Peu de films queer et aucune réalisatrice dans les nominations des César et des Oscars

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Les Césars et les Oscars ont tous deux dévoilé leurs nominations. Dans les deux cas, un constat similaire : les réalisatrices n'existent pas et les films queer restent en marge.

© C. SIMON/ENS LOUIS LUMIERE/ACADEMIE DES CESAR
/Todd Wawrychuk / ©A.M.P.A.S.

Alors que 2023 commence à peine, la tradition des remises de prix reprend de plus belle. Aux États-Unis, la période qu’on appelle Award Season bat son plein. Chaque État remet ses prix et récompense le meilleur du cinéma en 2022, tandis que les organisations de critiques, comédiens et autres corps de métier dévoilent leurs nominations au compte-gouttes. Hier, ce sont les Oscars, dernière cérémonie à avoir lieu et clôturant ainsi la saison, qui a dévoilé ses nominations. Aujourd’hui, son équivalent français, les Césars, a fait de même. Que nous disent ces nominations ?

Le premier constat quelque peu choquant que l’on peut faire est que, vraisemblablement, que ce soit pour les votants américains ou français, aucune femme n’a, en 2022, réalisé de film digne d’un César ou d’un Oscar.

En effet, dans la catégorie de la meilleur réalisation, les deux cérémonies ont joué la carte du boy’s club, de la réunion en non-mixité, en ne nommant que des hommes. Aux États-Unis, Sarah Polley n’a eu que des miettes pour l’acclamé Women Talking, nommé en Meilleur Film et Meilleur Adaptation, tandis que le très buzzé Aftersun, réalisé par Charlotte Wells et récompensé à Cannes et Deauville, n’est présent dans les nominations que pour son acteur principal, Paul Mescal. Les votants leurs ont préféré le palmé Ruben Ostlund, les vétérans Todd Field, Steven Spielberg et Martin McDonagh, et les Daniels, le duo à la tête du sagement queer Everything Everywhere All At Once.

Le genre de polémique dont on pensait ne plus entendre parler étant donné que l’Académie des Oscars venait de récompenser coup sur coup Chloé Zhao en 2021 et Jane Campion en 2022. Chassez le naturel il revient vite au galop.

En France, le constat est le même : cinq hommes nommés pour zéro femme dans la catégorie de la meilleure réalisation. Alors même que les réalisatrices françaises continuent de faire briller le cinéma français à l’international et dans les festivals mondiaux. Claire Denis, lauréate du prix de la meilleure mise en scène à Berlin, Alice Diop et son Lion d’Argent à Venise, ou encore Léa Mysius, Gisèle Vienne, Mia Hansen-Love, Valeria Bruni-Tedeschi, Patricia Mazuy, Blandine Lenoir, Rebecca Zlotowski, Alice Winocour, Charlotte Lebon ou encore Claire Simon n’ont semblent-elles pas trouvé grâce aux yeux des votants des Césars.

Ces derniers ont préféré distinguer Cédric Klapisch, Cédric Jimenez, Albert Serra, Dominik Moll et Louis Garrel. De plus, quatre de ces réalisateurs sont aussi présents dans la catégorie du Meilleur film, aux côtés des Amandiers. Au total, L’Innocent de Louis Garrel comptabilise 11 nominations, suivi de près par La Nuit du 12 de Dominik Moll avec 10 et Pacifiction d’Albert Serra avec 9. Novembre de Cédric Jimenez, lui, est nommé sept fois. Dès lors, un autre constat peut-être fait : les films d’hommes, réalisés par des hommes et aux premiers rôles masculins, qu’ils soient populaires ou plus auteurisants, réunissent encore bien plus. Pour preuve : trois des acteurs nommés (Garrel, Magimel et Dujardin) le sont pour des films présents dans toutes les catégories. Pour les actrices nommées, le compteur redescend à zéro. Virginie Efira, Juliette Binoche, Fanny Ardant et Adèle Exarchopoulos sont les uniques représentantes des films pour lesquels elles sont distinguées. Laure Calamy pour À plein temps en est la seule exception, puisque le film a réussi à décrocher trois autres nominations.

Côté représentation du cinéma queer, le bilan est en demi-teinte. Pour son rôle de cheffe d’orchestre despote dans Tár, Cate Blanchett est une des favorites, et risque bien de repartir avec sa troisième statuette dorée. Toujours côté actrice, la jeune comédienne Stephanie Hsu, pour sa participation à Everything Everywhere All At Once, devient la première personne queer à être nommée pour un rôle queer depuis Ian McKellen en 1998.

Sérieuse chance pour Brendan Fraser

Pour les acteurs, Brendan Fraser a de sérieuses chances de gagner pour son grand retour au cinéma dans le nouveau film de Darren Aronofsky, The Whale, où il interprète un homme gay obèse qui essaie de renouer avec sa fille. Trois comédiens donc, qui ne font pas oublier l’absence malheureuse de films américains parlant habilement des réalités LGBTQ+, comme Bros, The Inspection (et pour son acteur principal Jeremy Pope), Bones and all ou encore Babylon et son personnage lesbien. Même dans la catégorie du meilleur film étranger, où étaient pourtant shortlistés les magnifiques Joyland et Le Bleu du Caftan, représentants respectifs du Pakistan et du Maroc, le résultat est décevant. Aucun des deux n’est finalement nommé, et c’est donc seulement Close, du belge Lukas Dhont, qui porte haut les couleurs LGBTQ+ dans la sélection.

Les Césars, eux, semblent cette année étonnamment et légèrement plus ouverts au cinéma queer hexagonal. En témoigne la catégorie du meilleur espoir masculin, qui compte dans ses rangs quatre rôles d’homme gay sur cinq : Paul Kirsher pour Le Lycéen, Dimitri Doré pour Bruno Reidal, Aliocha Reinert pour Petite Nature, et Stefan Crepon pour Peter Von Kant (aux côtés de Denis Ménochet, aussi nommé pour le film). L’absent de la catégorie reste le génial Romain Eck, alias Cookie Cunty, flamboyante drag queen dans Trois nuits par semaine qui aurait complété à merveille cette sélection de jeunes talents. Toujours dans la catégorie des grands absents, L’Origine du mal de Sébastien Marnier repart bredouille, à l’instar de Bertrand Mandico et de son After Blue, là où Les Cinq Diables de Léa Mysius n’est distingué que pour ses effets visuels.

Quand bien même certains de ces choix sont réjouissants, on ne peut nier cette impression d’une industrie qui évolue difficilement et lentement, faisant encore et toujours le choix de mettre en avant ses gros films populaires de réalisateurs déjà multi-cités (Novembre, En Corps…) plutôt que ses perles plus confidentielles.

L’année dernière, Illusions Perdues raflait tout (sept prix), l’année d’avant c’est celle d’Adieu les cons (sept aussi), la précédente nous offrait le scandale de J’accuse et de ses trois récompenses…. Depuis quelques années, les prix des César ont tendance à se concentrer de plus en plus vers un même type de film, grandiloquents et consensuels. À quand une édition qui fera vraiment en sorte de mettre en avant la diversité et l’excellence du cinéma français qu’ils aiment clamer pourtant haut et fort, plutôt que de nommer et récompenser toujours les même films balourds de Gaumont ou de Canal+ ?