« La Rupture », un film inédit de Philippe Barassat tourné en deux versions : l’une hétéro, l’autre homo !

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Aujourd’hui sort gratuitement sur Youtube le dernier film de Philippe Barassat, « La Rupture », ou l’après d’une histoire d’amour qu’il a tourné en deux versions : une avec un homme et une femme et l’autre mettant en scène deux femmes.

Alka Balbir et Béatrice de Stael dans « La Rupture » de Philippe Barassat, en accès libre sur Youtube

Après Folle de Rachid en transit sur Mars en 2001 ou, plus récemment, Indésirables en 2013 qui traitait de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées, le réalisateur Philippe Barassat creuse son sillon si singulier, celui d’un cinéma français indé, fauché et, du coup, très libre. Aujourd’hui sort gratuitement sur Youtube son dernier film, La Rupture, ou l’après d’une histoire d’amour qu’il a tourné en deux versions : une avec un homme et une femme et l’autre mettant en scène deux femmes. Rencontre avec un réalisateur inspiré.

C’est une histoire simple qui se déroule dans le milieu des arts français (littérature, cinéma) : celle d’une jeune femme, Marie-Louise, dans la force de la vingtaine (la découverte Alka Balbir) qui quitte Jean, un.e écrivain.e bien plus âgé.e qu’elle (incarné.e selon les versions par les excellent.e.s Jean-Christophe Bouvet ou Béatrice de Staël) après quatre ans de relation amoureuse. La différence d’âge ne sera pas tant le sujet du film que la rupture en elle-même et ses répercussions dans la vie d’après, l’empreinte que laisse un amour fort, celui qui crée une « proximité qu’on n’oublie pas ».
Le texte est très écrit, littéraire, comme l’affirme la longue scène de rupture inaugurale. On se vouvoie comme dans le théâtre classique et on s’envoie des lettres par la poste comme dans les grandes histoires d’amour. On pense également au cinéma de Rohmer, de Truffaut ou même de Demy le temps d’une scène « enchantée » et le charme un peu désuet agit.

 

Philippe Barassat à l’exposition « Champs d’amour », devant l’affiche de son film « Folle de Rachid en transit sur Mars »  – DR

« La star du film dans le film cela devait être Sophie Marceau mais j’ai tout réécrit entre temps car elle est devenue vraiment une star »

« C’est un scénario que j’ai écrit quand j’avais 20 ans donc il y a un peu plus de 30 ans, raconte le réalisateur, je dévorais à l’époque tout Sacha Guitry et je crois que j’étais inspiré par cette musique-là. J’avais fait aussi un documentaire sur Zulawski et j’adorais Sophie Marceau. Cela m’avait été un peu inspiré par leur histoire et celle d’autres couples flamboyants comme Gainsbourg et Birkin qui trimballaient une sorte de cirque, un théâtre public de leurs amours. D’ailleurs la star du film dans le film cela devait être Sophie Marceau mais j’ai tout réécrit entre temps car elle est devenue vraiment une star. Et j’ai choisi ce scénario parce que c’est celui qui nécessitait le moins de décors ! »

Mais le plus surprenant à la vision des deux versions c’est de se rendre compte que ce n’est pas tant la sexualité des personnages qui change la donne que la personnalité des deux merveilleu.se.x comédien.ne.s que sont Jean-Christophe Bouvet et Béatrice de Staël.

« Je ne fais en général des films que sur le cul car c’est pour moi très politique. »

« Je fais souvent des films sans argent, explique Philippe Barassat à Komitid, et on met énormément de temps à mettre en place la lumière, la caméra et on a très peu de temps avec les acteurs, du coup je me suis dit que je pouvais faire deux films pour le prix d’un en prenant deux acteurs différents pour le même rôle sans que cela ne rajoute beaucoup de temps de tournage. C’est un mois de tournage pour 16.000 euros environ ! Cela m’amusait de voir si le fait de raconter une histoire d’amour entre deux femmes d’un côté et un couple « traditionnel » de l’autre changeait vraiment les choses et, en fait, après y avoir réfléchi, curieusement, cela ne tient pas au genre, au fait que le couple soit hétéro ou gay, cela tient vraiment à la personnalité du personnage de Jean, à son rapport à l’amour et à ces interprètes merveilleux que sont Jean-Christophe Bouvet et Béatrice de Staël. Dans les films où il y a un personnage LGBT, j’ai l’impression qu’il faut toujours une présentation particulière, une explication. Là, comme le scénario est le même pour les deux versions, le pari m’intéressait de ne pas avoir de différenciation de traitement. Je ne fais en général des films que sur le cul car c’est pour moi très politique. Les sexualités comme l’art sont des éléments que les pouvoirs craignent énormément. L’amour est un lieu de liberté et de révolution permanente et raconter des histoires d’amour différentes, cela a pour moi toujours un lien fondamental avec la politique ».

La révélation Alka Balbir

Et puis il y a la révélation Alka Balbir, actrice singulière, elle aussi, sorte de chaînon manquant entre les premiers souvenirs d’Arielle Dombasle, de Brigitte Bardot ou même d’Isabelle Adjani et Zahia Dehar dans Une fille facile de Rebecca Zlotowski, l’un des films récents préférés de Philippe Barassat : « Le casting a été très long et j’ai dû voir une centaine de jeunes femmes pour ce rôle, le texte était difficile à faire passer, il fallait trouver une musique sans trop le théâtraliser. Je connaissais déjà Alka qui avait déjà fait du cinéma et qui est chanteuse. Elle a fait un album avec Benjamin Biolay et le dernier avec Philippe Katerine. On a fait un essai et c’était évident, elle avait la musique de ces mots, c’était comme un miracle et je ne me suis posé aucune question. C’est une de mes plus belles rencontres de cinéma, un peu comme Arielle Dombasle, elle est généreuse, talentueuse, humaine, professionnelle, gentille. Elle parle comme ça dans la vie, c’est son naturel comme Bardot ou Zahia. J’adore Zahia aussi ! Depuis le début je crois beaucoup en elle et j’adorerais faire un film avec elle. Et ce sont des actrices qui articulent merveilleusement bien, car, la plupart du temps je ne comprends pas un mot sur deux dans les films français. C’est une immense modestie de leur part et cela participe de leur style. Ce ne sont pas des actrices prétentieuses. »

Et pourquoi proposer ce diptyque gratuitement sur Youtube plutôt que dans un circuit traditionnel ? « Les films faits sans argent ou presque n’ont pas souvent l’agrément du CNC et ne peuvent pas vraiment trouver de distributeur ni d’argent des chaînes de télévision, nous répond le réalisateur. « Je me suis demander si je devais galérer un ou deux ans encore à chercher un brave distributeur qui allait s’épuiser à sortir le film… Donc je me suis dit que j’allais profiter du confinement plus pauvre en termes de sorties de films. Et puis je ne voulais pas qu’il y ait d’argent dans cette histoire… ».

C’est l’occasion de découvrir un cinéma français indépendant qui se positionne hors des sentiers battus commerciaux et qui ose des formes inédites, ici un diptyque au rythme et au ton parfois déstabilisant mais qui affirme une liberté enthousiasmante et, finalement, touche avec justesse.

« La Rupture »
Diptyque – 2 fois 1h40 – France
Réalisé par Philippe Barassat
Avec Alka Balbir, Jean-Christophe Bouvet ou Béatrice de Staël, Thomas Blumenthal, Betty Mourao, Freddy Bournane, Brigitte Sy, Aurélia Khazan
En libre accès sur Youtube à partir du 22 avril

 

 

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