Interview long format de Sonia Tir pour son essai « Sortir du placard, LGBT en politique »

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Qu'est-ce qui a motivé le choix des politiques de sortir du placard ? Pourquoi les femmes lesbiennes restent encore si peu visibles et paient parfois un prix plus fort ? Dans son essai passionnant, « Sortir du placard, LGBT en politique » (Fayard), Sonia Tir analyse les évolutions du personnel politique sur la visibilité et sur les droits des personnes LGBT. Interview.

Sonia Tir (photo Clémence Louise Biau) est l'autrice de « Sortir du placard - LGBT en politique » aux éditions Fayard
Sonia Tir (photo Clémence Louise Biau) est l'autrice de « Sortir du placard - LGBT en politique » aux éditions Fayard

C’est un essai d’une ampleur exceptionnelle que publie en ce début d’année Sonia Tir avec Sortir du placard, LGBT en politique (Fayard). Non seulement par le grand nombre des interlocuteur·rices qu’elle fait parler sur ce sujet encore à haut risque, mais aussi par la diversité des personnalités politiques rencontrées. A l’exception des Républicains, qui lui ont dit non d’emblée, les principaux partis représentés au Parlement s’expriment dans ce livre, à travers un·e ou plusieurs représentant·es. Sonia Tir a circonscrit son analyse aux dix dernières années, en gros depuis le débat puis l’adoption de la loi dite du « mariage pour tous », en 2013, parce que cette séquence a selon elle marqué un tournant, une accélération dans la visibilité des personnes LGBT au sein du personnel politique.

Comment les politiques “out” s’en sortent-ils et pourquoi ont-ils et elles fait le choix de la visibilité ? Pourquoi les femmes lesbiennes restent encore si peu visibles et paient parfois un prix plus fort ? Depuis le coming out en 1998 de l’ancien maire de Paris Bertrand Delanoë, vécu par beaucoup comme un acte fondateur, nombre de personnalités politiques LGBT ont émergé et Sonia Tir leur donne la parole pour tenter de comprendre ce qui a motivé leur sortie du placard et ce que cela a pu modifier (ou pas) dans leurs pratiques politiques.

Hasard du calendrier, cet essai passionnant, écrit par une ancienne journaliste et aujourd’hui conseillère politique, sort alors que la France est pour la première fois gouvernée par un Premier ministre gay, Gabriel Attal. Ce qui rend encore plus intéressant les résultats du sondage exclusif qu’elle publie en fin d’ouvrage avec l’Ifop.

Sonia Tir a accepté de répondre aux questions de Komitid.

Komitid : Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour écrire ce livre ?

Sonia Tir : Ce qui a été le plus difficile, c’est que j’ai commencé à écrire pendant la période de la réforme des retraites. Et trouver du temps disponible pour les politiques qui acceptent de répondre, ça a été vraiment la croix et la bannière. Il fallait vraiment qu’ils aient au moins une heure de libre pour pouvoir me parler de leur vie intime, de leur choix politique. Ce ne sont pas des interviews qui se font en 20 minutes. Donc ça a été assez compliqué. Quasiment tous ont joué le jeu de me caler vraiment une grosse heure dans leur agenda. J’ai le souvenir de Clément Beaune que je vois un dimanche en pleine grève et il prend deux heures et demie pour me parler. La deuxième difficulté a été de trouver des femmes politiques lesbiennes qui acceptent de témoigner.

Est-ce que vous pensez qu’un livre comme celui-ci aurait été possible il y a 10 ou 20 ans ?

Je ne pense pas qu’un tel livre aurait été possible. C’est un peu ce que j’explique et ce que le sondage aussi permet de montrer. Il y a eu un vrai basculement de l’opinion à ce sujet. Avant, il n’y avait pas beaucoup de personnalités politiques qui étaient “out”. Celles qui l’étaient faisaient le travail. Je pense à Jean-Luc Romero, qui s’est toujours exprimé, a toujours pris la parole, a pris les coups quand il fallait prendre les coups. Mais ils se comptaient sur les doigts des deux mains. Maintenant, c’est vrai qu’il y a plus de personnes “out”. Ça ne veut pas forcément dire qu’elles parlent toutes. C’est possible dix ans après le mariage pour tous, parce qu’il y a plus de gens, en fait, tout simplement.

