« Les gens comme vous » : un maire accusé d'homophobie après avoir refusé un permis de construire à un couple gay

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C'est sur Twitter que Sébastien Durand a accusé le maire d'Aureville (Haute-Garonne) d'homophobie après avoir refusé un permis de construire à son couple. Une accusation que récuse Xavier Espic.

Aureville, homophobie
La rue du village d'Aurreville, où le maire est accusé d'homophobie - Google Street View

« On est tombés des nues. » Sébastien Durand, consultant dans la com’ et son mari Patrick, directeur de projet informatique, n’en reviennent toujours pas. Le couple s’est vu refuser sa demande de permis de construire, déposée après l’achat d’un terrain dans une petite commune de la région Occitanie. La raison ? De l’homophobie, selon le couple. Une accusation rejetée en bloc par le maire, Xavier Espic.

L’histoire est partie d’un simple tweet, posté mardi 31 juillet par Sébastien Durand. Dans celui-ci, le consultant de 48 ans rapportait les propos du maire, dont le nom était tu, justifiant son refus de permis de construire : « Je ne signerai pas le permis de construire. Les gens comme vous (sic), je préfère qu’ils viennent me voir avant de déposer leur demande pour voir si leur projet de vie correspond à ma commune ». Des propos choquants, qui ont fait réagir les internautes, le message ayant été retweeté plus de 1 700 fois.

La commune en question s’appelle Aureville (Haute-Garonne) et compte 800 habitant.e.s. Sébastien Durand a longuement hésité à rendre public le nom du village, ainsi que celui du Maire, Xavier Espic (Divers Gauche), mais, explique-t-il à Komitid, il « ne voit pas comment avancer sans nommer les choses ». Les choses, justement, quelles sont-elles ? Explications.

« Comment osez-vous avoir un tel projet ? »

Tout commence en 2017, lorsque le couple, résidant en banlieue toulousaine, décide de chercher un terrain dans les villages situés non loin de la ville. Le but est simple : bâtir une « grande maison à la campagne » tout en « restant proche des amis et des familles  ». Le choix se porte finalement sur Aureville et le couple signe un compromis de vente en janvier 2018.  Rapidement, Sébastien et Patrick s’associent avec une architecte, pour respecter le plan local d’urbanisme (PLU), et imaginent une grande maison « respectant l’architecture locale ».

« Nous ici, on est des gens simples, on n’aime pas quand c’est trop sophistiqué »

Selon Sébastien Durand, les choses se sont gâtées lors d’un premier rendez-vous avec le maire de la commune, Xavier Espic, qui s’est déroulé en présence d’une secrétaire et de l’architecte. « Il a été extrêmement agressif », nous explique le presque quinqua. « La première chose qu’il nous a dit, c’est “Comment osez-vous avoir un tel projet ? Moi, d’habitude, les gens comme vous, je préfère qu’ils prennent rendez-vous avant de déposer leur permis qu’on voit si leur projet de vie correspond à la commune” ». Des propos qui ont fait « tiquer » Sébastien. « Par la suite, il est revenu sur le sujet, pas forcément directement, mais par des phrases comme “Nous ici, on est des gens simples, on n’aime pas quand c’est trop sophistiqué”. Le mot sophistiqué prononcé avec petit mouvement précieux du poignet, façon Cage aux Folles. “On veut des gens et des maisons discrètes, on ne se montre pas” », ajoute le consultant « Il était clair que ce n’était pas notre projet qui posait problème mais aussi nous. ». Le Maire finit par refuser de signer le permis de construire en l’état.

Le projet « ne s’inscrit pas dans les valeurs identitaires de la commune »

Le couple décide alors d’organiser une deuxième réunion, cette fois au syndicat d’agglomération dont dépend Aureville. L’idée est de présenter un nouveau projet, prenant en compte les « recommandations » du maire de la commune. Mais le projet ne passe toujours pas aux yeux de celui-ci, affirme Sébastien Durand. « Il nous a répété que “ce” projet ne convenait pas, revenant sur cette idée que nous étions trop “sophistiqués” pour sa commune, que notre maison évoquait pour lui une église (sic) et qu’il se demandait quel culte nous voulions y célébrer », nous raconte l’homme.

