Carolyn Hays : « Bien que je souhaite que ce récit touche un large public, je l'ai avant tout écrit pour ma fille »

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Au delà du témoignage personnel et poignant d'une famille, « Comment tu es devenue ma fille » (aux éditions Flammarion) est un récit passionnant et documenté sur le genre dans tous ses états et sous toutes les latitudes, un livre de colère aussi. Son autrice, Carolyn Hays, a répondu aux questions de Komitid.

La couverture de « Comment tu es devenue ma fille », de Carolyn Hays, aux éditions Flammarion

Les essais sur la transidentité se multiplient, ainsi que les récits de personnes trans et leur parcours souvent difficiles. Le livre de Carolyn Hays se situe à un autre niveau, puisqu’il s’agit de la lettre d’une mère à sa fille trans. Et au-delà, on comprend que l’autrice a « fait ses devoirs » puisque le livre nous convie aussi à un voyage dans le temps sur les traces du genre dans tous ses états et sur toutes les latitudes. Comment tu es devenue ma fille est aussi un livre de colère, face à l’ignorance, la bêtise et la transphobie ordinaire.

L’autrice a accepté de répondre aux questions de Komitid.

Komitid : Votre livre commence par cette phrase très forte : « Cette histoire n’est pas une tragédie ». Pourquoi était-ce important pour vous « d’annoncer la couleur » ?

Carolyn Hays : C’est une histoire intime. Le lecteur a été invité mais il n’est pas le public visé. Dans la lignée des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke ou, plus récemment, de l’essai étonnant de Ta-Nehesi Coates Between The World and Me (« Une colère noire. Lettre à mon fils », dans sa traduction française) , j’utilise l’adresse directe pour parler à une personne. Ma fille. Les tentatives précédentes pour raconter l’histoire de ce qui est arrivé à notre famille ont échoué parce que j’imaginais trop de types de lecteurs différents, tous à des niveaux différents de compréhension de ce que signifie être transgenre. Il était impossible d’écrire de façon aussi large. Une fois que j’ai compris que j’écrivais à ma fille, l’histoire s’est mise en place. Bien que je souhaite que cet essai touche un large public, je l’ai avant tout écrit pour ma fille et pour m’adresser à elle. Et je ne veux pas qu’elle présente cette expérience comme une tragédie. D’une part, il y a des réalités dévastatrices, brutales, violentes auxquelles les personnes trans sont confrontées au quotidien, de véritables drames. Ensuite, nous avons été fondamentalement changés en tant que famille à la suite de cette expérience, de la meilleure des manières. Nous n’avions aucune idée à quel point notre vision du monde était devenue étroite. Elle a ouvert grand les portes de nos cœurs.

« Nous avons été fondamentalement changés en tant que famille à la suite de cette expérience, de la meilleure des manières »

Pouvez-vous nous dire ce qui a déclenché cette envie de raconter cette histoire et le parcours de votre famille ?

Je suis écrivaine. Dès le début, j’ai su qu’il se passait quelque chose et que c’était intense, beau et bouleversant. Je savais aussi que je ne serais peut-être jamais autorisée à écrire publiquement à ce sujet ; et c’était bien parce que l’écriture n’est pas seulement ce que je fais professionnellement, c’est aussi la façon dont je traite mon existence, le monde qui m’entoure. Pour moi, c’est aussi nécessaire que respirer. Cela ressemble parfois à la façon dont je passe d’un battement de cœur à l’autre. Il n’y avait pas eu un moment en particulier parce que je l’écrivais toujours, à un certain niveau. Quant à la décision de le partager, j’ai dû attendre que ma fille soit assez âgée pour me donner la permission.

Vous vous écartez régulièrement de votre histoire familiale pour apporter des informations parfois méconnues sur l’histoire du genre. Je pense notamment à ce que vous décrivez chez les peuples d’Amérique avant la colonisation, mais aussi en Italie ou chez les Maoris. Pourquoi était-il important de se référer à l’Histoire ?

L’un des mythes les plus persistants et les plus répandus sur le fait d’être trans est cette idée étrange que c’est nouveau alors qu’en fait, les personnes trans ont existé à travers les cultures et à travers l’histoire. Je voulais non seulement dissiper ce mythe, mais aussi célébrer la vie des personnes trans, des vies si souvent effacées de l’histoire. Je pensais que je n’avais pas de contexte réel pour les vies trans. Le documentaire Disclosure sur les personnes trans dans l’histoire du cinéma et de la télévision a été tout à fait révélateur. Je n’avais aucune idée de la quantité d’images négatives dont j’avais été nourrie tout au long de ma vie par les médias. J’aime aussi la recherche, et donc cette collecte a été quelque chose que j’ai trouvé très enrichissant. Lorsque vous ouvrez les yeux, c’est là que vous prenez conscience des choses. Simplement en prêtant une plus grande attention aux gens qui m’entourent, j’ai soudainement réalisé l’incroyable diversité des genres qui a toujours été là, dans toutes ses incarnations étonnantes.

« J’ai réalisé que j’écrivais peut-être pour les personnes trans qui avaient besoin de ce transfert d’amour »

Votre livre regorge aussi d’anecdotes parfois très dures. Mais aussi des combats que vous avez menés pour surmonter les difficultés. Est-ce aussi un livre que vous avez écrit avec l’idée qu’il pourrait aider d’autres familles ?

