3 questions à Pablo Sanz Moreno, président d'Ex Aequo à Bruxelles, sur la conférence européenne sur la santé LGBTI+

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L'association belge Ex Aequo organise, du 26 au 28 octobre, une conférence européenne intitulée « Santé LGBTI - Prenons soin de  nous ». Pour en parler, nous avons interviewé Pablo Sanz Moreno, qui préside l'association depuis juin 2023.

Pablo Sanz Moreno, président d'Ex Aequo
Pablo Sanz Moreno, président d'Ex Aequo - DR

Bruxelles aura bientôt son centre communautaire LGBTI+, un des plus grands en Europe. La particularité est qu’il hébergera aussi une maison médicale pour accompagner les personnes LGBTI+.

L’association Ex Aequo, fondée en 1994 dans le contexte de l’épidémie de VIH/sida, est porteuse de ce projet et organise, du 26 au 28 octobre, une conférence européenne consacrée à la santé des personnes LGBTI+ et intitulée « Santé LGBTI+ – Prenons soin de nous ! ». Pour en parler, nous avons interviewé Pablo Sanz Moreno, qui préside l’association depuis juin 2023.

Komitid : Pourquoi organisez-vous cette conférence européenne sur la santé des personnes LGBTI+ ?

Pablo Sanz Moreno : Ex Aequo ambitionne depuis quelques années d’ouvrir une maison médicale LGBTI à Bruxelles. La conférence « Santé LGBTI, Prenons soin de nous ! » fait partie intégrante de ce projet. Elle nous permet d’asseoir un constat simple dans la société belge, auprès des médias et des politiques : en tant que personnes L, G, B, T ou I, nos parcours de vie impliquent des vulnérabilités et des besoins de santé spécifiques. Il n’est pas question de les juger, il est simplement question d’y répondre au mieux avec des dispositifs adéquats tels des maisons médicales spécialisées.

« Ex Aequo ambitionne depuis quelques années d’ouvrir une maison médicale LGBTI à Bruxelles »

Chez Ex-Aequo, nous avons commencé par élargir nos services du VIH à la santé sexuelle puis à l’accompagnement des hommes en difficulté avec leur consommation de drogues et enfin à la santé mentale. Dans ce processus, nous avons intégré des professionnel.les de santé. Cela a constitué une révolution pour notre association : nous sommes une association communautaire née dans le contexte de l’épidémie du VIH. Communautaire ici doit être compris dans deux sens bien distincts : nous travaillons pour les hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes, au-delà de la façon dont ils se définissent et nous appliquons une démarche communautaire. C’est-à-dire que nous sommes en constant dialogue avec ce public. Ce sont les volontaires de l’association qui renseignent son travail, qui indiquent quelles sont ses priorités. Ils sont les « experts de leur propre vie ». Tout ce cadre a été rendu possible et théorisé dans la lutte mondiale contre le VIH. Le paysage du VIH changeant au fil des ans, les volontaires ont décidé d’étendre le mandat de l’association à la santé globale et l’idée d’une maison médicale LGBTI a fait son chemin… Si nous faisions cet effort pour les gays, pourquoi alors ne pas s’associer à nos partenaires qui travaillent sur les publics lesbiens et trans et intersexes ? Nous travaillons déjà avec eux à former les futurs professionnel.les de santé aux besoins spécifiques de nos publics. Début 2022, nous avons eu la chance d’obtenir de la Ville de Bruxelles l’occupation temporaire de 2300 mètres carrés en plein quartier gay, à 30 mètres du Manneken Pis ! La Ville veut construire avec nous un des plus importants centres communautaires LGBTI en Europe dont une maison médicale.

Notre effort pour créer une maison médicale est bien reçu à Bruxelles et plus généralement en Belgique. Il s’inscrit aussi dans un moment européen qui a vu ces dernières années l’émergence de nombreux dispositifs similaires en Europe, en général appelés Checkpoints. On pense au 190 et au Checkpoint, à Paris, aux Spots AIDES de Paris, Marseille, Montpellier. Ailleurs, il y a les checkpoints d’Oslo, de Genève, de Zürich, de Lisbonne, de Belgrade, de Bucarest, de Bologne, de Berlin… Et bientôt, à l’horizon 2028, la Maison Arc-en-Ciel de la Santé ou MACS Brussels Health Checkpoint !

Nous avons invité pour cette conférence les travailleurs et travailleuses de ces checkpoints mais aussi tous ceux et celles qui mettent en place des initiatives de terrain pour la santé des personnes gays, lesbiennes, trans et intersexes. Au total, plus de 30 initiatives seront présentées pendant la conférence.

« L’urgence, c’est de prendre conscience et de parler avec sérieux de notre santé, d’assumer et de réclamer d’être respecté.e dans nos modes de vie »

Quelles sont selon vous les principales urgences en matière de santé pour les personnes LGBTI+ ?

