On a rencontré Robyn Exton, fondatrice de Her, l'appli « par les femmes, pour les femmes »

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L'application Her a officiellement débarqué en France le 28 juin. L'occasion pour Komitid de rencontrer Robyn Exton, sa fondatrice, pour parler avec elle de son projet, de protection des données, de représentation des femmes et des différences avec une appli de rencontre entre mecs.

Robyn Exton, fondatrice de Her
Robyn Exton, fondatrice de Her - Helena Price

Une application « par les femmes, pour les femmes ». C’est ainsi que Robyn Exton, Londonienne expatriée à San Francisco, a pensé Her. Une appli de rencontre dont la version française vient d’être lancée. L’Hexagone s’inscrit comme le premier pays où Her, qui y revendique déjà environ 100 000 utilisatrices (3 millions dans le monde), vient s’implanter.

C’est deux jours avant la Marche des fiertés parisienne, jeudi 28 juin, que la version française de l’appli a donc été officiellement lancée. Robyn est venue en faire la promotion au Rosa Bonheur, LA guinguette queer emblématique de Paris qui trône au cœur du parc des Buttes-Chaumont, dans le XIXème arrondissement. À cette occasion, nous avons pu la rencontrer pour en savoir plus sur Her. On a fait connaissance avec une personne aussi lumineuse que souriante, autant habitée par son projet qu’excitée d’être dans la capitale pour le présenter et offrir aux personnes concernées de la communauté LBT+ une appli censée les séduire. Interview.

Robyn Exton et Carolina Montrose, de l'application Her

Robyn Exton, créatrice de Her et Carolina Montrose, responsable événementiel de l’application – Philippe Peyre DR

Komitid : Pourquoi avez-vous voulu une application qui ne s’adresse qu’aux femmes ?

Robyn Exton : Nous ne sommes pas une application uniquement pour les femmes mais pour toutes les personnes qui s’identifient en tant que femme, personne non-binaire et personne trans. Tout le monde sauf les hommes cisgenres. On a voulu lancer cette application car il n’y en avait pas qui était construite par les femmes pour les femmes et cela manquait cruellement. Personne ne s’était intéressé aux expériences uniques que vivent les femmes, à leur vie, et à bâtir quelque chose qui fonctionne bien pour elles. C’est là dessus que nous nous sommes concentrées dès le départ. Nous avons ensuite voulu inclure d’autres identités pour lesquelles cette application peut très bien marcher aussi.

Pourquoi est-ce si important d’avoir ce type d’application ?

Lorsque nous levions des fonds pour l’application, chaque fois les gens disaient « il n’y a pas assez de lesbiennes », « je ne les vois pas, je ne sais pas où elles sont ». C’est un vrai problème que les femmes queer soient si invisibles depuis si longtemps.

« Les femmes queer sont de plus en plus représentées »

Je pense que nous assistons à un tournant pour elles depuis deux ans, on le voit notamment avec les célébrités, dans les médias traditionnels, un nombre croissant de femmes sont visibles comme Kristen Stewart, Cara Delevingne, Christine and the Queens… Les femmes queer sont de plus en plus représentées et je pense que cela encourage les plus jeunes à être plus à l’aise avec leur identité et à en parler davantage, plutôt que de se contenter de s’en tenir à elles-mêmes, de vivre en tant que queer dans leur coin. Les gens en parlent plus maintenant.

Vous pensez qu’il y a une différence dans la façon de se rencontrer entre femmes et entre hommes ?

Nous travaillons souvent avec Grindr pour comparer les usages des utilisateurs et des utilisatrices et voir dans quelle mesure ils différent. Sur Grindr, cela prend environ 2,6 heures du premier message jusqu’à la rencontre. Très rapide (rires). Sur Her, cela prend environ sept jours et trois heures avant la rencontre, c’est vraiment très différent.

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Comment expliquez-vous cela ?

Il y a plusieurs raisons à mes yeux. Les hommes recherchent souvent des histoires occasionnelles alors que quand les femmes planifient un date, elles vont plus réfléchir à ce qu’elles vont porter, à en savoir plus sur la personne qu’elles s’apprêtent à rencontrer, le type de rendez-vous qu’elles aimeraient vivre, le lieu où elles aimeraient aller, les sujets de conversation qu’elles vont évoquer… Elles pensent à tant de choses avant de se rencontrer qu’elles veulent plus de temps pour se préparer.

« Sur Grindr, on tourne autour de 3,7 messages en moyenne. Sur Her, c’est 132. »

Aussi, elles sont plus prudentes, elles ont envie de chatter plus longtemps pour se sentir à l’aise. Il me semble que la moyenne du nombre de messages envoyés sur Grindr tourne autour de 3,7. Sur Her, c’est 132… On voit vraiment que l’utilisation est très différente. Sur les applis de rencontre entre mecs, ils sont souvent là pour rencontrer quelqu’un et c’est tout, tandis que sur les applis pour femmes, elles cherchent davantage à se tourner d’abord vers une communauté et ensuite cela les amène à rencontrer des filles avec qui elles pourront flirter.