La moindre visibilité des femmes lesbiennes, vous venez de l’aborder. Mais quand on lit dans votre essai, le destin d’une femme comme Laurence Vanceunebrock, on constate que c’est peut-être encore plus difficile pour elle, en tant que femme et en tant que lesbienne, d’évoluer dans un monde politique qui reste quand même très masculin et très dur…

Totalement. Laurence, elle est montée très haut et elle est redescendue très bas, en fait, politiquement. Parce que, justement, elle a été trop marquée, trop étiquetée par rapport à son combat pour la PMA. Et on est encore dans des milieux politiques qui sont très masculins, où il y a une sorte de lesbophobie latente, qu’on ressent comme ça. Et Laurence, en fait, elle s’est donnée corps et âme pour la PMA parce qu’elle était ultra concernée. Et je pense vraiment que ça l’a perdu dans son parti. Elle n’a pas eu le temps, parce qu’un mandat, c’est très court, de pouvoir se positionner assez sur d’autres sujets. Et ça lui a été reproché.

« Pour moi, Alice Coffin est un peu un ovni dans le milieu politique, parce qu’elle est à la fois très militante et très politique »

Vous citez régulièrement la militante et conseillère de Paris Alice Coffin. Est-ce que vous pensez que son positionnement est liée à une nouvelle génération uniquement ou plutôt une autre façon de faire de la politique ?

Alice Coffin, elle est souvent citée parce qu’encore une fois, elle, c’est un peu la Jean-Luc Romero de 2024 (rires). C’est elle qui prend les coups. C’est elle qui parle de ce sujet. Alors, il y a d’autres femmes qui s’expriment aussi, mais Alice, c’est celle qui est la plus en avant. Alice, c’est une autre approche. Pour moi, Alice Coffin est un peu un ovni dans le milieu politique, parce qu’elle est à la fois très militante et très politique. En politique, on est quand même censé faire beaucoup de diplomatie. Alice, elle n’est pas comme ça, elle rentre dans le tas et ses sujets, c’est les femmes lesbiennes et la lutte contre les violences sexuelles. Et je pense que ce n’est pas pour rien qu’en plus, elle porte la voix des lesbiennes, parce que c’est dans la radicalité et dans le fait d’être seule, très seule, qu’elle doit se faire entendre.

L’année 2023 a été marquée par la réforme des retraites et par la loi sur l’immigration  mais on a vu aussi pas mal de politiques marqués à droite faire leur mea culpa sur le mariage pour tous, voté dix ans plus tôt. Ces repentis de droite, est-ce qu’ils étaient sincères ou est-ce que c’était un peu le passage obligé ?

En fait, ce n’est pas à moi de dire si on leur accorde le pardon ou pas. C’est aux personnes insultées pendant cette période d’accorder leur pardon ou pas. Ce que j’analyse dans le livre, c’est que leur repentance arrive à point nommé. Ça arrive comme par hasard pour les dix ans du mariage pour tous, comme par hasard quand ils décident tous de quitter leur ancien parti, les Républicains, pour rejoindre le macronisme. Et je pense vraiment qu’une personne comme Gérald Darmanin ou une personne comme Catherine Vautrin, ce sont des animaux politiques au sens propre du terme. Ce sont vraiment des gens qui sont nés dans l’arène politique et ils savent très bien ce qu’ils font. Mais ça ne peut pas gommer le mal qu’ils ont fait. Ils ont agi à l’époque par calcul politicien et maintenant, leur repentance, elle est similaire, en fait. Chaque fois, ce sont des coups de com’ pour moi. C’est un peu ce que Caroline Cayeux me répond dans le livre. Elle fait aussi œuvre de repentance. Mais ce que je précise après, c’est qu’en fait, depuis qu’elle a dit ça, elle n’a rien fait pour les droits LGBT. Elle n’a pas participé à l’ouverture d’un centre LGBT à Beauvais, par exemple. Elle ne s’est pas engagée là-dessus. Elle ne s’est pas exprimée. Moi, je dis que c’est super de dire des mots, mais il faut des actes.

