En Ukraine, un film sur l'homosexualité suscite éloges et protestations

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Une comédie vient souligner les efforts déployés pour faire changer des préjugés profondément ancrés dans un pays aux moeurs conservatrices et influencées par l'Église, qui ambitionne de rejoindre l'UE.

Une caméra sur fond de drapeau ukrainien - phtoto Kartinkin77 / Shutterstock

Dans ce film, baptisé “Leçons de tolérance”, une famille accepte de participer à un programme gouvernemental d’intégration européenne. En échange d’un rabais sur ses factures d’électricité, les membres de la famille devront accueillir pendant trois semaines un homosexuel qui tentera de faire évoluer leurs idées.

S’il peut paraître absurde, le scénario reflète le travail des militants pro-LGBT en Ukraine, un pays aux moeurs conservatrices et influencées par l’Église.

L’invasion russe en février 2022, a incité l’Ukraine à se distancer de son voisin, où la « propagande » homosexuelle est criminalisée et où le « mouvement LGBT » a été déclaré « extrémiste ».

L’agence ukrainienne du cinéma a contribué au financement de ce film à petit budget, tourné pendant la guerre, en accordant une subvention de 81.000 dollars.

Signe des divisions que suscite l’homosexualité au sein de la société ukrainienne, des projections du film ont été bloquées dans la capitale, Kiev, et à Kharkiv, la deuxième ville du pays, par des militants de groupes ultranationalistes, qui ont scandé : « De l’argent pour l’armée, pas pour la propagande LGBT ! »

Un inconnu a tagué une croix orthodoxe et des symboles néo-nazis sur le cinéma Octobre de Kiev lorsqu’il a mis des affiches de “Leçons de tolérance”.

« Notre film est très pertinent et ce qui a été peint sur les murs du cinéma Octobre en est la preuve », a affirmé le réalisateur Arkady Nepytaliouk devant le public de cette salle.

Tourné en neuf jours dans un appartement miteux de l’époque soviétique, le film contient de nombreuses blagues à connotation sexuelle. Il montre aussi l’homophobie comme un symptôme de la colère des laissés-pour-compte des évolutions sociales et économiques.

 « Le film peut aider »

A l’écran, la famille redoute l’arrivée de son invité gay, Vassyl. « Que vont dire nos voisins et nos proches ? », s’inquiète le père, Zenyk, chauffeur au chômage.

Son fils Denys, qui dirige un atelier automobile en difficulté, sermonne la famille qui s’est « compromise pour de l’argent ».

Surprise : Vassyl n’est pas la personne extravagante qu’ils attendaient. « Où est l’homosexuel ? Il arrive demain ? », l’apostrophe Zenyk en lui ouvrant la porte.

Vassyl a, fort heureusement, un laissez-passer plastifié confirmant son orientation sexuelle.

A force de patience, il apprend à la famille à dépasser ses préjugés et partagera même un baiser avec l’un de ses membres.

« Le film peut aider. Au minimum, il attire l’attention sur ce sujet », relève auprès de l’AFP le réalisateur, M. Nepytaliouk.

« Une personne qui ressent de l’homophobie se reconnaîtra dans les personnages du film et commencera à y réfléchir : “Pourquoi est-ce que je fais ça ? Que ferais-je dans cette situation ?”  », veut-il croire.

Le soir de la projection, la police patrouillait devant le cinéma Octobre, qui avait été la cible d’un incendie criminel en 2014 après avoir projeté un film français sur les travestis masculins.

Pour des spectateurs croisés aux abords de la salle, les opposants à “Leçons de tolérance” ont mal compris son message.

« Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une sorte de propagande LGBT, il s’agit simplement de la vérité, de la famille, des relations au sein de la famille », dit Oleksandra, une jeune réalisatrice de Marioupol, ville occupée par la Russie.

« Pour moi, il est question d’amour et d’êtres chers », abonde Ilona Boïko, actrice et professeur d’art oratoire.

Iouri, un bénévole de 23 ans qui recueille des dons pour l’armée, estime pour sa part que le film peut amener les gens à réviser leur opinion.

Ayant grandi dans une petite ville, il raconte avoir été « un radical qui détestait les gays », jusqu’à ce qu’il aille à l’université à Kiev et qu’il fasse la connaissance d’un camarade homosexuel.

« J’ai réalisé que je voulais vraiment revenir dans ma petite ville et montrer ce film à mes parents, qui m’ont appris que les gays et les lesbiennes, ainsi que les transgenres et les bi, étaient de mauvaises personnes », explique-t-il.

« Je pense que c’est faux et je veux que le plus grand nombre possible de personnes non informées voient ce film », ajoute le jeune homme.