Rosa Bonheur: un destin extraordinaire entre nature, femmes et cow-boys

Publié le

Elle a peint boeufs, chevaux et lions comme personne, passionné les cow-boys et les féministes : Rosa Bonheur, icône lesbienne et artiste éprise de nature et de liberté, a traversé le XIXe siècle comme une comète tombée dans l'oubli.

Portrait de Rosa Bonheur par Anna Klumpke, 1906 - Everett Collection / shutterstock
Portrait de Rosa Bonheur par Anna Klumpke, 1906 - Everett Collection / shutterstock

2022, année de commémoration du bicentenaire de sa naissance à Bordeaux, ressuscite cette femme au destin extraordinaire, plus connue aujourd’hui pour les cafés parisiens qui portent son nom et comme icône lesbienne.

Marie Rosalie Bonheur alias Rosa Bonheur (1822 – 1899) est pourtant la femme peintre probablement la plus célèbre et la plus vendue de son siècle, tant en France qu’en Angleterre et aux États-Unis, pays qui la subjuguait mais où elle n’est jamais allée, s’accordent à dire les spécialistes.

Du haut de ses 1m50, c’est aussi la première femme artiste à avoir reçu la Légion d’honneur des mains de l’impératrice Eugénie. Et l’une des premières à avoir acheté en son nom propre un bien immobilier grâce au fruit de son travail à 37 ans, le château de By à Thomery près de Fontainebleau, où elle a vécu avec son amour de toujours, Nathalie Micas.

Aînée d’une fratrie de quatre enfants, devenus tous artistes, elle a pourtant connu la misère et perdu, à l’âge de onze ans, sa mère, musicienne, enterrée dans une fosse commune.

Formée par son père portraitiste, elle “a eu très tôt la vocation” et “l’ambition de devenir la Vigée-Lebrun des animaux” (Elisabeth Vigée-Lebrun, 1755-1842, grande portraitiste française, ndlr), expliquent à l’AFP les commissaires d’une rétrospective Rosa Bonheur qui débute mercredi à Bordeaux, Sandra Buratti-Hasan et Leïla Jarbouai.

Exposée dès l’âge de 19 ans au Salon – vitrine de l’art contemporain de l’époque – elle obtient la gloire en 1849 à 27 ans lorsque l’État français lui passe commande du “Labourage Nivernais”, exposé à Orsay.

Buffalo Bill

Quelques années plus tard, en pleine conquête de l’Ouest, son oeuvre circule partout en Angleterre puis en Amérique du Nord, grâce à ses amis marchands d’art dont Ernest Gambart, qui ont façonné et su vendre “son image”, selon les commissaires.

Son monumental “Marché aux Chevaux” sera offert par un riche industriel au Metropolitan Museum de New York et reproduit sur quantité de supports dont un papier-peint, marquant le firmament de sa notoriété américaine.

“La précision anatomique de son travail va séduire les +farmers+ américains qui découvrent grâce à elle les chevaux percherons et les importent”, raconte à l’AFP Natacha Henry, historienne du féminisme.

“Le colonel William Frederick Cody alias Buffalo Bill, lui-même, en tournée en Europe en 1889 avec son spectacle de cow-boys et d’indiens intitulé « Wild West Show  », vole à son secours pour capturer plusieurs chevaux jugés trop rétifs par l’artiste”, ajoute-t-elle.

L’historienne préface la réédition de la biographie officielle de Rosa Bonheur (“Souvenirs de ma vie”, Phébus, 2022), parue initialement en 1908 et écrite par l’Américaine Anna Klumpke qui a partagé la dernière année de vie de l’artiste.

De 34 ans sa cadette, cette jeune peintre est venue en France pour réaliser le portrait de son “modèle”, qui lui a confié la rédaction de sa vie.

Poupées à son effigie

L’admiration de Rosa Bonheur pour les États-Unis semble réciproque au point que “les féministes américaines de l’époque offraient des poupées à son effigie à leurs filles”, relève Mme Henry.

Plusieurs photographies la montre en pantalon et tunique, cheveux coupés court au carré dans son atelier ou en robe et chapeau, en public. Elle utilisait la photographie mais préférait peindre les animaux sur le vif en arpentant les marchés aux bestiaux, la campagne et les abattoirs, tout en soignant ses animaux domestiques dont plusieurs lions.

Fait marquant parmi tant d’autres, selon Mme Henry, Rosa Bonheur “a aussi dirigé à Paris une « école gratuite de dessin pour les jeunes filles  » qu’elles souhaitait voir emprunter son propre chemin vers l’indépendance financière”.

L’artiste a passé les 40 dernières années de sa vie au château de By dont 30 avec Nathalie Micas, également peintre et décédée en 1889. D’elle, elle disait : “si Nathalie avait été un homme je l’aurais épousée”.

Les deux femmes reposent avec Anna Klumpke dans le même caveau au cimetière du Père Lachaise.