« Xavier Bettel est un homme exceptionnel, vraiment engagé sur ces sujets. En plus, il incarne avec son mari un couple tellement mignon… »

J’aimerai avoir votre avis sur la phrase, que j’ai trouvé un peu étrange de Ian Brossat qui dit dans votre livre qu’il est « communiste avant d’être gay »…

C’est vrai que lorsque Ian m’a dit ça, je lui ai fait répéter deux fois. Je lui ai fait même relire pour être sûre. Ce qu’il veut dire, c’est qu’évidemment, le fait d’être homosexuel appartient totalement à sa vie personnelle, à son engagement politique, et on pourra toujours trouver un soutien en lui. Mais par contre, son engagement politique profond, c’est le communisme. C’est un peu ce qui se passe au Parti communiste, en plus. On préfère y avoir une approche intersectionnelle de tous les sujets. Avec toujours, en fait, le même prisme, le prisme social. Si on parle à Ian Brossat des droits LGBT, il va tout de suite parler carence dans les retraites, inégalités de salaire, difficultés pour les personnes trans de trouver un travail.

Votre livre montre que de plus en plus de personnes, en particulier des hommes gays, font leur coming-out. Mais la phrase d’après, c’est : “je ne veux pas être porte-parole” ou “je ne veux pas être porte-drapeau” Comment vous interprétez cela ?

C’est le grand tabou qui existe dans notre société française en 2024. On a une évolution positive de la société, comme le montre le sondage dans mon livre. Mais à quel prix ! Au prix de renier les engagements, de ne pas se montrer partout, de ne pas se positionner sur ces sujets. C’est Mathieu Magnaudeix (journaliste à Mediapart, ndlr) qui avait cette formule : ” gay, mais pas trop”. C’est OK de faire son coming-out, c’est bien de le faire, voilà, de communiquer avec les Français sur sa vie privée, de donner des clés pour mieux comprendre un personnage. Mais par contre, on a l’impression que quand même, l’opinion des Français, c’est : on ne veut pas Gabriel Attal sur un char de la Marche des fiertés. C’est quelque chose qui me met toujours un peu mal à l’aise. Je prends l’exemple de Xavier Bettel dans le livre, qui est le vice-premier ministre du Luxembourg. Il n’est pas plus militant, mais en même temps, ça fait partie de son engagement. Quand il est au Conseil européen ou quand il est à la Ligue arabe, il parle du fait qu’il est gay. Et je n’ai pas l’impression que Xavier Bettel soit regardé comme un alien par les autres.

Xavier Bettel, vous lui vous consacrez un long chapitre. Est-ce un exemple pour vous ?

J’avais découvert Xavier Bettel, en fait, par des vidéos qu’on m’avait envoyés en me disant, c’est intéressant ce qui se passe au Luxembourg, c’est un petit pays, mais c’est un grand homme politique. Et je n’ai pas du tout été déçue ! Xavier Bettel est un homme exceptionnel, vraiment engagé sur ces sujets. En plus, il incarne avec son mari un couple tellement mignon, c’est un couple role model en fait. Ce sont deux hommes qui s’aiment et qui s’aiment à travers une vie politique aussi, qui n’ont pas peur d’aller ensemble, main dans la main, de casser le protocole. Xavier Bettel, il fait du bien à la vie politique européenne et mondiale. Il a complètement réglé les problèmes de l’opinion. Lui, il est comme ça et il l’explique. Et en fait, c’est assez intéressant parce que, quand il me dit qu’il voudrait que ce soit un non-sujet, je le crois. Et c’est par ses actions, à lui, que ce sera à un moment un non-sujet. Et je pense vraiment que le Premier ministre français pourrait prendre l’exemple sur Xavier Bettel !

« La droite a vraiment tout perdu à partir du moment où elle s’est réfugiée dans la Manif pour tous »

Dans votre livre, vous analysez la position de la droite. Pensez-vous que son opposition au mariage et autres avancées des droits a pu jouer dans ses défaites, en 2012 et en 2017 ?

