuitement sur Youtube !