Sébastien et Patrick, mariés depuis 5 ans, ont finalement reçu une lettre signifiant le refus de la mairie de signer un permis de construire. Dans ce document que Komitid a pu consulter, Xavier Espic motive son refus par « les éléments d’architecture qui ne seraient pas dans le style régional ». Et il y a surtout cette phrase, qui surprend le couple, expliquant que le projet «  ne s’inscrit pas dans les valeurs identitaires de la commune ».

Capture d’écran de la lettre du refus de permis de construire adressée au couple le 31 juillet – Komitid

Capture d’écran de la lettre du refus de permis de construire adressée au couple le 31 juillet – Komitid

Pour Sébastien Durand, il n’y a pas de doute à avoir, il s’agit bien d’homophobie, même si celle-ci n’est pas énoncée clairement. « Sans insultes directes, son attitude évoque selon moi néanmoins clairement de l’homophobie », pense l’homme. « Quel autre sens donner à “les gens comme vous”, “les sophistiqués” ? Cela me fait penser, toute comparaison gardée, à cette idée trumpienne que les commerçants pourraient décider “en leur âme et conscience” de ne pas faire de gâteaux de mariage pour les gays. Ici, le maire d’Aureville semble vouloir décider que deux gays mariés n’ont pas leur place en ville. »

« On aurait réagi de la même façon avec un autre couple »

Contacté par Komitid, le maire de la commune réfute les accusations du couple. « Je suis très surpris que l’on me traite d’homophobe, j’ai l’esprit tranquille, je travaille pour tous mes administrés », explique-t-il au cours d’une conversation téléphonique. « Tout le monde est sur un pied d’égalité. Tout le PLU et le règlement d’architecture sont les mêmes pour tout le monde. C’est le premier refus que l’on fait, parce que l’on a estimé que le projet ne correspondait pas à la commune. »

« Ceux qui me connaissent savent ce que je pense »

Les propos rapportés par le couple ? Xavier ne souhaite pas les commenter, expliquant « ne pas avoir de problème avec les LGBT » et que « ceux qui me connaissent savent ce que je pense », ajoutant avoir aidé à la création d’un « local LGBT ». Quant à la formulation qui parle de « valeurs identitaires » dans la lettre de refus, le maire ne souhaite pas non plus y revenir. Et de conclure : «   Nous sommes une petite commune et loin de tout cela. Parce que les gens sont différents, il faudrait qu’on les traite différemment ? On aurait réagi de la même façon avec un autre couple. »

Plainte et plainte

Le couple a pris contact avec des avocat.e.s, expliquant que « la bataille sera d’abord sur le terrain administratif » et verra s’il fait le choix d’un recours hiérarchique ou s’il ira directement au tribunal administratif. « Quant à la question de l’homophobie, nous la poserons mais elle sera sans doute plus difficile à prouver », ajoute Sébastien Durand. En attendant, les deux hommes comptent résilier l’achat du terrain et vont demander des dommages et intérêts « pour les huit mois perdus du projet et les frais engagés d’études de terrain diverses et la discrimination si nous arrivons à la faire reconnaitre ».

Quant au maire, Xavier Espic, il estime « avoir dit ce qu’il y avait à dire » mais s’autorise également à « porter plainte pour diffamation ». En attendant l’aboutissement des procédures, le couple explique s’être mis à la recherche d’un nouveau terrain dans la région. « Nous repartons moins innocents », soupire Sébastien Durand. La prochaine fois, les mariés iront se renseigner sur les vues du maire en avance. « Il y a là une forme de cynisme qui m’attriste », conclut le consultant.