3 questions à Jonatan et Clément, un couple victime d'une agression homophobe à Bruxelles

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« Je n'ai jamais voulu faire de ma vie privée un combat mais, pour autant, j'ai toujours trouvé invraisemblable que certains couples aient plus que d'autres le droit de s'afficher dans l'espace public. »

Bruxelles, quartier de la Bourse - Sira Anamwong / Shutterstock
Bruxelles, quartier de la Bourse - Sira Anamwong / Shutterstock

À Bruxelles, dans la nuit du 14 au 15 avril, Clément et Jonatan, rentraient ensemble de la soirée Primavera Queer. En plein centre de la capitale, le couple belgo-brésilien a été insulté, menacé, puis frappé par un groupe d’adolescents. Après avoir posté le récit de leur agression sur les réseaux sociaux, une vague de soutien s’est soulevée. Un kiss-in pour dénoncer l’homophobie a eu lieu le 20 avril.

Étrange ironie, le couple sera visible dans toute la capitale belge à l’approche du Pride Festival de Bruxelles, puisqu’ils figurent sur l’affiche de l’événement. Ils s’embrassent, comme une manière de reprendre le dessus. Jonatan et Clément ont expliqué à Komitid pourquoi ils ont voulu parler de ce qui leur est arrivé et surtout, pourquoi ils continueront d’être visibles, envers et contre tous.

Sur Facebook, vous avez affirmé que l’agression dont vous avez été victimes résulte d’un problème social et politique. Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Jonatan : J’estime que le problème est premièrement social parce que, bien qu’on soit à Bruxelles, un couple homo-affectif qui s’affirme dans l’espace public provoque encore des regards et des réactions négatives, fruits d’une société qui récompense les relations hétérosexuelles et écarte ou éclipse les relations homosexuelles. Le niveau des questions qui nous ont été posées par les agresseurs montre bien cette vision binaire des choses : on nous a demandé qui était « la femme du couple », ce à quoi j’ai réagi promptement en répondant qu’il n’y avait pas de femme : on est deux hommes mariés. Cela peut sembler anodin, mais à mon avis c’est assez révélateur de la difficulté de rendre intelligible, donc acceptable, d’autres réalités, d’autres configurations affectives et sexuelles qui ne soient pas hétéronormées. Comme m’a écrit un ami brésilien, pour être capable de nous agresser on nous a déjà « tué » précédemment, l’agression n’est que la concrétisation de l’effacement symbolique de notre humanité.

« L’État est là pour protéger la société d’elle-même »

Ensuite, le problème devient politique quand l’État néglige une de ses fonctions essentielles : la protection de toutes les personnes, garantissant la pluralité de la société dans son ensemble. La protection concerne une série de mesures politiques pour garantir une vie pleine et sûre à des populations historiquement stigmatisées, comme c’est le cas de la population LGBTQI+. L’État est là pour protéger la société d’elle-même, c’est le principe fondamental de tout État démocratique de droit. Quand il n’y a aucun ou peu d’intérêt institutionnel pour que le genre et les diverses sexualités soient discutées à l’école, par exemple, l’État est en faute grave.

Clément : À la fin, tout est politique. Le logiciel de pensée de nos agresseurs est le même que celui de l’extrême droite, à savoir : une société basée sur une identité unique à laquelle chacun.e devrait tendre. Nous sommes divers.e.s et c’est là toute notre force.

On a tendance à imaginer Bruxelles comme une ville très ouverte et LGBT-friendly, mais votre agression montre que le tableau n’est peut-être pas si idyllique. Comment le percevez-vous ?

Clément : Bruxelles est toujours une ville ouverte sur les différences. On s’enorgueillit à juste titre de la mixité de cette ville et d’ailleurs, c’est un détail significatif, Jonatan et moi vivons dans un quartier peuplé majoritairement de personnes d’origine immigrée. Contrairement à tous les stéréotypes, nous n’avons jamais eu de problèmes dans notre quartier et c’est, au contraire, en plein centre, dans l’espace le plus « invisibilisé », où toutes et tous se croisent quelles que soient leurs appartenances, que nous avons été agressés. Ça laisse songeur. C’est peut-être cette invisibilité qu’inconsciemment nos agresseurs ont cherché à atteindre.