Oui, mais c’est avant tout pour ma fille, notre famille. Et puis, à un certain moment de l’écriture, j’ai réalisé que l’adresse directe à ma fille – ce « toi » – ne devait pas être une porte fermée contre laquelle le lecteur se colle l’oreille. Ce « toi » est transférable, c’est un espace ouvert dans lequel quelqu’un peut emménager. J’ai réalisé que j’écrivais peut-être pour les personnes trans qui avaient besoin de ce transfert d’amour. Je veux que tu sois « toi », dans ce cas. Je veux que l’amour soit disponible pour tous ceux et celles qui en ont besoin. D’autres familles viennent après ça, dans mon esprit. J’ai trouvé que le documentaire français Petite Fille (de Sébastien Lifshitz, ndlr) parle brillamment à d’autres familles avec des enfants trans, mais il permet aussi beaucoup plus de compréhension de la part des personnes qui vivent à côté de ces familles. J’espère que ce récit va émouvoir les gens qui ne s’attendaient pas à être émus.

J’ai été très surpris par la présence de Jeanne d’Arc à côté de Marsha P. Johnson et Sylvia Ray Rivera ?

Moi aussi ! Mais quand on regarde l’histoire de Jeanne d’Arc, on y trouve une proximité. Je ne sais pas si Sainte Jeanne était trans, bien sûr, mais dans les documents de son procès (et de sa persécution), vous trouvez tant de références à ses cheveux et vêtements masculins, son manque de féminité et son défi aux questions de le genre. J’ai été fasciné par le travail que d’autres chercheurs ont mis en avant en ce qui concerne la façon dont elle a résisté aux normes de genre.

Vous revenez aussi longuement sur votre cheminement par rapport à votre foi. Voyez-vous une évolution de la religion sur ces questions ?

Un peu. L’Église catholique change très lentement. J’ai eu des moments d’espoir avec le pape François, et il y a eu de vrais revers. Je me suis donné beaucoup de mal pour examiner la position de l’Église sur les questions trans et j’ai essayé de trouver des moments de grâce ; ce n’est pas facile au milieu de toute leur homophobie, transphobie et misogynie profondément enracinée, mais si vous le regardez avec un cœur ouvert, vous pouvez trouver de la grâce. En mettant la religion de côté pour un moment et en regardant la foi, ce voyage a été incroyablement beau et affirmatif pour moi. La diversité, la complexité et la richesse de notre projet humain sont impressionnantes. Je suis désolée que tant de gens manquent cette beauté de l’âme, l’importance de l’authenticité profonde, choisissant plutôt d’écouter le dogme créé par l’homme.

Pourquoi était-ce important pour vous d’insister sur le fait que vous êtes une famille blanche, donc que vous bénéficiez d’un privilège blanc ?

Rien dans ma vie n’a mis en évidence mon privilège blanc. Le racisme est intégré à l’expérience américaine. Nous semblons incapables de vraiment prendre en compte le racisme. Nous essayons ; nous faisons des progrès, puis nous échouons encore et encore, créant de nouvelles mais aussi familières structures de discrimination et de violence contre les personnes de couleur. J’avais besoin d’écrire ce récit avec clarté autour de ce sujet. J’espère que c’est utile et que ça ne fait pas de mal. Je suis conscient de mes limites ici et les parties du livre dans lesquelles j’aborde la race ont été les plus difficiles à écrire. Je n’en suis pas tout à fait satisfaite.

Que pensez-vous de l’attitude d’une autrice comme JK Rowling que vous accusez d’avoir détourné l’attention du sujet du racisme et du mouvement Black Lives Matter en affichant des positions transphobes ?

Le timing était étrange. C’était peut-être une coïncidence ou un subconscient, mais oui, cela m’a semblé étrange, non seulement qu’elle ai cette nouvelle obsession pour les personnes trans – une obsession si forte qu’elle a dû dénoncer les personnes trans à plusieurs reprises – mais aussi le moment initial. Je me méfie toujours des personnes qui ciblent un groupe minoritaire alors qu’elles n’ont apparemment aucune relation personnelle avec ce groupe. De quoi s’agit-il pour elle ? Dans le livre, j’émets quelques hypothèses et je parle de l’histoire complexe et lourde du féminisme et des droits des femmes à leur intersection avec les droits des trans. Cette histoire m’a aidé à mettre en contexte les féministes transphobes comme Rowling.

Si vous le souhaitez, pouvez-vous nous dire comment votre fille a réagi à ce livre ?

J’ai posé cette question à ma fille et elle m’a dit qu’elle espérait que le livre soit un best-seller pour que nous puissions partir en vacances en France. Ha, ha ! Cette réponse est tellement elle.

« Comment tu es devenue ma fille – Lettre à ma fille transgenre », de Carolyn Hays, Flammarion, 416 p., 21,90€

  • cgesange

    Carolyn Hays claimed that Joan of Arc might have been transgender due to her “male hair and clothing, her lack of femininity, and her defiance of gender issues” and because she allegedly “resisted gender norms.” Historians have pointed out that Joan of Arc constantly called herself “the maiden” (“la pucelle”) which indicates she identified as a girl and hence was not transgender. Her “male clothing” was just the military outfit (for horseback riding) that she had been given to wear in the army, and which she said (according to several eyewitnesses) she continued wearing in prison because this type of outfit had cords that were drawn through eyelets to attach the long hip-boots, trousers, and tunic all together so her English guards couldn’t pull her clothing off when they tried to rape her. Cutting her hair also served a practical purpose: several prominent clergy in the era (including Inquisitor Jehan Brehal) defended it for practical reasons, and of course women in the military today usually keep it relatively short for various practical reasons without identifying as transgender. The eyewitnesses said she was very feminine – “beautiful and shapely” etc. As for allegedly defying gender norms: she said she carried her banner in battle rather than fighting, she didn’t lead directly (as proven by the Royal military records and eyewitness accounts), and her role as a religious visionary was an accepted role for women since there were so many female mystics and visionaries in that era who often gave advice to leaders, both secular and ecclesiastical. But her own description of herself as a “maiden” certainly removes any reasonable doubt about her gender identity.