Xtophe Mathias, des ActupienNEs : « Nous attendons que le ministère de la santé et l’ANRS s’engagent dans une étude nationale pour identifier les besoins des séropos vieillissants »

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L'association Les ActupienNEs a réalisé une étude pilote passionnante sur la situation sociale, économiques et affectives des personnes séropositives de plus de 50 ans. Xtophe Mathias, qui participé à la conception et à la mise en œuvre de cette enquête, répond aux questions de Komitid.

L’association Les ActupienNEs a réalisé une étude pilote passionnante sur la situation sociale, économique et affective des personnes séropositives de plus de 50 ans. Cette étude qualitative s’appuie sur des focus groupes, avec 43 personnes qui ont été interviewées entre début 2019 et fin 2021 dont 17 femmes, 22 hommes et quatre femmes trans, dont 30 sont célibataires.
L’âge moyen est de 60,6 ans et l’âge des participant·es s’étale entre 50 et 79 ans.

Réalisée avec le soutien de la Dilcrah, de Viiv Healthcare et de Gilead, cette enquête a permis de dégager plusieurs constats portant principalement sur la précarité et des parcours de vie complexes. Xtophe Mathias, membre fondateur des ActupienNEs et qui participé à la conception et à la mise en œuvre de cette enquête, répond aux questions de Komitid.

Komitid : Pourquoi avoir réalisé cette étude ?

Xtophe Mathias : Pour nombre d’entre nous, nous ne pensions pas arriver à cet âge-là et cette question s’est alors posé : « Ce sera quoi de vieillir avec le VIH ? ». Il n’y a pas d’étude sur le côté « vivre avec », alors que « des données » sur l’aspect médical sont disponibles. L’histoire a démontré que ce n’était pas une pathologie comme les autres et que l’on avait intérêt à connaître nos préoccupations de malades pour orienter les politiques publiques. 

Cette étude est avant tout un pilote. Nous n’avions pas d’idées préconçues sur les « bonnes questions » et elles se sont dégagées d’elles-mêmes. A partir du 11ème focus groupe, les propos étaient redondants et nous avons su que l’on avait alors identifié toutes les préoccupations et les enjeux.

Parmi les constats, celui qui semble le plus préoccupant est la précarité et la solitude. Comment l’expliquez-vous ?

La précarité ne nous a pas vraiment surpris, c’était une des réflexions initiales. Les séropos nous entourant ont eu des parcours professionnels hachés, voir inexistants depuis 20 à 30 ans. C’est une des spécificités et il va bien falloir les mettre à l’abri.

Comme vous le dites, l’étude fait apparaitre que les séropos sont beaucoup dans la solitude, parce que leurs compagnons et amis sont décédés, parce qu’ils ne se sont pas autorisés et ne s’autorisent pas encore à pouvoir avoir une vie amoureuse, parce qu’il y a eu et qu’il y a encore beaucoup de rejet (familial, professionnel, …). Le TAsP (le traitement comme prévention, ndlr), ils connaissent, on peut vivre avec le VIH aujourd’hui, mais ils sont restés coincés avec ces idées qu’ils allaient mourir et qu’ils ne pouvaient pas faire de projets. La plupart des participants de l’étude sont encore hantés par l’annonce de la séropositivité et les réactions de rejet qu’ils ont eu au début. 

Nous n’avons trouvé que vers la fin de l’étude la bonne question sur « entourage et solitude », parce que spontanément les gens disaient que tout allait bien. Nous demandions : « si demain vous avez un examen à l’hôpital qui nécessite que quelqu’un vienne vous chercher à la fin, est-ce facile de trouver quelqu’un ? ».

Autre constat : la peur du rejet, la sérophobie. Cela vous a-t-il surpris ?

Nous n’étions pas surpris que les séropos soient toujours dans une certaine peur, fassent toujours l’objet de rejet et de sérophobie, mais nous ne pensions pas que cela allait autant ressortir. Certains récits d’aventures arrivées récemment à des personnes de l’enquête étaient très impactant et touchants. Le regard des autres étant toujours aussi plein de préjugés et rude, les séropos vivent dans la peur, se cachent, s’isolent, ont peu de personnes de confiance.

Les séropos de l’enquête sont amers d’entendre que le VIH n’est plus un problème en France, que tout va bien. Il n’y en a que pour le PrEP. C’est comme s’ils n’existaient pas et que personne ne s’intéressait à eux, coincés dans les minimas sociaux, la solitude, l’hébergement par un tiers, etc.

