3 questions à Anne-Lise, née d'une PMA au sein d'un couple de femmes

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« J'estime avoir une responsabilité envers les générations futures et aussi la génération actuelle qui ne peut pas faire d'enfant légalement en France. »

3 questions à Anne-Lise, née d'une PMA au sein d'un couple de lesbiennes
3 questions à Anne-Lise, née d'une PMA au sein d'un couple de lesbiennes

Une parole encore trop rare. Anne-Lise, 23 ans, est le fruit du projet parental nourri par ses deux mères. C’est en Belgique qu’elle a été conçue, par le biais d’une insémination artificielle avec donneur anonyme, tout comme sa petite sœur quelques années plus tard. Plus de 20 ans après, et dans le contexte des débats actuels sur l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples lesbiens et aux femmes célibataires, elle a décidé de prendre la parole dans les médias pour faire entendre sa voix. Son témoignage, c’est celui d’une jeune étudiante directement concernée par les débats actuels et qui a le sentiment que son existence est niée, que son équilibre psychique est sans cesse jugé, apprécié, discuté, au seul motif qu’elle a été élevée par deux femmes. Sa seule demande aujourd’hui consiste à réclamer un débat apaisé, dépourvu d’arguments violents et en décalage total avec la réalité.

Komitid : Vous êtes née en 1995 et vous n’avez pu être adoptée par votre deuxième mère qu’à votre majorité… Comment avez-vous vécu cette démarche ?

Anne-Lise : Ça a été compliqué de devoir expliquer que la personne qui m’a aimée et élevée est bien mon parent, qu’elle était présente dans ma vie depuis toujours, même avant que je sois née. Ça a été une vraie violence, j’ai trouvé ça complètement absurde. L’idée c’était avant tout de se protéger, même si maintenant on est grandes et qu’elle n’a plus de décisions à prendre pour nous. Je le vois plutôt dans l’autre sens du fait qu’elle vieillit et qu’elle va avoir des problèmes de santé, on pourrait avoir des décisions à prendre pour elle. Je voulais absolument être en mesure de le faire et qu’on ne me dise pas que je ne suis rien pour elle. On a envoyé le dossier, on n’a même pas été auditionnées par le juge et on a eu une réponse positive assez rapidement. Ça a été une grande émotion pour mes mères, le fait d’avoir enfin le livret de famille avec nous quatre. J’étais heureuse et soulagée de ne pas devoir me lancer dans une procédure encore plus longue.

Vous avez fait le choix de témoigner dans le magazine Causette en novembre 2018 et maintenant pour Komitid. Pourquoi prendre la parole dans la presse et surtout, pourquoi maintenant ?

Ça a été une démarche progressive. J’ai commencé par témoigner dans le cadre de conférences, ensuite j’ai parlé sur la page Facebook de l’association LGBT de Sciences Po puis à une chercheuse. J’ai ensuite été en relation avec l’association Les Enfants d’Arc-en-ciel dont la présidente me relayait régulièrement les demandes de témoignages. J’en ai laissé passer une, deux, trois… et à un moment je me suis dit qu’il fallait y aller. Lors des débats sur le mariage pour tous, j’étais en état de choc, pas prête du tout. J’y suis allée petit à petit, en commençant par mes cercles de proches.

« En tant que citoyenne, je ne pourrai pas dire à mes enfants plus tard que je n’ai rien dit alors que j’étais concernée »

C’est pour moi une forme d’engagement et aussi, l’envie de me dire que mes parents se sont battues d’une façon et que je vais essayer de le faire d’une autre. J’estime avoir une responsabilité envers les générations futures et aussi la génération actuelle qui ne peut pas faire d’enfant légalement en France. Parce que je suis une citoyenne, je ne pourrai pas dire à mes enfants plus tard que je n’ai rien dit alors que j’étais concernée. Aussi je pense que j’en tire un bénéfice personnel qui est que longtemps je l’ai caché, je l’ai vécu comme quelque chose de difficile, comme une différence à assumer. J’ai découvert que ça pouvait être une fierté, que ça pouvait intéresser et apporter quelque chose aux gens.

Les débats autour de l’extension de la PMA à toutes les femmes ont été relancés par les États généraux de la bioéthique il y a un an. Comment vivez-vous la façon dont se déroulent les échanges et la violence des arguments de certain.e.s opposant.e.s ?

Je le vis très mal, même si j’ai quand même eu un bel entraînement avec le mariage pour tous ! J’ai pu m’y préparer en sachant que j’allais m’en prendre plein la figure, mais ça reste très difficile, rien que de voir les affiches de la Manif pour tous partout dans l’avenue où je vis, ces choses horribles qui me rappellent en permanence que je ne devrais pas exister.

Dans les médias, la façon dont le débat est tourné est difficile à vivre. Si on débattait autour de l’anonymat des donneurs ou encore de la procédure pour remplacer l’adoption qui n’est pas satisfaisante, d’accord. Mais là encore aujourd’hui il est question de la capacité des femmes homosexuelles et célibataires à avoir des enfants et savoir s’ils vont être horriblement malheureux ou pas trop malheureux ! Cette façon de tourner les choses est violente, surtout quand on n’a pas voix au chapitre et que ce sont des expert.e.s autoproclamé.e.s ou je ne sais qui d’autre qui vont parler à notre place. Le fait que l’on rallonge ce débat, inclus dans une loi de bioéthique incroyablement complexe, est très difficile à vivre pour tout le monde, y compris pour moi.

« Je sais parfaitement d’où je viens, je connais l’histoire de mes parents »

Quant aux arguments contre, c’est difficile de se mettre au même niveau. J’ai eu à répondre directement à des personnes qui y sont opposées et je réponds que l’idée que l’on a besoin d’un père, c’est l’idée selon laquelle les femmes et les hommes sont complémentaires et dans des rôles naturellement bien définis, chose que je récuse. J’ai eu des figures masculines autour de moi, des cousins, des oncles, un grand-père, mon parrain… Le plus important, c’est que je suis aimée par mes parents, que j’ai été désirée, qu’elles se sont battues pour nous avoir. Je me suis construite de manière tout à fait équilibrée et je ne me pose pas de questions sur mes origines. Le geste fait par le donneur, qui a donné une partie de lui aussi importante en sachant que ça pourrait aller à des femmes homosexuelles, dans le contexte du début des années 1990, c’est magnifique ! Savoir ça de lui me suffit. Je n’ai pas l’impression d’avoir un manque dans mes origines, je sais parfaitement d’où je viens, je connais l’histoire de mes parents. Mais beaucoup de personnes ne sont pas en mesure d’entendre tout ça. Ma seule source de souffrance, c’est la société française qui me rend invisible, me juge et m’ostracise. Ça c’est une souffrance, certainement pas mes parents qui m’aiment.

  • expat

    Très beau témoignage. Je suis gay et j’ai 3 enfants avec mon mari en Suède. Bravo à cette jeune femme pour son courage, et bravo à ses deux mamans qui ont fait d’elle une femme bien dans sa tête. Belle claque, aux homophobes de la MPT.