Des exorcismes pour « guérir » les personnes LGBT+ en Indonésie

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Ce traitement de choc visant la communauté LGBT+ pourrait se généraliser en Indonésie si une nouvelle loi controversée était votée. Témoignages.

Une vue de Jakarta, la capitale indonésienne - AsiaTravel / Shutterstock

L’exorcisme qu’Andin a dû subir pour « guérir » de son identité de femme trans continue de lui donner des cauchemars. Pourtant, ce traitement de choc visant la communauté LGBT+ pourrait se généraliser en Indonésie si une nouvelle loi controversée était votée.

Depuis vingt ans, Andin, 31 ans, est harcelée par sa famille qui veut la changer par tous les moyens : elle a été enfermée plusieurs jours dans une pièce et bombardée de versets coraniques, aspergée d’eau glacée par un imam promettant d’extirper sa « maladie ».

« C’était traumatisant, ce souvenir horrible reste dans mon esprit »

Mais c’est un exorcisme qui reste son pire souvenir.

Ce jour-là, elle a été emmenée de force chez un étrange gourou près de sa ville natale de Medan sur l’île de Sumatra, qui lui a montré un linceul et a commencé à prier avant de lui donner le choix : abandonner sa vie de femme ou aller en enfer.

« C’était traumatisant, ce souvenir horrible reste dans mon esprit », témoigne Andin, qui préfère prendre un nom d’emprunt pour témoigner.

« Rien n’a changé après l’exorcisme, je suis toujours LGBT, mais ma famille ne veut rien entendre », dit-elle.

Les exorcismes sont une épreuve courante pour les personnes homosexuelles et les personne trans en Indonésie.

À mesure que le pays, qui compte la plus grande population musulmane au monde, a pris un virage vers un islam plus conservateur ces dernières années, les discriminations contre la minorité LGBT+ se sont développées.

L’homosexualité est légale dans ce pays d’Asie du Sud-Est, sauf dans la province d’Aceh, la seule à appliquer la loi islamique.

Mais beaucoup d’Indonésien.ne.s sont persuadé.e.s que l’homosexualité vient d’esprits mauvais qui habitent le corps et dont on ne peut se débarrasser que par la prière ou l’exorcisme.

Et ces traitements pourraient être bientôt institutionnalisés.

Des députés conservateurs ont déposé une proposition de loi sur la « Résistance de la famille » que ses opposant.e.s décrivent comme anti-LGBT+ et sexiste.

Selon ce texte, prioritaire dans le programme du Parlement, les personnes trans seront contraintes à une « rééducation », par des exorcismes et d’autres traitements pour les « guérir » de ce qui est considéré comme une déviance sexuelle.

La proposition de loi devait être présentée dans les mois à venir mais la date est incertaine, le processus législatif étant en grande partie gelé en raison de la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus.

« Esprits malins »

Dans ce pays de quelque 260 millions d’habitants où les traditions animistes et chamanistes restent vivaces, les exorcismes ont longtemps été utilisés sur les malades mentaux ou pour débarrasser un village d’un fantôme.

Si la nouvelle loi est votée, l’exorcisme représente l’option « la plus probable pour procéder à une “ rééducation ” », avertit le directeur d’Amnesty International en Indonésie, Usman Hamid.

Une conversion obligatoire des personnes LGBT+ fera les affaires des exorcistes. Aris Fatoni, qui pratique l’exorcisme sur des patients souffrant de maladies ou de problèmes personnels, affirme en avoir « guéri » une dizaine en dix ans.

Pendant la séance, l’exorciste lit le Coran et guette des signes suggérant que, dit-il, les esprits malins quittent le corps du patient.

« Il y a en général une réaction forte », parfois des cris ou des vomissements « mais cela veut dire qu’ils guériront plus vite ».

« En revanche, si une personne aime être LGBT et ne vient ici que par curiosité, il n’y aura pas de réaction. Ces cas sont difficiles à guérir », poursuit-il.

Son collègue, Ahmad Sadzali, se vante aussi d’avoir réussi des conversions : « Un gars que j’ai soigné a subi seulement deux exorcismes et il est maintenant guéri : il s’est marié avec une femme un mois plus tard ».

Six cliniques de la capitale Jakarta ont confirmé à l’AFP proposer des exorcismes pour « guérir » des personnes LGBT.

« Depuis combien de temps souffrez-vous de cette maladie ? », demande le propriétaire d’un établissement quand on s’adresse à lui. Il refuse de traiter des patients séropositifs « mais si ce n’est pas le cas, grâce à dieu, je peux vous aider si vous vous en remettez à Allah ».

Vague conservatrice

Dinda, une femme lesbienne de 35 ans, se souvient du jour où sa mère dévote l’a piégée en l’invitant chez elle et qu’elle s’est retrouvée face à un religieux voulant l’exorciser malgré elle.

« Ma mère était persuadée que j’étais possédée et que si je n’étais pas exorcisée les esprits malins resteraient en moi », explique l’Indonésienne préférant elle aussi donner un nom d’emprunt.

Sa sexualité n’a pas changé mais elle ne fait plus confiance à sa mère. « J’ai des frissons à chaque fois que ma mère m’appelle. Et je vois l’exorciste dans mes rêves. Ca m’a vraiment effrayée », dit-elle.

Dans la province conservatrice d’Aceh, à l’extrême ouest de l’archipel, les relations sexuelles entre personnes du même sexe peuvent mener à une peine de flagellation.

En 2018, la police a arrêté un groupe de femmes trans, les a humiliées en coupant leurs cheveux et en les forçant à porter des habits masculins.

Dans la ville de Padang, également sur l’île de Sumatra, la même année, les autorités locales ont ordonné aux habitants LGBT un traitement pour mettre fin à « leurs péchés » sous la pression d’importantes manifestations.

Une petite minorité résiste à la vague conservative.

L’an dernier, une proposition de loi qui aurait rendu passible de prison les relations sexuelles hors mariage a été remisée après une vague de protestations.

Les nouvelles propositions anti-LGBT+ sont aussi vivement combattues par les défenseurs des droits.

« Les thérapies de conversions, comme les exorcismes, représentent une violence contre les personnes LGBT », dit Budi Wahyuni, ex-membre de la Commission des femmes d’Indonésie.

Andin, qui porte des vêtements féminins quand elle n’est pas chez elle, n’est pourtant pas convaincue que les choses vont s’améliorer.

Sa famille persiste à vouloir la remettre dans le « droit chemin » et a récemment sacrifié une chèvre pour ce faire. « Cela fait vingt ans et ils veulent toujours que je sois différente », conclut-elle.

Avec l’AFP

 

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