Je pense que la droite a vraiment tout perdu à partir du moment où elle s’est réfugiée dans la Manif pour tous. Avant de consulter sa base politique, donc ses élu·es de tous les territoires, elle a commencé à ruer dans les brancards pour aller glaner quelques voix. Et ça a créé une grosse scission. Ils ont perdu déjà de leur âme chiraquienne… Chirac, je n’en parle pas parce que le livre commence en 2013, mais ce n’était pas quelqu’un qui était un opposant aux droits LGBT. Ce n’était pas non plus un militant acharné, mais on n’était pas sur des paroles comme le “lobby LGBT” qu’on peut entendre chez Eric Ciotti (président des Républicains, ndlr). La droite s’est noyée en 2017 avec François Fillon, qui a complètement basculé dans une droite réactionnaire. Ce n’était pas une surprise, car Fillon a un passif électoral sur ce sujet. Il a, dans son bateau, emmené des gens qui sont au gouvernement maintenant, comme Darmanin et Lecornu. En 2017, c’est la Bérezina quand il décide de mettre à côté de lui, dans des meetings, des gens de la Manif pour tous, de Sens commun, quatre ans après la loi, c’est la gifle ! La tête de liste aux européennes, François-Xavier Bellamy, opposé à la PMA, opposé à la GPA, opposé au mariage pour tous, qui faisait partie des Veilleurs à Versailles… Enfin, vraiment, ils n’ont rien compris. Et c’est triste, parce que, dans leur parti, il y a un député, Maxime Minot, qui n’est pas très connu, mais qui a le mérite d’exister, et qui, lui, je pense, doit être très mal à l’aise avec ce genre de prises de position. Et même pire, ce positionnement provoque la fuite de cadres qui vont au Rassemblement national et à l’extrême droite. Je trouve ça délirant que, politiquement, ils ne comprennent pas qu’ils sont censés incarner un arc républicain, encore une fois, et qu’ils laissent des gens partir pour ces raisons-là, et partir plus à droite qu’eux, en fait. Et je trouve ça vraiment dommage.

Si on avait des doutes ou si on se posait des questions sur le positionnement du RN par rapport aux questions LGBT, le chapitre vraiment passionnant,  que vous consacrez à un meeting du RN, est glaçant. Comment avez-vous réagi lors de ce meeting ?

Je pensais savoir où je mettais les pieds puisque quand j’étais journaliste, j’avais l’habitude de couvrir l’extrême droite. Mais là, franchement,
ce qui m’a frappée, d’abord, c’est le lieu. On est sous les ors de la Maison de l’Amérique latine, on est dans un quelque chose de très pompeux, à deux pas du Sénat et de l’Assemblée. Et puis, le deuxième élément, c’est cette ferveur avec Bardella. On a l’impression d’être au gospel. Ce qui m’a effaré, c’est la multitude de fausses informations que j’ai pu entendre sur les personnes trans. Je suis sortie de ce truc-là assez secouée et  je le raconte. Mais je n’ai pas vu énormément de papiers à ce sujet alors qu’il y avait beaucoup de journalistes. Ils n’ont pas traité ce sujet en fait.

Dans votre livre, un membre du RN fait son coming out, il s’agit de Thomas Ménagé, député du Loiret. Est-ce que vous vous y attendiez ?

Je ne m’y attendais pas du tout. J’avais prévu mes interviews avec deux députés du RN “out”, Sébastien Chenu et Jean-Philippe Tanguy et c’est par eux que je suis entrée en contact avec Thomas Ménagé. Ce que je raconte dans le livre, c’est qu’au début, je ne sais pas qu’il n’a pas fait son coming out. Moi, je sais qu’il est gay.Et je me retrouve embarquée dans un truc où il commence à me raconter qu’il était porte-parole de la Manif pour tous, que ses premiers émois sexuels il les a eus lors des manifestations, que son père n’est au courant que depuis six mois. Quand tu lui mets le nez dans les votes de l’extrême droite, il n’a pas l’air de trop comprendre. Donc c’est ça qui est assez intéressant chez lui. Je pense que c’est un garçon qui se pose plein de questions et qui a plein de paradoxes aussi. Mais quand il me dit pourquoi pas ouvrir un centre pour réfugiés LGBT dans sa circonscription, on n’y croit pas et on se dit que ce n’est pas possible. Il a un aréopage autour de lui qui fait que ça ne se passera jamais. Trois députés RN sont “out” à l’Assemblée. Ils font beaucoup de bruit parce que ce sont des porte-paroles, ils sont invités sur les plateaux. Marine Le Pen les aime beaucoup et les protège beaucoup. Mais le reste derrière, ce ne sont pas des copains. Donc, méfiance quand même sur le RN. Même si, je suis désolée de le dire encore une fois, par rapport aux Républicains, il y a un tout petit peu plus peut-être de travail qui est fait. Ils ont répondu en tout cas et ils prennent les coups qu’on leur met. On peut discuter.

