Avec la réédition non censurée de « Ravages » de Violette Leduc, Margot Gallimard secoue sa lignée

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Avec ce roman, « Violette Leduc aurait été la première (autrice) à faire le récit d'une vie homosexuelle qui se termine sans une sanction comme la prison, la mort, des malheurs extrêmes », explique Alexandre Antolin, auteur d'une thèse sur ce « cas de censure éditoriale ».

Violette Leduc Ravages non censuré - Capture d'écran Youtube et couverture du roman
Violette Leduc Ravages non censuré - Capture d'écran Youtube et couverture du roman

En rééditant sans aucune censure une autrice qui sentait le soufre après guerre, Violette Leduc, Margot Gallimard secoue par son féminisme l’arbre généalogique de la célèbre lignée d’éditeurs dont elle est issue.

Ravages, œuvre emblématique de la littérature lesbienne, avait subi des coupes sévères lors de sa première publication par les éditions Gallimard en 1955, dans la collection Blanche. Au grand désespoir d’une Violette Leduc « brisée » quand elle s’y est résignée.

Un demi-siècle environ après sa mort, voici Ravages, édition augmentée, sorti le 2 novembre dans la collection L’Imaginaire.

Et Margot Gallimard, 35 ans, y est pour beaucoup, elle qui dirige cette collection. La troisième fille d’Antoine Gallimard, petite-fille de Claude, arrière-petite-fille de Gaston est une héritière qui trace sa propre voie.

« Je n’ai pas l’impression de rompre avec quoi que ce soit : c’est la continuité de l’histoire familiale. Quand mon père a créé L’Imaginaire dans les années 70, il était un peu en marge, ancien soixante-huitard… Je veux aussi porter mon attention vers les marges », dit-elle à l’AFP.

Cette collection se concentrait sur la « réédition d’oeuvres littéraires tantôt oubliées, marginales ou expérimentales d’auteurs reconnus, tantôt estimées par le passé mais que le temps a pu éclipser ».

Margot Gallimard, qui l’a reprise en 2021, lui a donné « un souffle inclusif, queer et féministe », comme elle le disait au magazine Les Inrockuptibles. Elle confiait alors son rêve de retrouver le manuscrit complet de Ravages.

Ça n’a pas été possible, car « je ne sais pas ce qu’on en a fait », regrette l’éditrice, formée au cinéma. Mais « ce dossier que mon prédécesseur avait lancé, je l’ai repris, et j’en ai fait un combat personnel. Ça a été long : deux ans et demi où il a fallu convaincre les ayants droit, concilier les trois spécialistes qui avaient chacun des sensibilités différentes et des domaines de prédilection. Ils ont fourni un travail titanesque. Et on y est arrivé ».

« Banalité du couple lesbien »

Reconstituée à partir de multiples écrits de l’autrice, l’édition augmentée est une version sans doute très proche de celle qu’avait apportée Simone de Beauvoir, amie de Violette Leduc, aux pontes de Gallimard en 1954.

Le texte de la première édition de ce roman d’éducation est conservé en noir, et les passages supprimés à l’époque sont rétablis à l’encre violette.

Alexandre Antolin, auteur d’une thèse de doctorat sur ce « cas de censure éditoriale » à l’université de Lille, est l’un de ceux qui ont contribué à rétablir ce texte dans son intégralité.

« Indiquer les passages coupés en violet, c’était l’idée des éditions Gallimard pour faire ressortir ce qui n’était pas dicible en 1954. Il n’y a là rien de choquant, pas de scènes de sexe extraordinaires comme on pourrait le croire », explique-t-il.

« Non, ce qu’on a supprimé, ce sont des choses comme la banalité du couple lesbien, les violences médicales, à une époque où non seulement l’avortement est interdit mais aussi sa promotion ».

Avec ce roman, « Violette Leduc aurait été la première (autrice) à faire le récit d’une vie homosexuelle qui se termine sans une sanction comme la prison, la mort, des malheurs extrêmes », poursuit-il.

Antoine Gallimard, 76 ans, père de quatre filles, n’a rien laissé filtrer sur ses projets quant à sa succession à la tête du groupe Madrigall (Gallimard, Flammarion, POL, Minuit, Casterman, etc.). Mais d’après des sources concordantes, ce groupe familial est préparé au jour où il souhaitera passer la main.

L’aînée Charlotte Gallimard, 43 ans, dirige les éditions Casterman. La puînée, Laure, 40 ans, la petite enfance chez Gallimard Jeunesse. Enfin la benjamine, Louise, 21 ans, étudiante, ne se dirige pas vers l’édition.