Soins palliatifs : « La Maison de Gardanne », fondée pendant la crise du sida, célèbre ses 30 ans

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Soulager la douleur physique, apporter la sérénité psychique, améliorer la qualité de vie, accompagner tout au long du chemin et le plus tôt possible : c'est ce qui guide le personnel en soins palliatifs.

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Chinnapong - Shutterstock

«  Des années de bonus », c’est le temps de vie que Soizic Carbonnel, 72 ans, atteinte du VIH, estime avoir gagné depuis qu’elle fréquente “La Maison” et son patio verdoyant, une structure pionnière des soins palliatifs en France, près de Marseille.

Une fois par semaine, la dame aux boucles grises vient se ressourcer à La Maison de Gardanne, lieu alternatif qui dans le sud de la France accueille les personnes atteintes de maladie incurable, dont le temps est compté ou qui n’espèrent pas de guérison.

L’ancienne coiffeuse amputée d’une jambe y trouve depuis une quinzaine d’années le réconfort et l’humanité qui lui manquent dans l’appartement insalubre où elle habite seule. « J’étais arrivée à un stade où je ne mangeais plus, je me laissais mourir », raconte-elle.

Fréquenter ce lieu, où l’on peut échanger des paroles, des attentions, s’évader dans des ateliers de danse ou de peinture, « m’a fait grandir dans ma tête et assumer ma maladie. (…) C’est important, quand on est malade, d’être entouré comme ça. »

Tout est fait pour ça dans cet établissement créé il y a 30 ans pour accueillir les malades atteints du sida livrés à eux-mêmes, à une époque où les traitements n’étaient toujours pas efficaces pour empêcher la progression inexorable de la maladie.

Ici, ni interminables couloirs froids ni blouses blanches, ni rythme effréné d’un service hospitalier. Un coin bibliothèque décoré de tableaux et de sculptures, un salon cheminée avec canapé moelleux et fleurs séchées, un piano à queue blanc dans l’entrée.

Malades et personnel médical, pas toujours distinguables les uns des autres, y cohabitent une journée, quelques semaines, des années, parfois jusqu’à la fin.

« C’est un peu un entre-deux entre l’hôpital et la maison parce qu’on reste quand même un établissement de santé où on fait beaucoup de choses médicalisées mais on essaye de le cacher au maximum », explique le médecin Julie Deleuze-Dordron.

Tous les traitements médicaux peuvent être dispensés, hors chimiothérapies nécessitant une préparation hospitalière, mais « l’idée c’est que les gens ne se sentent pas à l’hôpital »..

Le développement de telles maisons d’accompagnement, « où la place de l’écoute et du bien-être est aussi importante que celle du soin », fait partie des priorités du gouvernement français pour combler le retard dans le domaine des soins palliatifs.

Dimanche, le président Emmanuel Macron a annoncé que le projet de loi maintes fois repoussé sur la fin de vie serait présenté en mai à l’Assemblée nationale.

« Révolte éthique »

Soulager la douleur physique, apporter la sérénité psychique, améliorer la qualité de vie, accompagner tout au long du chemin et le plus tôt possible : c’est ce qui guide le personnel en soins palliatifs.

«  Si la personne a une détresse physique, on va la résoudre, quelles que soient les conséquences. C’est-à-dire qu’on va donner des calmants et des anxiolytiques, même si ça accélère la fin de vie », explique à l’AFP Jean-Marc La Piana, charismatique fondateur de La Maison de Gardanne.

Et puis « on a la détresse morale, (…) c’est quelque chose qui est pris en compte. »

C’est à Londres, en 1967, que fut fondé par la docteure Cicely Saunders le Saint Christopher’s Hospice, « la référence internationale des soins palliatifs », rappelle Pierre Moulin, maître de conférences en psychologie sociale de la santé à l’Université française de Lorraine.

« Jusque dans les années 1960, les mourants, c’est l’incarnation de l’échec de la médecine donc ça n’intéresse personne », rappelle-t-il.

« On part d’une révolte éthique en jugeant que les personnes en fin de vie sont souvent abandonnées, mourant dans des conditions absolument terribles », pour créer un établissement où elles seront prises en charge par une équipe soignante multidisciplinaire.

En France, la première unité de soins palliatifs est créée à la fin des années 1980.

« Ça fait du bien »

Sous la verrière, à l’atelier peinture, Soizic Carbonnel se concentre sur sa palette. Avant La Maison, « je ne savais pas que je savais dessiner, peindre. Maintenant je fais des tableaux, je m’évade. C’est terrible comme c’est bon ! »

A côté d’elle, autour de la table encombrée de pots de couleur et de pinceaux, il y a des mains qui tremblent mais qui tracent des lignes, des paroles qui ne peuvent être prononcées mais des sourires.

