« Game Girls », Teri et Tiahna, leur amour et leurs galères de femmes sans domicile fixe

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Teri et Tiahna sont deux femmes noires qui vivent une histoire d’amour dans le quartier pauvre de Skid Row, à Los Angeles. La réalisatrice polonaise Alina Skrzeszewska a posé son regard sur leur histoire avec la distance nécessaire mais sans fermer les yeux sur la violence omniprésente. Un documentaire coup de poing qui émeut, fait sourire et réfléchir, décrypté avec sa réalisatrice.

«Game Girls », d'Alina Skrzeszewska - Les Films de Force Majeure/Vendredi

Skid Row, Los Angeles, est le quartier qui regroupe le plus de personnes sans domicile fixe aux États-Unis. Il sert de toile de fond à Game Girls, un documentaire à la narration brute. L’histoire de Teri, femme noire lesbienne et de son couple avec une autre SDF, Tiahna.

La réalisatrice Alina Skrzeszewska a vécu au cœur de cette aire de désespérance et en avait fait le sujet de son premier documentaire, Songs from the nickel, en 2010. : « J’ai vécu à Skid Row de 2006 à 2008 », explique-t-elle à Komitid. « J’y ai réalisé mon premier film sur mes voisins, des hommes, dans une sorte d’hôtel social qui héberge les SDF. J’ai eu très envie de parler des femmes dans ce quartier et j’ai voulu pour cela mettre en place ces ateliers pour ouvrir sur un travail plus collaboratif et une vision plus précise de leurs vies. J’ai trouvé notamment une thérapeute, la formidable Dr Mimi Savage qui a accepté d’animer cet atelier qui a duré 18 mois, deux fois par semaine. 
C’est donc grâce à la mise en place d’un atelier de thérapie par l’art et le jeu destiné aux femmes de Skid Row qu’elle fait la connaissance de Teri, héroïne bigger than life, aux réflexes de macho, addict à l’alcool et aux drogues qui circulent au grand jour dans le quartier. « Teri était là dès le premier jour, se souvient la réalisatrice, et c’est comme ça que je l’ai rencontrée sans savoir encore que j’allais me concentrer sur son histoire et sur son histoire d’amour. Elle était célibataire à l’époque et moi je pensais suivre plusieurs personnages. Mais les deux ensemble sont une représentation de l’amour et du courage dans ce contexte difficile ».

« Je n’ai pas débarqué dans leur intimité avec ma caméra, les choses se sont faites petit à petit, en traînant ensemble quand elle m’y invitaient »

C’est Teri, sa verve alcoolisée et colérique, qui ouvre le film. Et c’est l’histoire de son couple avec Tiahna, qui sort de prison qu’Alina Skrzeszewska raconte dans Game Girls, avec la distance nécessaire : « Je n’ai pas débarqué dans leur intimité avec ma caméra, les choses se sont faites petit à petit, en traînant ensemble quand elles m’y invitaient. Parfois, quand Tiahna était en colère contre Teri, elle ne voulait plus faire partie du film. Il y a eu des hauts et des bas. L’engagement de Teri n’est pas politique, mais elle est très présente dans la communauté lesbienne noire underground de Skid Row.  Tiahna, elle, est dans une sexualité plus fluide. Teri était donc la plus motivée par le projet car elle avait envie de parler, de s’exprimer et d’accomplir, de terminer quelque chose. C’était un engagement fort et important pour elle de faire partie d’un projet qu’elle considérait comme positif et de montrer, particulièrement à sa famille, combien son histoire doit au rejet de qui elle est, de sa sexualité, et à la façon dont elle a été jetée à la rue alors qu’elle n’avait que 16 ans ».

Scène de mariage et scène de ménage

Les scènes de la vie de nos deux héroïnes ne sont jamais tièdes, et n’évitent pas les yoyos émotionnels, à l’image de cette scène de mariage, à la fois drôle et bouleversante ou de cette scène de ménage terrifiante de violence qui a failli ne pas être gardée dans le film, comme l’explique la réalisatrice. « J’ai dû me poser beaucoup de question au moment du montage, notamment sur la séquence de violence entre elles, lors de leur voyage à Las Vegas. Je ne me sentais pas à l’aise au sujet de cette séquence, j’hésitais sur la question d’intégrer cette scène ou non et c’est Tiahna qui a insisté et qui m’a convaincue de la nécessité cruciale de la faire figurer car c’était la réalité de leur vie et il ne fallait pas masquer cet aspect. C’est important de montrer que cette violence trouve aussi sa place dans l’intimité du couple. Je me suis posé la question du voyeurisme notamment dans la représentation de Teri qui est une personne très gentille mais capable d’accès de violences. Mais il y a toujours eu des conversations avec toutes les participantes sur les éléments avec lesquelles elles se sentaient à l’aise ou pas, et j’ai beaucoup échangé avec le Dr Mimi Savage sur ces points précis. Par rapport à la drogue, j’ai toujours évité de tourner des plans qui pouvaient leur être reprochés par la police ou la justice et représenter un danger pour elles, cela a été ma limite  ».

Volonté de vérité et de profondeur

La question du point de vue est presque un thème du film, chaque plan, chaque scène, interrogent sur la représentation des personnes filmées ainsi, sans filtre, dans leur vie quotidienne, sur la façon dont le public peut percevoir ce qu’il reçoit. Mais la vision d’Aline Skrzeszewska a été guidée par une volonté de vérité, de profondeur, comme une marque de respect pour ses protagonistes : « Ce genre d’histoire dans ce genre d’endroit est, habituellement, raconté dans la perspective de la rédemption. Je voulais éviter ça et montrer une réalité qui n’est pas linéaire, rien n’est vraiment résolu à la fin, je voulais quelque chose de viscéral, qui permette au public d’être au plus près. Je voulais surtout raconter une histoire d’amour et mettre au premier plan celles et ceux qui sont habituellement au second plan et les traiter avec le même souci de complexité, de respect et d’empathie  ».

Pari gagné. Game Girls, film direct, fuit les schémas sociologiques et scénaristiques habituels pour faire de ses femmes hors-normes et underground des héroïnes de cinéma.

 

Game Girls

Réalisation : Alina Skrzeszewska
Documentaire – France – 1h25

En salles le 21 novembre 2018