Ne pensez-vous pas que ce que vous décrivez découle de l’éducation genrée des enfants et par conséquent du sexisme ?

Oui je pense qu’on retrouve de ça dans les pratiques. Beaucoup de femmes qui font des rencontres aujourd’hui ont grandi dans un monde hétéronormatif. Je pense que nous avons connu la plus forte croissance d’acceptation d’identité au cours des trois dernières années. Et je pense que les personnes qui ont entre 14 et 19 ans représentent la génération la plus libérée que l’on a connu. Les générations d’avant se comportent encore comme on le leur a enseigné : les filles à qui on a dit qu’elles devaient se comporter d’une façon, tout comme les garçons à qui on a dit comment ils devaient se comporter. Les personnes queer ont réfléchi autour de ces enseignements : « pourquoi est-ce que je me comporte comme ça ? », « Quelles sont mes nouvelles règles ? », « Qui suis-je ? ». Les femmes lesbiennes créent leurs nouvelles règles, mais certains stéréotypes sont toujours très implantés dans les mentalités. Le gros problème pour nous, c’est que les filles ne sont vraiment pas très réactives dans les échanges sur l’application. Elles vont avoir un match et elles n’envoient rien, elles laissent de côté. C’est fou, vous avez toutes les deux dit oui, lancer-vous ! Mais elles ne le font pas, elles attendent que l’autre fasse le premier pas… Et quand nous avons cela des deux côtés de la conversation, c’est assez lent pour commencer !

Les applications de rencontre sont souvent critiquées pour être le lieu où seuls les corps minces, blancs, cis, jeunes et valides sont représentés… Comment pouvez-vous assurer une diversité dans les représentations au sein de Her ?

Les applications pour hommes ont en général des filtres pour sélectionner les personnes qu’ils ont envie de rencontrer, et ces filtres sont souvent discriminatoires. Nous n’avons pas de filtres, la seule chose que l’on a en option c’est de pouvoir choisir l’orientation sexuelle ou le genre de quelqu’un. Ce n’est pas basé sur l’apparence mais seulement sur la personne avec qui tu peux t’associer. C’est très important que ce soit une application très inclusive à tout le monde, peu importe d’où l’on vient, l’âge que l’on a… C’était vraiment très important pour nous.

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Vous avez décidé de lancer votre application à l’occasion de la Marche des fiertés de Paris. Pourquoi avoir choisi ce jour-là ? Beaucoup de personnes LGBT+ déplorent la dimension très mercantile qui s’est installée autour de ces événements… Vous le comprenez ?

Je pense que dans chaque cas, il y a deux façons de voir les choses. D’un côté, on peut se dire que les marques veulent soutenir leurs employé.e.s et leur donner une place dans la Marche et leur montrer qu’elles respectent leur identité. Je pense que ça peut être une bonne chose. C’est comme avec les lignes de mode arc-en-ciel aux États-Unis, chaque entreprise fait sa ligne spéciale Pride mais juste pour l’argent ou l’image. Mais je pense que certaines le font brillamment, elles fabriquent ces vêtements et tous les profits vont à des associations LGBTQ.

L’appli Grindr a provoqué un scandale quand on appris que certaines données privées des utilisateurs étaient partagées avec des tiers, notamment le statut sérologique… Comment assurer aux utilisatrices qu’elles peuvent vous faire confiance ?

Nous recueillons des données de façon très limitée sur nos profils et la plupart d’entre eux sont basés sur des images. Mais ça a toujours été sécurisé dès le premier jour, nous avons toujours pensé à ne pas outer quelqu’un par exemple. Nous ne pourrons jamais créer un jardin parfaitement clos, quelqu’un peut toujours faire une capture d’écran d’un profil et l’envoyer ensuite à d’autres. Nous ne pouvons pas créer un sentiment de sécurité complet, mais nous y accordons une grande importance car nous ne voulons pas être dans une position où nous avons intentionnellement fait quelque chose de mal pour l’utilisatrice.

Recevez-vous des suggestions de vos utilisatrices ? Comment gérez-vous ça ?

Toujours (rires) ! La communauté LGBTQ est très passionnée et très à l’écoute de ce qu’elle recherche. Toutes les activités se construisent là-dessus alors, au tout début, quand nous avions très peu d’utilisatrices, il y avait beaucoup d’entretiens, beaucoup de séances de groupes, nous avions un groupe chaque semaine au bureau pour entendre ce qu’elles voulaient améliorer. Maintenant, les personnes nous envoient leur suggestions à travers l’application. Les événements que nous organisons sont des moments où nous recevons beaucoup de commentaires.