« Je ne pensais pas qu’il y aurait 35 % des Français·es qui seraient opposés à voter pour un président gay »

Avez-vous été interpellée ou surprise par certains résultats du sondage ?

Je ne pensais pas qu’il y aurait 35 % des Français·es qui seraient opposés à voter pour un président gay. Ça peut ne pas paraître beaucoup pour certaines personnes. Ça représente plus de 17 millions d’inscrits qui considèrent que l’orientation sexuelle d’un candidat est un frein à un vote. Je trouve ça terrible. Et c’est assez paradoxal, parce qu’en même temps, effectivement, Macron vient de nommer un Premier ministre de la République qui est gay.  Ce chiffre m’a vraiment interpellée. Puis quand on se plonge dans les détails, ces 35 %, ils sont à la fois chez Zemmour, chez les personnes âgées, mais aussi chez les religieux, les évangélistes, les musulmans. Il y a une vraie fracture. Ce qui m’a aussi surpris dans le sondage, c’est quand on a testé les personnalités politiques. Il y a quelque chose que je n’arrive pas à m’expliquer, et je pense que c’est l’exception française, c’est d’avoir Emmanuel Macron et Gabriel Attal très haut et d’avoir Mélenchon et Rousseau, qui les talonnent. Et puis Marine Le Pen, qui n’est pas si bas, en fait. Je n’arrive pas à comprendre comment des gens peuvent considérer que Yannick Jadot, par exemple, est moins pro-LGBT que Marine Le Pen. Il y a un vrai sujet aussi, c’est que la gauche est un peu flemmarde sur ces questions. J’en parlais avec les Insoumis quand j’ai fait mes interviews. Ils ont abandonné ce sujet. Alors, abandonner, c’est un peu fort, peut-être comme mot, parce qu’ils sont présents dans les manifestations, ils sont en soutien quand il faut faire des choses, mais c’est assez mou, quoi.

C’est aussi peut-être parce que la gauche n’a pas fait son devoir d’inventaire sur son attitude, qu’on a pu juger trop laxiste face à la montée de l’homophobie durant les débats sur  le mariage pour tous…

Je pense que oui, il y a un vrai retour de bâton de la mollesse de certaines personnalités de gauche à l’époque des débats, et puis surtout, le fait d’avoir abandonné la PMA aussi. Je pense que c’est quelque chose, et mes interlocuteurs m’en parlent, qui a marqué à gauche.

On a parlé de l’éventualité de voter pour un candidat gay à la présidentielle. Est-ce qu’on n’y est pas avec la nomination de Gabriel Attal au poste de Premier ministre et peut-être futur candidat en 2027 ?

En fait, Gabriel Attal, c’est un personnage très intéressant. Je pense que ça met mal à l’aise pas mal de personnes, pas mal de militants, mais c’est un symbole. En fait, on est que la septième puissance mondiale mette à Matignon un homme gay. Moi, je trouve ça super.
Symboliquement, c’est génial. C’est exactement ça la visibilité. Mais à quel prix ! Quand on voit le gouvernement qui a été nommé, quand on voit la manière dont Attal défend bec et ongles Catherine Vautrin (anti-mariage pour tous.tes, ndlr). C’est quelqu’un qui n’est pas à l’aise avec ça. Il faut rappeler qu’il a été outé et que ce n’est pas lui qui a fait la démarche. Il l’aurait peut-être faite, on ne sait pas. Il n’a d’ailleurs pas voulu me répondre parce qu’il considère qu’il ne veut pas être “marketé” LGBT. Pour lui, c’est un sujet très particulier et je ne pense pas qu’il le prendra à bras le corps. Après, si sa nomination peut permettre à d’autres hommes ou d’autres femmes “out” de mener campagne et de se positionner sur des fonctions comme Président ou Premier ministre, tant mieux, il aura servi au moins à ça. Bertrand Delanoé, en faisant son coming out (en 1998, ndlr) a ouvert la porte du placard. Je le vois quand je discute avec des militant·es ou avec des gens qui s’en réclament. Beaune, Attal, Dussopt, ils ont tous Delanoë à la bouche ! Même des écolos, même David Belliard, il parle de Delanoé. Je pense qu’on doit au moins lui reconnaître ça.

