Affaire Benalla : quand la caricature politique devient homophobe

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L'affaire Benalla-Macron n'en est sans doute qu'à ses balbutiements, mais déjà pointe un outil de critique politique éculé depuis les années 30 : la caricature et l'illustration satirique homophobe.

Benalla Macron caricature
Capture d'un photomontage réalisé par Laurent Courau / Facebook

Après la Coupe du Monde de Football, l’affaire Benalla. Dans la série des roller-coasters politiques, celui vécu par la présidence Jupiterienne ces deux dernières semaines est bien pire que le Tonnerre de Zeus. Tout le week-end, grâce au formidable travail démarré par la journaliste du Monde Ariane Chemin, les gros moutons de poussière sont un à un sortis de sous le tapis.

Mais parfois, face à une affaire aussi tapageuse que le scandale Benalla, l’analyse politique se prend les pieds dans une mauvaise habitude : le dérapage homophobe. Car après tout qu’est-ce qui est plus rigolo-simple-efficace – en lieu et place de faire de la critique constructive – que de ridiculiser un détenteur du pouvoir (car c’est souvent un homme) 1- en l’homosexualisant 2- en le mettant dans une posture dite passive ?

Rôle du dominé

Ce week-end, sur les flux et reflux des réseaux sociaux, on n’y a pas coupé. Plusieurs visuels ont circulé, dont de nombreuses caricatures, accompagnés souvent de commentaires de mauvais aloi. Partagés parfois par des personnes concernées. Macron et Benalla sont représentés en couple, le Président occupe systématiquement un rôle dominé. Rappelons combien cette figure de l’homosexuel dit passif est systématiquement utilisée pour diminuer l’ennemi, l’équipe adverse, en témoigne l’utilisation du participe passé « enculé ».

On se souviendra que le président Macron avait fait l’objet de rumeurs persistantes avant sa prise de poste, lui prêtant une relation avec l’ex directeur de Radio France, Mathieu Gallet. Des rumeurs qui s’accompagnaient aussi de plaisanteries douteuses et misogynes visant son épouse. Des proches avaient balayé d’une main la rumeur dans les pages du Parisien : « Emmanuel est très amoureux. Pas vraiment jaloux. Mais il fait attention à qui elle fréquente, à qui la regarde. Il la trouve tellement extraordinaire, il a peur qu’on la lui vole ! » et « elle maternante ? non c’est lui qui la protège ».

Avec ça, les genres sociaux et les orientations sexuelles sont bien rangées.

Une longue histoire

L’homophobie comme outil de critique politique, est une très longue histoire : le dessin satirique a bien souvent utilisé un fond d’homophobie misogyne pour illustrer les crises politiques. Florence Tamagne, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Charles-de-Gaulle Lille III, a consacré une grande étude sur le sujet, en France et en Allemagne, de 1900 au milieu des années 1930. « Les hommes politiques sont ainsi fréquemment représentés en femmes, dans des situations plus ou moins dégradantes : Sennep trousse Herriot en prostituée tentant de négocier ses services auprès du gouvernement Laval (album Pierre, Edouard et Léon, 1935), Chautemps en Diane au bain d’après Boucher,en pleine affaire Stavisky, » écrit la chercheuse.

Elle rappelle que la caricature homophobe intervient principalement dans deux cadres : la satire sociale et la critique politique. « Dans le cas de la critique politique, l’accusation homophobe est souvent un moyen autant qu’une fin. Un moyen, car il n’est pas nécessaire que telle personnalité soit homosexuelle pour que le soupçon plane sur elle ; une fin, lorsque l’actualité révèle au grand jour un scandale qui sert ensuite de point d’appui à une campagne de dénigrement ».

L’historienne rappelle également que les lesbiennes échappent à cette utilisation politique, du fait que le lesbianisme en lui-même est d’ordre général invisible, ou bien jugé inoffensif, excitant pour le lecteur (et non révoltant) voire comique quand il est utilisé pour évoquer le féminisme.

Caricature herriot / blum

Edouard Herriot et Leon Blum caricature – le Rire, 1931

Quand le New-York Times se prend les crayons dans la relation Trump-Poutine

Aux États-Unis, le New-York Times a tout récemment fait un choix contestable pour illustrer – comiquement paraît-il – la relation pour le moins douteuse entre la Maison-Blanche et le Kremlin. Dans la série de dessins, le président Trump est tourné en ridicule en étant dessiné pour un midinet, amoureux d’une image viriliste du président russe, et chevauchant avec lui une licorne tout en échangeant des bisous.

Innocent, le dessin ne l’était pas du tout. Dans leur critique, les internautes n’y étaient pas allé de main morte. Le député Brian Sims a ainsi tweeté « Dites, le New York Times, ce n’est pas juste complètement stupide, c’est diablement homophobe. Qu’est-ce qui peut bien vous faire penser que comparer l’amour que vivent des millions de personnes sur la Terre soit un tant soit peu comparable à la relation criminelle que ces deux-la partagent est OK ? Non mais vraiment, expliquez-moi ça ? »

Le rédacteur en chef de Them, Phillip Picardi, avait lui aussi mis les points sur les I : « ce dessin est homophobe. Cela implique qu’être gay est une insulte selon ces deux hommes. Cela implique que les appeler des gays les mettrait en colère et les ferait réagir. C’est en dessous de tout. »

  • akihito

    La société actuelle dans toute son horreur .