« Le Bleu du Caftan » de Maryam Touzani : splendide valse des cœurs en pleine médina

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Le magnifique second film de la réalisatrice marocaine Maryam Touzani, « Le Bleu du Caftan », sort dès aujourd'hui en salle.

Ayoub Missioui, Saleh Bakri et Lubna Azabal dans « Le Bleu du Caftan » de Maryam Touzani - Les Films du Nouveau Monde/Ali n Productions/Velvet Films/Snowglobe
Ayoub Missioui, Saleh Bakri et Lubna Azabal dans « Le Bleu du Caftan » de Maryam Touzani - Les Films du Nouveau Monde/Ali n Productions/Velvet Films/Snowglobe

Trois ans après son magnifique premier film Adam, l’actrice, scénariste et réalisatrice marocaine Maryam Touzani retrouve sa muse Lubna Azabal dans Le Bleu du Caftan, sélectionné l’année dernière à Cannes. Sa belle carrière ne s’est pas arrêtée là puisqu’il a ensuite fait le tour des festivals internationaux, glanant de nombreux prix, comme celui du Jury à Chéries-Chéris ou encore les Valois de la meilleure mise en scène et du meilleure acteur pour Saleh Bakri au dernier Festival du Film Francophone d’Angoulême. Enfin, le film a été choisi par son pays pour être son représentant dans la course aux Oscars, arrivant même à faire partie des 15 shortlistés.

Dans la médina de Salé, à l’Ouest du Maroc, Mina et Halim tiennent un atelier de couture dans lequel Halim coud les plus belles pièces tandis que Mina les vend. Leur quotidien ressemble à celui de n’importe quel couple, à un détail près : ils cachent tous les deux, depuis des années, l’homosexualité d’Halim. Alors que le corps de Mina, rongé par la maladie, a de plus en plus de mal à tenir la cadence face à des clients exigeants, le couple engage Youssef, un nouvel apprenti pour les aider. Une arrivée qui chamboule l’équilibre préalablement établi.

Amours au pluriel

Ainsi, le film se place d’ores et déjà sur une terrain très peu exploité dans le cinéma marocain (on pense à L’armée du salut d’Abdellah Taïa), à savoir l’homosexualité. Dès lors, le talent de scénariste de Maryam Touzani, et son amour des sentiments contenus et des personnalités complexes, trouve une source d’inspiration idéale.

Rarement l’intériorité de personnages ne sera apparu à l’écran de manière aussi palpable, la cinéaste dépliant peu à peu, avec minutie et une extrême délicatesse, les différents contrastes de ces protagonistes uniques. C’est ce qui semble être le maître mot de la vision de Touzani : le contraste, le paradoxe, l’anti-manichéisme, l’exploration de la complexité des humains et de leurs relations…

Au cinéma, quand on pense à des hommes en couple hétéro qui cachent leur homosexualité, un schéma narratif classique se dessine, celui de la femme antagoniste qui ne le comprend pas, ou de celle sous le choc qui n’a rien vu. Le Bleu du Caftan évite habilement cet écueil. Ce couple si particulier ne se cache rien, vit de manière assez sereine avec ce secret, et chacun semble en accord parfait avec l’autre. Maryam Touzani tisse ici la toile d’une relation tout à fait unique, où l’amour que les deux personnages ressentent l’un pour l’autre n’entre jamais en collision avec les réalités sociales environnantes. Sous sa caméra, c’est un tout nouvel amour qui naît, un amour qui fait fi des questions d’orientations sexuelles et de normes relationnelles au profit d’un lien impérissable, que même la mort ne saurait briser.

Tradition et transgression

De son premier film Adam, bijou pictural où deux femmes solitaires se rassemblent autour de la pâtisserie, Maryam Touzani garde deux choses : Lubna Azabal, actrice géniale aux milles facettes de jeu (Incendies, Pour la France, Sofia, Tel Aviv On Fire…), et le travail manuel, servant de toile de fond au récit. Troquant les gâteaux d’Adam pour les tissus colorés, la réalisatrice se permet de conjuguer la transgression du modèle amoureux de ses deux personnages à un versant de leur personnalité plus attaché aux traditions.

Confrontés à plusieurs reprises à des clients pressés, dorénavant habitués au rythme de la surproduction moderne, le couple s’oppose ouvertement aux pressions et s’astreint à la fabrication faite main. Dans une époque où l’achat n’est que produit, un simple accessoire parmi une multitude d’autres identiques et tous dénués d’humain, Halim campe sur ses positions envers et contre tout. « J’aime profondément le travail manuel parce que je trouve qu’il amène un don de soi. Il y a un lien entre la personne qui fabrique et sa création. C’est une connexion qu’on est en train de perdre. En s’éloignant du travail manuel on s’éloigne de nous », confiait-elle à Komitid dans son interview. C’est dans cet atelier, havre de paix coupé du monde et de sa brutalité, que Halim et Youssef se rencontrent et s’apprivoisent, sous les yeux d’une Mina affaiblie.

Finalement, Le Bleu du Caftan se résume assez bien à cette idée : ré-insuffler de l’humain et du dialogue dans toutes les couches de nos sociétés, des plus intimes aux plus externes. Le deuxième film de Maryam Touzani est un objet tendre et déchirant, aux élans dramaturgique contenus et plein de vie.