« J’avais 20 ans quand le mariage, puis l’adoption pour les couples gays et lesbiens ont été adoptés en Belgique »

Je pense que Bruxelles est sensible comme toutes les villes du monde à la montée des tensions sociales, politiques et identitaires produites par une mondialisation sauvage et des tentatives, pour l’Occident, de conserver sa prééminence économique et politique. La situation me paraît aujourd’hui moins favorable qu’avant au respect des différences, de ce fait-là. Je suis plus âgé que Jonatan et Bruxellois depuis toujours. J’avais 20 ans quand le mariage, puis l’adoption pour les couples gays et lesbiens ont été adoptés en Belgique, dans une relative indifférence générale, contrairement à ce qu’on a pu voir en France ces dernières années. Je garde du début des années 2000 le souvenir d’une grande fraîcheur, d’une grande légèreté, on avait l’impression de progresser. Peut-être est-ce simplement dû au fait que j’avais 20 ans…

Il me semble toutefois que depuis quelques années, surtout depuis l’assassinat monstrueux d’Ishane Jarfi à Liège en 2012, tout s’est un peu tendu. Le climat est différent. Les regards sont plus appuyés, les commentaires fusent plus facilement. Une parole s’est peut-être libérée. Peut-être aussi parce qu’avec les acquis pour les personnes LGBTQI+ qui s’accroissent un peu partout dans le monde, certaines personnes prennent peur. Leur monde est bouleversé par les avancées sociétales. Ils étaient d’accord de concéder certaines libertés mais les voir se pérenniser et s’émanciper les effraie. Je pense malgré tout qu’il s’agit d’un phénomène minoritaire.

Jonatan : En mars, un mois avant l’agression à peu près, j’écrivais pour une exposition sur la diversité de Bruxelles : « Une fois ici, j’ai découvert comme il était doux de vivre ma vie en plénitude et liberté aux côtés de mon compagnon, sans avoir peur de me faire agresser ou tuer, comme je l’éprouvais constamment au Brésil. Être (devenu) Bruxellois représente pour moi la paix d’exister sans peur. » Je pense que ce texte est très révélateur de l’image idéalisée que je me faisais de cette ville, même si nous avons des amis qui s’étaient faits agresser pour s’être montrés en couple, également au centre-ville, en juin 2016. Peut-être cela est-il dû au fait que j’arrivais d’un pays où l’on tue une personne LGBTQI par jour… De toute façon, je continue à penser que Bruxelles et les Bruxellois.e.s dans leur majorité ont un énorme potentiel de vivre d’une manière apaisée avec leurs différences.

C’est vous qui figurez sur le visuel du Pride Festival. La visibilité en tant qu’hommes gays, en tant que couple, c’est donc quelque chose qui compte particulièrement pour vous ?

Clément : Je n’ai jamais voulu faire de ma vie privée un combat mais, pour autant, j’ai toujours trouvé invraisemblable que certains couples aient plus que d’autres le droit de s’afficher dans l’espace public. En fait, la question se posait plutôt dans les termes suivants : si les autres peuvent le faire, nous aussi. Concernant ce visuel, il s’agissait au départ d’une demande d’un ami travaillant à la RainbowHouse : pour une campagne intitulée « All Genders Welcome » à Bruxelles, il cherchait des couples habitant dans chaque commune bruxelloise et il nous a demandé d’être l’un de ceux-là. Nous avons pris un certain nombre de photos dont celle qui sert de visuel pour le Pride Festival aujourd’hui. La commune en a préféré une autre, moins sensuelle. Mais comme notre ami aimait beaucoup cette première photo, il nous a demandé s’il pouvait l’utiliser pour le visuel du Pride Festival et nous avons accepté, voilà tout.

Jonatan : Je pense qu’historiquement on est la première jeune génération d’hommes homosexuels à avoir (au moins officiellement) tous nous droits garantis (en Belgique) en tant que citoyens. D’où le fait que, par exemple, nous avons immédiatement accepté l’invitation de notre ami mais avec une condition : que les photos suggèrent nos visages, sans les dévoiler totalement. Nos familles et ami.e.s peuvent facilement nous reconnaître, mais pas spécialement les personnes qui ne nous connaissent pas. À mon avis c’est assez révélateur de ce moment de transition historique : on veut s’affirmer, mais on a encore des hésitations face à une société encore partagée entre celles et ceux qui prônent la libération et le droit à la différence, et les autres, attachés à leurs vieilles vérités absolues.