Pascal Petit : « Françoise Barré-Sinoussi, c'est quelqu'un qui n'est pas restée uniquement dans sa sphère de chercheuse »

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Komitid a rencontré Pascal Petit, réalisateur du documentaire « Sida, des années sombres aux premières victoires », dans lequel il retrace l'histoire des 15 premières années de l'épidémie. Il sera diffusé sur la chaîne Histoire TV le 1er décembre à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida.

Pascal Petit et Françoise Barré Sinoussi durant le tournage de « Sida: des heures sombres aux premières victoires » sur Histoire TV
Pascal Petit et Françoise Barré-Sinoussi durant le tournage de « Sida: des heures sombres aux premières victoires » sur Histoire TV - DR

Komitid a rencontré Pascal Petit, documentariste, qui vient de réaliser un film de 52 minutes intitulé « Sida, des années sombres aux premières victoires », dans lequel il retrace l’histoire des 15 premières années de l’épidémie. Il sera diffusé sur la chaîne Histoire TV le 1er décembre, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida. Interview.

Komitid : Qu’est-ce qui vous a donné envie de réaliser ce documentaire ?

Pascal Petit : D’abord, c’est ma génération. C’est-à-dire que moi, j’avais 20 ans en 1985, peu après le début de l’épidémie en France. Et donc, je me dis aujourd’hui, finalement, je suis un peu un survivant, j’aurais pu le choper. Et c’était très facile de le choper parce que franchement, à l’époque, on ne savait rien du tout. Et rendez-vous compte qu’à l’époque, en 1985, la publicité sur le préservatif était interdite. Donc vraiment, c’était compliqué.

Et puis, j’ai eu envie aussi de faire ce documentaire parce que j’ai commencé dans la presse écrite, dans la presse pour adolescents, dans le magazine Okapi, qui était pour les 12-15 ans. On avait fait le premier dossier sur le sida en 1994. C’était l’époque où vraiment, on n’avait pas de traitement efficace, et beaucoup de gens mouraient, ceux qui avaient été infectés dix ans plus tôt. Okapi appartenait au groupe Bayard Presse, donc un groupe catholique. C’était remonté au plus haut niveau pour savoir si on pouvait parler du préservatif, parce qu’à l’époque, le pape Jean-Paul II était complètement opposé à l’utilisation du préservatif. On a pu parler du préservatif. Trente ans après, c’est intéressant de prendre un peu de recul et de faire un documentaire sur ce sujet et de raconter ces années-là. Au début, j’étais très, très ambitieux, je voulais raconter 40 ans de recherches. Puis finalement, on s’est vraiment concentré sur les 15 premières années.

Ça a été difficile de convaincre les gens qui témoignent ?

Alors non, honnêtement, ça n’a pas été difficile. Je vais vous dire franchement, à partir du moment où j’avais l’accord de Line Renaud ça a été assez facile d’avoir un peu tout le monde. Je ne la connaissais pas du tout. J’ai envoyé un mail tout simplement. Son assistant lui a transmis. Je pense qu’elle était assez contente qu’on fasse un documentaire patrimonial. Qu’il reste. Et donc, elle a dit oui tout de suite. Il y a eu des péripéties parce qu’au moment du tournage, elle a eu le Covid. A son âge, on était un peu inquiets. Et puis, 15 jours après, elle a dit « je vous attends » et on fait l’interview.

Ça vous a pris beaucoup de temps pour réaliser ce film ?

Comme sur tous les documentaires, j’arrive sur un sujet. Je le connaissais un peu, mais il faut quand même se replonger dedans. Il ne faut pas se tromper. Il y a la construction qui prend un peu de temps. Et puis après, il y a la recherche d’archives. Mais heureusement, pour cela, il y a une documentaliste qui m’aide. Ensuite, en termes de tournage, ce n’est pas très long. Ça dure 5-6 jours mis bout à bout. Ce qui est plus long, c’est le montage. En gros, entre le moment où on décide de le faire et le moment où c’est terminé, il faut six mois.

« Il y a une période qui est terrible, qui est celle où on essaie plein de choses et on ne trouve rien »

Quelles sont les grandes étapes qui ont rythmé les 15 années sur lesquelles vous vous êtes concentré ? Qu’est-ce que vous avez retenu et qu’est-ce qui vous a le plus particulièrement marqué ?

Dans la période du tout début, moi, ce qui m’impressionne, c’est de voir qu’il y a un médecin, Willy Rozenbaum au départ, et ensuite quelques chercheurs de l’Institut Pasteur qui, seuls, se mettent à faire des recherches sur ce fameux virus, car en gros, à l’époque, tout le monde s’en fout. C’est-à-dire que les politiques ne bougent pas, en tout cas pas jusqu’en 1986, jusqu’à l’arrivée de Michèle Barzach comme ministre de la Santé. Et personne n’en parle, on n’en parle vaguement qu’aux États-Unis. Ces chercheurs-là, moi, je trouve que ce sont des héros et des héroïnes. Ensuite, ils ont eu à se battre contre Robert Gallo aux États-Unis qui a essayé de leur voler leur découverte. Je trouve que ça, ça a été une première étape très importante.

