3 questions à Franck Finance-Madureira, fondateur de la Queer Palm au festival de Cannes

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« La Queer Palm est un prix militant car c'est une façon de mettre en avant la diversité dans le plus grand festival de cinéma du monde. »

L'affiche de la Queer Palm 2018 /
L'affiche de la Queer Palm 2018 / Queer Palm

Journaliste cinéma et rédacteur en chef du site FrenchMania, Franck Finance-Madureira a créé il y a presque dix ans la Queer Palm, un prix pour récompenser les films sélectionnés au festival de Cannes qui traitent des questions LGBT+. Alors que les lauréats de cette année seront annoncés ce vendredi 18 mai, son fondateur nous explique pourquoi la Queer Palm compte toujours autant sur la Croisette…

Cette année, on remarque un foisonnement en matière de films qui abordent les questions LGBT+. Qu’est-ce que ça signifie concrètement pour la Queer Palm ?

Quand j’ai créé la Queer Palm en 2010, on avait le choix entre six films et là pour l’édition de cette année, on a seize films en compétition. C’est un record et c’est aussi significatif, car dans ces seize films, pour la majorité d’entre eux, l’homosexualité ou la transidentité n’en sont pas le cœur. On a des thrillers, on a des films familiaux, on a des histoires d’amour où les personnages sont LGBT, mais ce n’est pas le sujet. Je pense qu’on a vraiment franchi un cap.

« On est dans un processus de “normalisation” qui fait que ce n’est plus le coming out qui nous »

Il y a eu un effet 120 battements par minute, qui a été un marqueur, un moment de bascule dans l’histoire du cinéma LGBT à Cannes. On est dans un processus de « normalisation » qui fait que ce n’est plus le coming out qui nous intéresse. On est vraiment dans des films où les personnages sont LGBT mais ce sont avant tout des films qui peuvent s’inscrire dans d’autres genres. Cette normalisation n’empêche pas la Queer Palm d’exister. On sélectionne les films par rapport à leur sujet, leur personnages, mais le jury est un jury composé de professionnel.le.s, qui va juger les films pour leurs qualités artistiques. C’est un prix militant, mais c’est avant tout un prix de cinéma. C’est un prix militant quoi qu’il arrive, car c’est une façon de mettre en avant cette diversité dans le plus grand festival de cinéma du monde.

Comment a évolué la manière dont est perçue la Queer Palm au fil des éditions ?

Le regard a été bienveillant dès le début de la part des professionnel.le.s du cinéma et de la part des journalistes. Ensuite, tout s’est joué sur une question de notoriété qui s’est construite au fil des années. Un prix vaut aussi par la qualité de son jury et je pense qu’on a vraiment insisté là dessus, on a chaque année trouvé des jurys à la hauteur, constitués de professionnel.le.s reconnu.e.s, d’horizons divers, de métiers divers et de pays divers. Cette année, avoir Sylvie Pialat qui, à mes yeux, est une des plus grandes productrices françaises, c’est un grand pas. Quand Gaspard Noé contacte la Queer Palm pour qu’on ajoute son film dans notre sélection, parce qu’il estime qu’on doit le voir, c’est une reconnaissance.

« Il ne manque plus qu’au festival de Cannes de reconnaitre la Queer Palm ! »

Donc, oui, la Queer Palm est reconnue par la profession, il y a une vraie validation. On est soutenu depuis l’année dernière par la Dilcrah, c’est une reconnaissance de l’État qui me semble vraiment importante… il ne manque plus qu’au festival de Cannes de reconnaitre la Queer Palm ! Ce n’est pas encore le cas dans les faits : on a une montée des marches officielle qui sera le 17 mai pour le film Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez avec tout le jury. Mais ça s’arrête là, il n’y a pas d’efforts particuliers, c’est toujours un travail bénévole pour toute une équipe. Heureusement qu’on a un lieu grâce à nos partenaires, Piper-Heidsieck et la vodka Tom of Finland, car grâce à eux, on a pu créer un lieu qui s’appelle Le Vertigo où on reçoit tout le monde tous les soirs.

Heureusement aussi qu’on a quelques sponsors, notamment Hornet et Epicentre Films. Cette année, la société TitraFilm, qui a été l’inventeur des sous-titres au cinéma, nous a contacté pour être partenaire et pour offrir un montant de travaux de sous-titres, de mix audio et de post-production audio au long-métrage et au court-métrage qui remporteront la Queer Palm. C’est un geste très symbolique.

En 2014, Xavier Dolan – que vous avez récompensé en 2012 pour Lawrence Anyways avait déclaré en parlant de la Queer Palm : « que de tels prix existent me dégoûte ». Aujourd’hui, y a-t-il encore des personnes pour accuser le prix de « ghettoïser » les films, de les circonscrire à une démarche communautaire ?

Un prix communautaire sous-entendrait que le jury est constitué de militant.e.s associatifs, de représentant.e.s d’une certaine communauté. Ce n’est absolument pas le cas. Que la Queer Palm soit militante parce qu’elle veut mettre en avant ces thématiques là, soit. Mais militant ne veut pas dire communautaire.

« Le vrai travail politique, ce sont les films qui le font »

Le slogan de la Queer Palm c’est « Open minded award since 2010 ». On a affiché cette ouverture d’esprit dès le départ. Le vrai travail politique, ce sont les films qui le font. Nous, notre boulot, c’est de mettre ça en avant : d’une façon ou d’une autre, en les faisant exister d’un point de vue artistique, avec les regards d’un jury de professionnel.le.s qui se passionnent chaque année pour les films qu’ils découvrent.