Mais globalement, qu’est-ce que ça pourrait changer dans nos relations internationales que Gabriel Attal soit gay ?

En fait, c’est ce que j’explique au début du livre et ce que je raconte de mon histoire personnelle. J’ai grandi dans un milieu très homophobe, très religieux, très compliqué. Et en fait, je pense vraiment que si mes parents, à la télé, ou si on leur avait demandé d’aller voter pour une personne LGBT qui en parlait, qui posait avec son compagnon dans Paris Match, ça aurait déjà permis d’apaiser les choses. Je pense que ça sert à ça, un chef d’État. Un chef d’État, c’est dans la représentation, c’est un symbole. Il faut qu’à l’international, les gens puissent adorer avoir un premier ministre gay. Je trouverais ça super, moi. Et surtout dans des pays où c’est compliqué, où il y a encore des personnes LGBT qui meurent. C’est vraiment très fort, en fait, qu’il en parle. Par exemple, quand il a été élu, il y a eu la une horrible d’un média au Sénégal. Dans un monde idéal, on aurait voulu une condamnation de la part du Premier ministre. Et ça, on l’a pas eu.

Quelles seraient selon vous les chantiers prioritaires pour les personnes LGBT en général et pour les personnes LGBT en politique ?

Je pense que les deux sont liés. Une urgence, c’est de l’argent pour les centres LGBT et encore plus de centres LGBT. On a dû supprimer des chapitres, mais j’avais commencé un chapitre sur les territoires ultramarins. C’est terrible, en fait, ce qu’il s’y passe mais ça intéresse moins les gens. On y parle clairement de “thérapies de conversion”. De gens qui sont en train de fuguer, dans des situations vraiment déplorables, en fait, par rapport à leur orientation sexuelle. Il faudrait qu’il y ait un centre LGBT par département, qu’il y ait une porte qui soit ouverte, que tout le monde puisse la pousser, que les profs puissent donner cette adresse à des élèves. Ce n’est pas normal qu’un enfant de 16 ans qui habite à Mulhouse doive aller à Strasbourg pour pouvoir parler. Le deuxième sujet, et c’est un militant écolo qui me raconte cette histoire : il a peur d’aller porter plainte au commissariat. Ce n’est pas normal. C’est la même chose pour les femmes. Ce n’est pas normal que les personnes LGBT aient peur d’aller pousser la porte d’un commissariat. Et c’est super de faire des conférences comme Darmanin l’a fait. C’est super de nommer un officier de liaison mais, en fait, il faut des formations, des formations, et encore des formations. Il faut réconcilier les gens. Donc, le sujet de la sécurité, pour moi, c’est un sujet majeur. Et le troisième sujet, qui est un sujet dantesque, c’est sur l’Education nationale. Des profs aimeraient pouvoir parler de ces sujets, aborder le questionnement de leurs élèves trans. Exemple dont on m’a parlé : un élève vient voir un prof et lui dit : « Je vais faire ma transition quand je serai majeure. Je ne veux plus qu’on utilise mon prénom, mon dead name, mon prénom de naissance. Est-ce que vous pouvez m’appeler comme ça ? ». Le prof est OK parce qu’il est ouvert là-dessus. Et la hiérarchie lui dit non. Il y a aussi un vrai sujet de désintox à faire là-dessus. A entendre l’extrême droite, il y a des méchantes personnes qui attendent des enfants dans les toilettes des collèges pour les mutiler… C’est au gouvernement de lutter contre ça. C’est aux personnalités politiques de démentir. Enfin,  politiquement, si on parle d’une action au niveau des politiques stricto-sensu, je pense que les partis doivent se poser et se demander pourquoi il n’y a pas de personnes LGBT dans nos têtes de liste, de la même manière que des personnes noires ou arabes. Sans vouloir cocher des cases mais pour essayer de créer une émulation pour que les partis politiques soient une safe place pour les gens qui veulent se lancer. Il y a une grosse action politique à faire là-dessus.

« Sortir du placard – LGBT en politique », de Sonia Tir, Fayard, 300 p., 20 euros