La Berlinale va remettre ses premiers prix d'interprétation non-genrés

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La Berlinale, le festival du film de Berlin, bouscule le monde du cinéma en substituant un prix d'interprétation « non-genrés », au nom de l'égalité.

Berlinale
Le Palais du festival de la Berlinale - 360b / Shutterstock

La Berlinale remet ses convoités « Ours » ce vendredi 5 mars. Traditionnellement, le jury élit un meilleur acteur et une meilleure actrice, qui obtiennent chacun un Ours d’Argent. Mais cette année, le festival, qui se veut en pointe dans la lutte contre les discriminations et les stéréotypes de genre, sujets brûlants dans l’industrie mondiale du cinéma post-#MeToo, renverse la table.

« Pour la première fois, les prix seront définis d’une façon neutre par rapport au genre », avec un simple « Ours d’argent de la meilleure interprétation » et un « Ours d’argent du meilleur personnage secondaire », ont annoncé les organisateur.trices.

En matière de cinéma, le seul prix qui « distingue entre les sexes (était) le prix d’interprétation », a expliqué à l’AFP Mariette Rissenbeek, co-directrice de la Berlinale. « Nous pensons pouvoir faire avancer les débats sur l’égalité (…) Et nous prenons en compte aussi les personnes qui ne veulent pas se voir assigner un genre  ».

« Acte politique »

La décision a été saluée auprès de l’AFP par plusieurs réalisateur.trices ou interprètes de la compétition.

Pour la réalisatrice libanaise Joana Hadjithomas, « c’est un acte symbolique politique fort, de dire “ un acteur, c’est un acteur ”, ce n’est pas son genre qui détermine » sa valeur. Pour son homologue japonais Ryusuke Hamaguchi, ce nouveau prix « reflète l’essence du cinéma  », qui en tant qu’art ne fait pas de distinction « en fonction du genre  ».

« Cela permet d’ouvrir aussi la porte à un débat plus large, notamment la question de qui doit jouer les rôles de lesbiennes, gays, etc… », renchérit l’actrice allemande Maren Eggert.

L’annonce, faite par la Berlinale dès la mi-2020, avait été remarquée par des personnalités du cinéma, en pointe dans le combat pour l’égalité de genre, comme la Britannique Tilda Swinton. Ou l’actrice australienne Cate Blanchett, interrogée par l’AFP à la Mostra de Venise : « une bonne performance est une bonne performance, quelle que soit l’orientation sexuelle ou la personne qui l’accomplit ».

Pour autant, le jury de la biennale qu’elle présidait alors en était resté aux traditionnelles « Coupes Volpi » masculine et féminine.

Car la décision berlinoise n’a pas fait tâche d’huile, ni dans les grands festivals, ni aux Oscars, Golden Globes et autres César. Historiquement, les prix ont de tout temps distingué acteurs et actrices, depuis la Mostra de 1932, tout premier festival, où le public a voté pour l’acteur et l’actrice qui lui avait le plus plu, souligne la chercheuse Christel Taillibert.

« Tous les grands festivals internationaux ont repris cette matrice  », précise-t-elle. Un prix non genré, « cela permet de se distinguer au niveau médiatique, ça permet de faire parler de la Berlinale, même si c’est un peu vain du point de vue de l’art  », juge-t-elle.

« Bonnes intentions » de la Berlinale

« Il existe des opinions différentes sur les prix “ non-genrés ” et nous respectons ces différents points de vue  », prend soin de souligner Mariette Rissenbeek.

Car en matière d’égalité femmes-hommes, certain.es redoutent même une décision contre-productive, qui pourrait aboutir à récompenser davantage d’hommes… « L’enfer est pavé de bonnes intentions », prévient l’historienne du 7e art Geneviève Scellier, fondatrice du site Genre et cinéma : « le problème de fond est que les rôles masculins sont plus intéressants  », plus nombreux et plus présents à l’écran « que les rôles féminins ». « Les acteurs peuvent donc davantage montrer leurs talents que les actrices ».

Le prix non-genré de la Berlinale relève du « politiquement correct  », estime même le syndicat des acteurs et actrices allemands, qui plaide pour « d’abord rendre plus visibles » les femmes. Tout comme l’association allemande Pro Quote qui milite pour une égale répartition des rôles au cinéma, pour l’heure accordé selon elle à 70 % aux hommes.

« Il faut d’abord défendre la visibilité des femmes au cinéma et atteindre l’égalité », argument auprès de l’AFP l’une de ses membres, l’agente Chun Mei Tan. « Ce n’est qu’alors que l’on pourra parler d’introduire des prix non-genrés ».

Avec l’AFP