Au même moment, dans une pièce parfumée à la fleur d’oranger, la socioesthéticienne Ursula Kessai installe un éphémère salon de beauté. « On travaille sur l’estime de soi », dit-elle. « C’est important. »

Antoinette, 53 ans, à qui elle prodigue avec douceur un soin du visage, a du mal à parler mais arrive à lui dire : « Ça fait du bien ».

Aujourd’hui, la fin de vie peut se compter en mois voire en années et les soins palliatifs ne se réduisent pas à une prise en charge sur les derniers jours.

Romain, 35 ans, sait que ça va durer. Le jeune homme au regard triste vit ici depuis plusieurs années, coincé dans un fauteuil par sa maladie stabilisée mais qui lui a fait perdre toute autonomie. Il ne peut pas même attraper sa cigarette que Morgane, infirmière coordinatrice, lui tient jusqu’à la dernière taffe.

La Maison, c’est aussi la possibilité de se poser pour les patients en situation de nomadisme thérapeutique, ballotés de structure en structure faute d’institution adaptée.

Comme Tina Setti, 56 ans, hémiplégique du côté gauche à la suite d’un cancer du sein qui a métastasé.

Arrivée ici il y a un an après être passée par un centre de soins de suite et de réadaptation et un hôpital, elle attend une place dans une résidence thérapeutique à Marseille où elle pourra retrouver un peu d’autonomie et récupérer sa chienne Pamela.

D’ici là, cette ancienne technicienne chez Air France aux cheveux courts argentés n’a sa place ni à l’hôpital pour une longue durée ni chez elle en fauteuil roulant.

« J’en ai marre de tout attendre, attendre que la Maison départementale des personnes handicapées me donne mon appartement, attendre d’avoir le fauteuil robotisé », lâche-t-elle. Mais « c’est mieux d’être ici que seule chez moi. »

Avant le déjeuner résonnent dans La Maison les notes de piano et chansons d’Aznavour ou hits des années 80 repris en choeur par les résidents.

« Offre insuffisante »

De telles structures “non conventionnelles” se comptent sur les doigts d’une main en France, comparé à la Grande-Bretagne, au Danemark ou au Canada, où il y en a 27 rien qu’à Montréal, précise Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement des soins palliatifs.

A l’hôpital Saint-Joseph de Marseille, dans l’unité de soins palliatifs, même philosophie de prise en charge mais autre ambiance.

Des portes numérotées, dont l’une affiche un voyant lumineux jaune signe d’un décès récent, s’alignent dans un long couloir sans âme.

Dans la chambre 2012, la télévision diffuse un documentaire animalier quand deux clowns hospitaliers entrent avec trompette en plastique et ukulélé pour divertir François Garcia, 83 ans.

L’ancien armaturier aux yeux bleus est sous assistance respiratoire après des complications liées à un cancer du pancréas. Il a été transféré dans l’unité une quinzaine de jours auparavant.

« Ils sont très gentils » ici, dit l’octogénaire. « Ils se tâtent pour me faire rentrer chez moi. Mais chez moi, ma femme est seule. Il faut mettre le lit médicalisé, la potence, tout le bazar, elle n’y arrivera pas même si des infirmières viennent. »

Dans la région comme au niveau national, « on a énormément de patients qui n’ont pas accès à des structures de soins palliatifs, qu’elles soient à domicile ou à l’hôpital, et donc font face à des situations catastrophiques à la maison », dit la cheffe du service Alix Dousset.

« Temps de vie »

Fin 2021, la France comptait 171 unités de soins palliatifs, selon l’Atlas 2023 des soins palliatifs. Une offre « largement insuffisante pour couvrir les besoins » qui ne sont pourvus que pour 50 % des patients environ, relevait en juillet la Cour des comptes.

Et les inégalités territoriales sont criantes. En 2021, 21 départements, parmi lesquels les Ardennes, le Gers, la Lozère, les Pyrénées-Orientales ou la Guyane, ne disposaient pas d’unité de soins palliatifs.

A La maison de Gardanne, sur trois demandes d’admission, une seule est acceptée en moyenne (pour un séjour pris totalement en charge par la sécurité sociale).

Le rapport sur la stratégie pour les soins palliatifs, remis au gouvernement en décembre, préconise de créer 100 “maisons” de ce type d’ici dix ans.

Le projet de loi sur la fin de vie, a détaillé le président Macron, ouvrira la possibilité pour certains patients de demander une « aide à mourir » selon des « conditions strictes » – ni un suicide assisté ni une euthanasie comme cela se fait aux Pays-Bas ou en Belgique.

« Tant que tout le monde n’a pas accès aux soins palliatifs, je pense qu’on risque de priver des malades d’un temps de vie parce qu’ils seront découragés ou parce que leurs douleurs ne seront pas traitées », analyse le docteur La Piana.

« Les patients, à partir du moment où il y a un accompagnement, ils veulent continuer à vivre. Prenons bien en charge les gens et après, s’ils veulent mourir, OK », conclut le directeur de La Maison.

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