En quoi les associations sont-elles utiles ?

Les associations sont fondamentales, d’une part pour accéder aux prestations du droit commun, accéder à un logement autonome en fonction de ses ressources, etc. J’en profite pour rappeler à tout le monde que la retraite provient de vos cotisations aux régimes d’assurance obligatoire de retraite et que c’est un droit individuel qui ne provient pas de la solidarité nationale.

Dès maintenant les associations VIH doivent acquérir des compétences sur le droit à la retraite, sur le maintien à domicile, les maisons de retraite et autres Ehpad. Et surtout réinvestir dans des lieux de convivialité accessible aux séropos pour permettre de rompre l’isolement et favoriser l’entraide (Back to the eighties 😀). 

Le suivi médical et social est aussi au cœur des préoccupations. Et un sujet est venu spontanément, l’observance du traitement. En quoi est-ce un problème ?

Avec les nouveaux antirétroviraux (ARV), la charge virale et les CD4 sont pour une grande majorité des séropos revenus à la normale, d’où deux rendez-vous par an avec son infectiologue. Mais vraiment on n’a pas de chance, ce sont les autres maladies qui se greffent au VIH (diabète, BPCO, troubles métaboliques et cardiovasculaire, cancers, etc.). Pour certaines, on a jusqu’à 10 ou 20 fois plus de risque que la population générale. On a créé une série de cartes postales à destination des malades et généralistes pour faire de la prévention et une prise en charge adaptée à tous les risques supplémentaires. Et c’est à nos médecins traitants que théoriquement incombe ce suivi, on revient toujours à ce serpent de mer : « A quand une coordination des soins, ou les différents médecins, spécialistes et patients communiquent réellement ? ».

Pour en revenir à ta question sur l’observance, l’idée de poser cette question ne nous est même pas venue à l’esprit. Elle est venue toute seule : la moitié des personnes de l’enquête ont abordé le sujet d’elles-mêmes et plus de la moitié dit ne pas être observantes ou bricolent avec les traitements ! Le risque c’est de créer des résistances aux ARV, ce qui est problématique chez des patients qui ont déjà été traités avec une multitude de molécules. Quelle ligne de traitement va-t-il leur rester ?

Pourtant cette mauvaise observance a des causes : ce sont les effets secondaires qui sont pointés du doigt, qu’ils soient réels ou non, qu’ils soient dûs aux interactions médicamenteuses, qu’ils soient dû à une volonté d’allégement thérapeutique (pas forcément bien perçue et validée par le médecin), peu importe, c’est un problème d’écoute à la base.

Qu’attendez-vous maintenant des agences de santé publique dont l’ANRS et Santé publique France ?

Nous ferons tout pour poursuivre le rendez-vous que nous avons eu avec la Direction générale de la santé le 17 juin qui a été constructif et qui a reconnu que ce travail devait être développé pour offrir un regard de la situation des personnes vivant avec le VIH de plus de 50 ans et mieux orienter les politiques publiques pour l’avenir. Nous serons attentifs à tous les engagements pris ce jour. Nous attendons que le ministère de la santé et l’ANRS s’engagent dans une étude nationale avec un plus grand panel pour identifier les besoins des séropos vieillissants avec le VIH et que des actions publiques soient déployées en réponse. Nous exigerons faire partie du groupe de travail de cette étude de plus grande ampleur. Sachant que l’enquête VESPA va se refaire prochainement, pourquoi ne faire un focus important au sein de cette étude sur la situation des personnes de plus de 50 ans ?

Quels seront vos prochains axes de travail ?

Dès à présent nous ne manquons pas d’idée pour former les gérontologues au VIH ou former les infectios à la gérontologie, financer les associations pour faire de l’APA et ainsi rétablir du lien social, mettre en place une réelle coordination des soins, parce qu’à un moment ce n’est pas compliqué de prendre son téléphone avec l’accord du patient et de contacter les différents professionnels de la santé et du soin pour savoir qui fait quoi, prévenir les comorbidités en réalisant systématiquement un bilan de synthèse, prévenir la mauvaise observance étant plus à l’écoute des patients. La liste est longue !

Pour consulter le rapport final de l’étude sur le vieillissement des personnes vivant avec le VIH, cliquez ici.