L’urgence, pour moi, c’est de prendre conscience et de parler avec sérieux de notre santé, d’assumer et de réclamer d’être respecté.e dans nos modes de vie. De trouver des solutions pour que cela change, pour que nous prenions soin et que l’on prenne meilleur soin de nous. De nombreuses personnes LGBTI n’ont pas conscience des conséquences liés à leurs modes de vie et des vulnérabilités que le fait d’appartenir à une minorité impliquent, ce qu’on appelle le stress minoritaire. Elles cachent leur orientation sexuelle à leur médecin, ne réussissent pas à établir une relation de confiance avec un.e professionnel.le de santé, n’y ont pas recours. On n’a pas forcément envie d’être en mode « coming out » tout le temps. Dans une relation qui touche à l’intime, avec un médecin, le fait de devoir expliquer notre mode de vie peut être un frein à une prise de soin adéquate. Il y a cette conviction encore bien diffuse que « ce que je fais dans ma vie privé ne regarde que moi ». Nous sommes aussi souvent dans un déni de mauvaise santé, même si les études montrent que nous sommes de fait une population plus à risque, en santé sexuelle bien sûr, mais aussi face à la consommation de tabac, d’alcool, de drogues et, bien sûr, en santé mentale avec une majeure propension aux troubles dépressifs et au suicide. Nos conditions impliquent des parcours de vie marquées par un apprentissage souvent tardif des relations amoureuses, par des espaces de socialisation protégés certes mais également marqués par une culture de la transgression, de « la fête » et aussi par une segmentation de nos vies sociales, professionnelles, affectives. Nous apprenons tôt à savoir où il est sûr d’être nous-mêmes ouvertement. Il n’est pas question de juger. Tout cela fait notre vie, tout cela fait culture, nous appartient. Pour expliquer et plaider pour une prise en compte de nos besoins de santé, nous avons produit sept vidéos qui sont visibles sur le site de la conférence et sur les réseaux sociaux : les témoignages des personnes, gays, lesbiennes, trans, intersexes et séropositives font état de situations traumatisantes, franchement tragiques suite à des prises en charge médicales discriminantes.

« Les centres de santé communautaire LGBTI ne se substitueront pas au système de santé existant »

Pourquoi est-il important que des centres de santé communautaires existent aux côtés du système de soin existant ?

A Ex Aequo, je fais du dépistage du VIH avec résultat immédiat. C’est très souvent l’occasion d’un moment privilégié, d’un échange de qualité. Le dépistage pourrait durer le temps du résultat, 10 minutes à peine mais on fait bien plus qu’un dépistage : on donne des conseils pour la réduction des risques liés aux pratiques sexuelles ou à la consommation de produits psychoactifs, on répond aux questions des bénéficiaires, on facilite des informations pertinentes… Tout cela dans un cadre de bienveillance. C’est une expérience qui n’en finit pas de me surprendre. Très souvent, on nous remercie très chaleureusement, simplement parce que l’on a écouté, qu’on a permis cette ouverture en garantissant le non jugement. Cela pour moi en dit long sur la nécessité des centres de santé communautaire pour les hommes gays et pour toutes les personnes LGBTI. Dans notre projet pilote de Maison Arc-en-Ciel de la Santé, nous venons aussi d’ouvrir des permanences pour femmes lesbiennes. Le retour des animateur.rices du projet est le même. Le besoin de parler et d’être écoutée est immense, les questions sur la santé, très nombreuses. Comment conserver cette qualité d’échange que nous avons entre deux personnes partageant le même mode de vie sans jugement ? Comment une association communautaire comme la nôtre peut-elle enrichir son offre à la santé intégrale tout en en conservant cette approche communautaire ? Peut-on dépasser le cadre de la pair-aidance, du « gay meets gay », une personne concernée rencontre une autre personne concernée si l’on intègre « du médical » dans l’offre ? Ce sont quelques-unes de ces questions que nous souhaitons aborder à la conférence.

Les centres de santé communautaire LGBTI ne se substitueront pas au système de santé existant. Ils tentent de répondre à un besoin exprimé par nos communautés. On peut espérer qu’ils servent de modèle aussi, comme des pôles d’excellence qui peuvent inspirer le reste des acteurs et actrices de la santé. Enfin, les savoirs et les compétences accumulées dans la lutte contre le VIH sont riches et utiles dans ce passage du tout VIH et du mono-public des hommes homosexuels à la santé globale pour tous les publics LGBTI. Ils ne doivent pas être perdus. Le challenge, pour les associations de lutte contre le VIH, qui sont à l’écoute des hommes gays depuis plus de 40 ans, c’est de dépasser le seul horizon du VIH et de mettre à profit l’expérience accumulée, d’apprendre à travailler avec nos partenaires LBTI au bénéfice de toutes et tous. J’ai la conviction que la santé et le soin peuvent permettre une refonte et un nouvel élan pour nos mouvements.

Pour plus d’infos sur la conférence « Santé LGBTI+ – Prenons soin de nous ! », visitez le site

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