Ensuite, il y a une période qui est terrible, qui est celle où on essaie plein de choses et on ne trouve rien. Il y a une espèce d’épée de Damoclès qui est au-dessus de tous les malades jusqu’en 1996. C’est long, quand même, 15 ans. Et pendant ces 15 ans, les personnes qui sont séropositives subissent l’isolement, y compris, d’ailleurs, à l’hôpital. Elles subissent des humiliations, une forme de maltraitance, même, je trouve. C’est ce qui aboutira, d’ailleurs, à la création des associations de patients. Au départ, AIDES, c’est des gens qui se regroupent pour s’entraider, puis pour se donner des infos parce qu’on n’en a pas. Donc, il y a une espèce de mobilisation qui se fait, qui va soutenir aussi les chercheurs. Chercheurs plus associations, ça va quand même faire bouger les pouvoirs publics !

En 1986, Michèle Barzach fait un grand pas puisqu’elle autorise la vente libre des seringues. Cette mesure va beaucoup réduire la transmission parmi les toxicomanes. Et puis, elle autorise la publicité pour les préservatifs en 1987. Là, on est sur le chemin de la prévention. Je peux aussi vous raconter une anecdote. En 1996, il y a pas mal de gens qui étaient atteints du sida et qui se sont dit : « de toute façon, j’en ai plus pour très longtemps. Donc, je vends mon appart, je quitte mon boulot, je pars en voyage » … Et puis, arrive la trithérapie, et finalement, ils survivent. Ils se sont retrouvés en difficulté sociale parce qu’ils n’avaient plus rien. Donc, il a fallu réapprendre à vivre. Et c’est ce que Willy Rozenbaum appelle faire le deuil du deuil. C’est-à-dire qu’on pensait mourir et finalement, on ne meurt pas. Et ça, ça a été quelque chose, d’assez étonnant.

Vous avez interviewé de nombreux témoins pour ce documentaire. Des personnes vivant avec le VIH*, des médecins comme Françoise Barré-Sinoussi, la co-découvreuse du virus ou Jean-François Delfraissy. Vous avez rencontré également des personnalités comme Line Renaud ou Christophe Dechavanne, qui se sont mobilisés très tôt. Est-ce qu’il y a l’un ou l’une de ces personnes qui émergent dans votre documentaire ?

J’ai droit à deux réponses ? Évidemment, Line Renaud, parce que c’est quelqu’un qui s’est mobilisée très très tôt. D’ailleurs, parfois au détriment de son image au début et de sa carrière. Elle n’a jamais rien lâché. Je pense que c’est pour ça que les gens lui sont extrêmement reconnaissants. Encore maintenant, à 95 ans, elle continue. Et puis, pour moi, vraiment une découverte, parce que je ne la connaissais pas du tout, c’est Françoise Barré-Sinoussi, qui est évidemment au départ une chercheuse, mais qui est quelqu’un qui a beaucoup d’humanité et qui m’a beaucoup, même hors caméra, parlé des malades, des patients, qu’elle allait voir. C’est vraiment quelqu’un qui s’est intéressée aux gens, qui n’est pas restée uniquement dans sa sphère de chercheuse. Elle aurait pu se dire, « ça y est, maintenant, j’ai découvert le virus, puis j’ai mon prix Nobel », mais pas du tout. C’est quelqu’un d’extrêmement humain. C’était vraiment une très, très belle rencontre.

Quelles sont les leçons que vous tirez de toutes ces années ?

Paradoxalement, j’aurais plutôt envie de dire, qu’on n’a pas tiré de leçons, en particulier si on regarde ce qu’il s’est passé durant l’épidémie de Covid. Le VIH/sida, ça a été une mobilisation dingue des patients, des associations, et puis il y a eu une co-construction qui a duré pendant ces 15 ans et qui dure encore. Pour le Covid, ça n’a pas été le cas. Jean-François Delfraissy me l’a dit durant le tournage – je ne l’ai pas gardé dans le doc, parce que je me concentrais sur les 15 premières années. Lui qui était un spécialiste du sida, c’est quand même pour ça qu’on est allé le chercher au moment du Covid, et pour conseiller le président Macron, il dit en substance, «  on avait les cartes, mais on n’a pas réussi à provoquer cette même mobilisation de tous. Au contraire, il y a eu une espèce de décision qui arrivait d’en haut. Et les Français, ben voilà, ils prenaient les infos comme ça, et ils subissaient ». Donc, on n’a pas vraiment tiré d’enseignement de l’épidémie de sida, et ça, il le regrettait beaucoup.

« Sida, des années sombres aux premières victoires », un documentaire de Pascal Petit, raconté par Charles Berling, sur Histoire TV, première diffusion le 1er décembre à 20h50.

*Christophe Martet de Komitid a été interviewé pour ce documentaire