Coronavirus : pourquoi ne tire-t-on pas toutes les leçons de la lutte contre le sida ?

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San Francisco est une des villes américaines les moins touchées par le coronavirus. Et si on devait cela à plus de 30 ans de lutte contre le sida ?

Distance sociale matérialisée au Washington Square Park, à San Francisco, en mai 2020 -distance-sociale - Shalaco / Shutterstock

En cette fin de semaine, marquée par de nouvelles restrictions contre la nouvelle poussée de l’épidémie due à la covid-19, un article m’a particulièrement intéressé .

Il m’a été signalé par Gérard Koskovich, cofondateur du centre d’archives LGBT+ de San Francisco, et il concerne la ville qui a été parmi les plus durement touchées par la crise du sida.

San Francisco s’en tire mieux

Durant l’actuelle pandémie, San Francisco s’en tire beaucoup, beaucoup mieux que nombre de grandes villes américaines. Le pourcentage de décès y est de 0,87 %, New York ayant le taux le plus élevé avec 10,26 %, Philadelphie le deuxième avec 5,12 % et Boston le troisième avec 4,83 %.

San Francisco, ville de 900 000 habitants, a enregistré en tout 10807 cas et 99 décès (contre plus de 23000 à New York).

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, mais dans cet article, un élément m’a frappé. Le docteur Wachter, chef de l’unité de médecine à l’Université de Californie à San Francisco, explique que le département de Santé publique de la ville et les hôpitaux ont appris à travailler ensemble dans une crise pendant l’épidémie de sida, et maintenant dans la pandémie de coronavirus, ils en tirent des leçons. « Nous avons en quelque sorte réglé cela il y a 30 ans », a déclaré Wachter au site SFGate.

L’implication des personnes atteintes et des associations, notamment LGBT+, a été cruciale dans la lutte contre le VIH, et les autorités de santé de San Francisco l’avaient mis en pratique.

Pourtant, on entend très peu les acteurs de la lutte contre le sida et on a oublié bon nombre des leçons apprises durant l’épidémie de VIH. Karine Lefeuvre, vice-présidente du Comité consultatif national d’éthique, ne dit pas autre chose dans une interview au Monde : « […] l’urgence ne justifie pas que l’on s’exonère de tout débat public, comme si la parole des personnes concernées est accessoire. La démocratie en santé n’est jamais accessoire, même dans l’urgence, a fortiori quand le dilemme entre liberté et contrainte est si aigu. »

Ce qu’on constate aujourd’hui, c’est à nouveau un discours très autoritaire de la part de l’État, la concertation avec les élu.e.s de terrain se limite visiblement à quelques coups de fil. Dans le même temps, on va au plus simple pour masquer les failles de notre système de santé publique : on cherche le bouc-émissaire. Il y a 40 ans, avec le sida, on stigmatisait les homos, les haïtiens, les hémophiles, les héroïnomanes (les « 4 H »). Aujourd’hui, on pointe du doigt le comportement des « jeunes » et on demande aux « papys et mamies » de rester chez eux et de ne pas s’occuper de leurs petits enfants. L’âgisme à tous les étages !

Vindicte populaire

Avec les réseaux sociaux, la vindicte populaire est démultipliée comme le montre cet article du New Yorker. Il est temps, parce que l’épidémie est toujours active et sans doute pour encore longtemps, de créer les conditions d’une réelle participation de la société aux décisions à venir, comme nous l’écrivions dans une tribune sur Mediapart.

En 2021, on reviendra sur les 40 premières années de la crise du sida (depuis l’identification aux États-Unis des premiers cas en juin 1981), une crise qui est loin d’être terminée dans de très nombreux pays pauvres. Mais qui nous a appris que c’est grâce aux personnes concernées que les plus grands progrès ont été accomplis, à travers notamment l’activisme, la recherche communautaire, la prévention par les pairs, et last but not least, l’empouvoirement.