Paris : quand dans l'Hôtel de ville résonnent les paroles fortes des travailleur·euses du sexe

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Ce sont des paroles trop rarement entendues qui ont résonné lundi 12 décembre dans l'auditorium de l'Hôtel de ville parisien. Pendant plus de deux heures, les travailleur·euses du sexe ont pris la parole au sein de l'Hôtel de ville. Une soirée évènement dont Komitid vous restitue les moments forts.

L'Hôtel de ville de Paris - Evgeny Prokofyev / Shutterstock
L'Hôtel de ville de Paris - Evgeny Prokofyev / Shutterstock

Mise à jour, 20h12 : modification d’un propos à la demande de l’intéressée

Ce sont des paroles trop rarement entendues qui ont résonné lundi 12 décembre dans l’auditorium de l’Hôtel de ville parisien.

A l’initiative de deux adjoint·es à la Maire, Anne Souyris (santé publique) et Jean-Luc Romero-Michel (lutte contre les discriminations), Eva Vocz, chargée de plaidoyer sur les questions liées aux Travailleur·euses du sexe (TDS) à Act Up-Paris, a organisé une table ronde sur le thème Donnons leur la parole !

L’ambition affichée par les adjoints est « d’entendre la parole trop rare de publics parisiens souvent stigmatisés, pour faire changer les regards et continuer de bâtir des politiques municipales au plus proche des besoins des Parisiennes et des Parisiens ».

Une centaine de personnes, dont des membres d’associations mais aussi quelques élu·es (dont le conseiller de Paris d’opposition Aurélien Véron), étaient présentes. 

Après une brève introduction par les deux adjoints, la soirée débute avec le très puissant film Au Cœur du bois, de Claus Drexel. Le réalisateur a recueilli les témoignages de travailleur·euses du sexe du Bois de Boulogne, où se mêlent les générations, les origines, les parcours. Ce documentaire dessine un univers rempli d’humanité, où rien n’est éludé des difficultés de ce métier et des discriminations subies. Le tout entrecoupé d’images d’une grande beauté et parfois étrangeté de ce coin de Paris.

Suite au film, Mathieu Magnaudeix, journaliste à Médiapart, a animé une table ronde avec trois travailleur·euses du sexe : Assia, une femme trans qui travaille au Bois de Boulogne, Mylène, une femme cis qui travaille rue Saint-Denis, au centre de la capitale, et Nathan, un homme cisgay escort occasionnel.

Nous avons assisté à cette table ronde et nous vous proposons des extraits de ces prises de parole très fortes, qui espérons-le, permettront de progresser sur les revendications des femmes et des hommes qui exercent cette activité.

Sur le travail du sexe

Mylène : « On ne pose jamais aux autres la question du choix. » 

Assia : « Je suis fière de faire ce travail. »

Nathan : « Etudiant, j’ai commencé à Tours et cette question du choix elle est minée. Quand j’ai commencé c’est parce qu’il fallait que je mange. » 

Sur la solidarité des TDS

Mylène : « La solidarité est décuplée car tout est multiplié par dix. Il faut être dure pour affronter le froid, l’homme dans toutes ses dimensions. Oui, il y a des engueulades, mais nous sommes aussi encore plus solidaires. On doit compter sur nous-mêmes. »

L’évolution de la législation

Mathieu Magnaudeix relève une phrase du documentaire (la prostituée est passée d’« indigente » dans les années 60 à « imposable » sous Giscard et « délinquante » depuis la loi Sarkozy sur le racolage passif).

Mylène : « Dans les années 2000, quand il y avait un problème, on nous demandait d’aller à la Chambre de commerce ! Après la loi Sarkozy, on finissait en garde à vue. Maintenant (depuis la loi de 2016 dite de pénalisation du client, ndlr), tout le monde finit en garde à vue. Sur les différents statuts légaux, on se rend compte que le corps de la pute est un corps politique. Dans les dispositions de la loi, avant il fallait dissuader les femmes. Après on a décidé que la prostitution, c’était l’emblème de la violence faite aux femmes. On n’est pas intéressantes électoralement. Tout dans cette loi (de 2016) est une violence intrinsèque aux tapins. Toutes les dispositions de cette loi vont à l’encontre de notre sécurité, de la protection sanitaire. Les clients ont peur d’être affichés. Il fallait essentialiser les TDS en victimes et criminaliser les clients. Quand tu prônes l’émancipation des femmes, que tu leur dis : “tu dois changer de travail !” et que tu leur proposes 330 euros par mois pour sortir de la prostitution, est-ce que c’est ainsi qu’on parle aux femmes lorsqu’on se dit soi-même féministe ? » 

Assia : « Si on voulait être femme de ménage on l’aurait fait ! Depuis 2016, les bons clients ont peur de revenir mais les agresseurs n’ont pas peur de venir. La police ne trouve jamais les agresseurs. »

Nathan : « La loi de pénalisation des clients a conduit à une baisse des tarifs. On a moins de clients députés (rires). J’ai eu la chance de pouvoir me professionnaliser à Aides mais ça a précarisé des TDS. On doit parfois accepter des plans avec des clients qui prennent des produits, accepter des pratiques plus trash. »

Sur la PrEP

Assia : « Pour les gays la PrEP, c’est très bien. Mais pour une travailleuse du sexe, la PrEP c’est prendre un traitement tous les jours et avoir des IST tout le temps, ce n’est pas forcément adapté. »

Mesures d’urgence

Mathieu Magnaudeix aborde ensuite les mesures d’urgence réclamées par les TDS.  Mesures urgentes 

Assia : « Il faut que la loi soit avec elles.  Les protéger au bois quand elles ont besoin de la police. Nous sommes des citoyennes ! »

Mylène : « Il faut décriminaliser. Il y a une hypocrisie immonde de l’état prohibitif. Il faut suivre les préconisations internationales et faire avec les personnes. Je pense notamment à la Nouvelle Zélande qui a mis en place un système coopératif dans lequel les TDS se regroupent dans des appartements. Ce qui associe la prostitution à la violence, c’est le contexte législatif. Qu’on respecte ces personnes. Notre expertise ne vaut rien mais notre argent est imposé ! Plus on nous dit : “on va t’écraser”, plus on va se battre ! ».

Jointe par téléphone ce matin, Eva Vocz a confié qu’elle était heureuse que cette soirée ait eu lieu. Selon elle, il s’agit « d’un premier pas ». La suite à donner à cet événement ? « Ce que nous attendons désormais, explique-t-elle, c’est que la Ville s’engage à une co-construction avec les travailleurs et travailleuses du sexe sur les politiques publiques qui les concernent. Les conseillères d’Anne Hidalgo ont promis que des auditions des TDS auront lieu avec les adjoints, nous les attendons. »

D’autres soirées de ce type sont prévues, au rythme d’une par trimestre, comme nous l’a confirmé Jean-Luc Romero-Michel. La prochaine, dont la date exacte n’a pas été annoncée, devrait porter sur les usager·ères de drogues.