Guillaume Antoniolli : « “ La Nuit juste avant les forêts ” donne à ressentir avec force, en forme concentrée, toute la brutalité du monde »

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Après des mises en scène de textes de Jean-Luc Lagarce ou de Rodrigo García, Guillaume Antoniolli s'attaque à l'œuvre de l'immense auteur Bernard-Marie Koltès. Interview.

Clément Lagouarde dans « La Nuit avant les forêts », mise en scène Guillaume Antoniolli -Roch Debache

L’auteur et fondateur de la compagnie Les Hommes perdus, Guillaume Antoniolli s’intéresse beaucoup aux auteurs gays contemporains. Il avait déjà créé En attendant Lagarce, en 2013, sur des textes de l’auteur de Juste la fin du monde, mêlés à ses propres textes.

En 2016, nous avions suivi la création de sa deuxième pièce Consumérisme. Guillaume Antoniolli y avait ajouté à ses propres textes des extraits piochés dans l’œuvre de l’hispano-argentin Rodrigo García.

Cette année, il revient avec une mise en scène d’un texte de Bernard-Marie Koltès, La Nuit juste avant les forêts. Une pièce à un seul personnage, et c’est l’acteur Clément Lagouarde, qu’on avait déjà croisé dans la troupe de Consumérisme, qui se prête à l’exercice. Choix de mise en scène, importance de Bernard-Marie Koltès, impact de la crise du covid, le metteur en scène Guillaume Antoniolli a accordé une interview à Komitid.

Komitid : Pourquoi avoir choisi ce texte de Bernard-Marie Koltès ?

Guillaume Antoniolli : D’emblée ce texte représente un défi en tant que metteur en scène : par sa consistance, d’un seul bloc, sans indication scénique de l’auteur, ce texte en le lisant apparaît même sans respiration. Pourtant La Nuit juste avant les forêts donne à ressentir avec force, en forme concentrée toute la brutalité du monde, la fragilité de notre condition humaine.

Bernard-Marie Koltès est un auteur de théâtre immense. « Le théâtre c’est l’action », disait-il. Et précisément dans ce texte, il nous ramène à la présence boueuse de la moise, de nos vies faites de rien et de tout. Et surtout, il élève notre conscience face aux brisures permanentes qui d’un coup peuvent nous étriller, et nous faire tomber. Des enchaînements incontrôlables nous envoyant à la solitude sans retour.

Guillaume Antoniolli – Roch Debache

En quoi cette œuvre est-elle importante dans le parcours de cet auteur ?

Je vous invite à lire l’ensemble des entretiens accordés par Bernard-Marie Koltès à la presse écrite, intitulé : Une part de ma vie (éditions de Minuit). Dans ce livre, il explique ce qui motive son écriture dans ses pièces. Comment un texte devient une pièce de théâtre, car ce qui n’est pas vu n’est pas considéré, n’est pas existant aux yeux des autres. Patrice Chéreau est une des personnes ayant permis de faire entendre ces textes magnifiques, d’autres pièces que j’aime comme Le Retour au désert ou Dans la solitude des champs de coton.

Quelles sont vos intentions de mise en scène ?

Pour le coup, merci de me permettre d’inciter à venir voir et donc entendre cette création au théâtre Pixel. Un metteur en scène est comme un magicien, il s’abstient de livrer ses tours de passe-passe au public.Ce que je peux dire, en revanche, est que mes intentions de la mise en scène sont de laisser respirer le texte et de ne pas parasiter par des effets de manche la force du récit.

« Pour des compagnies ou des théâtres sans connivence et sans complaisance, la situation est rude »

Vous avez choisi de travailler à nouveau avec l’acteur Clément Lagouarde qu’on avait pu voir dans « Consumérisme » il y a quatre ans. Pourquoi ce choix ?

Clément est un élément essentiel de la compagnie « Les Hommes perdus » comme tous les autres comédiennEs. Je ne pouvais monter cette pièce qu’avec un comédien en qui j’avais pleinement confiance et que je pouvais « manier » à ma guise.

Quelles ont été pour vous les répercussions de la crise sanitaire que nous connaissons ?

Ces répercussions sont comme des ricochets, pour le moment on ne veut percevoir que le semblant d’un retour à une situation antérieure. Or, pour des compagnies ou des théâtres sans connivence et sans complaisance, la situation est rude. Des compagnies et des lieux de culture ont sombré. Dans le silence. Laissant des sillages de désarroi et de dépossession. D’autres phénomènes de déstructurations sont à venir, car en gestation.

« La Nuit juste avant les forêts », au Théâtre Pixel (75018 Paris), jusqu’au 11 novembre.