3 questions à Flo Zif et Marianne Chargois, organisatrices du What The Fuck Festival

Publié le

« Hors de question de faire quelque chose d'aseptisé ou qui soit à nouveau une vitrine de la normativité. »

what the fuck festival 2018
Affiche de l'édition 2018 du festival What The Fuck Festival - Marie Planques

Depuis 2016, le Cirque Électrique accueille le What The Fuck Festival, consacré aux sexualités dissidentes et alternatives. Petit frère spirituel du célèbre Porn Film Festival de Berlin, cet événement se démarque par une programmation aussi culottée qu’exigeante, à travers des performances, des spectacles, des rencontres et des projections. À l’occasion de la troisième édition du festival qui commence ce vendredi 6 juillet, les créatrices du festival, Flo Zif, à qui l’on doit les soirées PlayNight et Marianne Chargois, performeuse et travailleuse du sexe, nous expliquent la raison d’être d’un festival comme le leur…

Komitid : Comment liez-vous la question du travail du sexe aux disciplines artistiques ? De prime abord, il n’est pas évident de voir une connexion…

Déjà parce que nous sommes des activistes, engagées dans le mouvement sex positive et que pour nous cela inclut automatiquement le travail du sexe. Ce sont des choses qui nous touchent dans nos activités professionnelles et dans nos vies personnelles. D’un point de vue artistique, c’est de toute façon une volonté au What The Fuck Festival de faire que toutes les minorités – et toutes les minorités autour des sexualités qui sont ostracisées – puissent avoir une visibilité. Que l’on puisse poser un discours qui fasse réfléchir, un discours qui soit hors des circuits dominants qui veulent abolir la prostitution. Réfléchir au-delà pour dire que ce n’est pas aussi simple que ça, pas aussi dévalorisant que ça, qu’il y a des personnes dont c’est le métier et dont le parcours de vie tourne autour de ça. Au lieu de montrer à nouveau un discours purement idéologique, abolitionniste ou pas abolitionniste, c’est donner la possibilité à des gens qui utilisent leurs corps autour de la création de parler du travail du sexe et de parler de ces différences.

Le porno – même parfois le porno queer – montre majoritairement des corps normés : minces, blancs, cisgenres, jeunes, valides… En voyant votre programmation, on remarque une volonté de ne pas tomber dans ce travers. Comment cela s’est-il construit ?

Déjà le titre du festival, c’est « Festival Queer Sexualités Dissidentes ». Donc il est hors de question de faire quelque chose d’aseptisé ou qui soit à nouveau une vitrine de la normativité. C’est un festival autogéré, on n’a pas de subventions publiques, on est libres, donc raison de plus pour occuper cette liberté. Ça signifie que la norme va être revisitée, c’est vraiment un parti pris et ça tient bien sûr aux artistes qu’on invite. On n’est pas là pour tenir des quotas, par contre, dans la structure de ce qu’on veut exprimer, de ce qu’on a envie de faire vivre aux spectateurs et spectatrices, c’est évident qu’on va faire attention à ça, à l’équilibre pour que chacun et chacune soit représenté.e. C’est un choix qui pose d’ailleurs question par rapport aux autres festivals. Si nous on y arrive, pourquoi pas les autres ?

Il est hors de question de faire quelque chose d’aseptisé ou qui soit à nouveau une vitrine de la normativité.

Cette année, on présente par exemple Glitter Butch, qui a un discours fat positive, on a aussi Gordon B. Rec qui aborde la transidentité, mais à travers une forme de modification corporelle. Dans le spectacle de Matthieu Hocquemiller, il y a aussi Mimi Aum Neko, travailleuse du sexe et réfugiée politique thaïlandaise.

À quel point c’est difficile d’organiser un événement comme celui-là ?

Déjà on a la chance d’être accueillies au Cirque Électrique, qui nous soutient de façon inconditionnelle et avec une grande confiance. C’est merveilleux de pouvoir disposer de cet endroit à Paris. Dans une salle classique de cinéma, on ne pourrait pas le faire puisque les films qu’on présente n’ont pas d’autorisation ou pas le label interdit au moins de 18 ans. Ça, c’est le versant positif.

Notre festival n’est pas sulfureux. Le sulfureux, ça a un côté libertin, un peu chic. Nous, on est au-delà.

De l’autre côté, on ne peut pas demander de dossier de subventions, même sur la base de la lutte contre les discriminations, parce que dès qu’on parle de travail du sexe, dès qu’on parle d’homosexualité, on a une levée de boucliers tellement forte qu’aucune personne n’oserait accorder des subventions. Il y a un tel climat de censure avec une montée des idées d’extrême droite qu’on sait qu’on n’aurait pas d’argent. La difficulté c’est de tenir en étant en autogestion : les entrées payent l’événement et nous contribuons avec nos fonds personnels. Si déficit il y a, on met de l’argent sur la table. C’est précaire, mais on tient à cette économie car on veut que l’événement existe. Une autre difficulté, inédite celle-ci, tient à la communication. Notre page Facebook a été supprimée, il est arrivé la même chose au Festival du Film de Fesses récemment, ça a été aussi le cas pour la PlayNight. C’est vraiment préjudiciable. Maintenant, on doit trouver des ruses pour communiquer sur un événement autour des sexualités. On se retrouve dans la même forme d’invisibilisation, même sur les réseaux sociaux. On se heurte de toute façon à une société bien pensante qui ne veut pas parler de sexualité, ou bien à des personnes qui ne veulent parler de sexualité qu’à travers la prévention, ou qu’à travers l’amour.

On se voit comme les sales gosses des sexualités. Notre festival n’est pas sulfureux. Le sulfureux, ça a un côté libertin, un peu chic. Nous, on est au-delà. On montre, on revendique des espaces que les gens ne veulent pas voir. C’est l’underground. Les sexualités qui parlent de soi, qui partent d’un endroit intime, c’est là que ça pose problème : tout d’un coup, on va voir des grosses s’envoyer en l’air, faire du strip-tease sur scène, on va voir une réfugiée thaïlandaise dans un spectacle où elle se met en scène, on va voir un transboy parler de sa situation dans les backrooms… tout d’un coup, on n’est plus dans une forme de charme, de séduction ou d’excitation. Ce sont des sexualités au centre de l’expression personnelle et politique.