Eva Vitija, réalisatrice de "Loving Highsmith" : « Je voulais montrer la Patricia Highsmith aimante. C’est une chose d’elle qui n’avait pas été racontée jusqu’à présent »

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Avec son deuxième film "Loving Highsmith", la réalisatrice suisse Eva Vitija dresse un portrait juste et touchant de Patricia Highsmith, une écrivaine lesbienne américaine aux multiples vies. Interview.

Eva Vitija, réalisatrice de « Loving Higshmith »
Eva Vitija, réalisatrice de « Loving Higshmith » - Agence Valeur Absolue

Une chose est sûre, la réalisatrice suisse Eva Vitija aime Patricia Highsmith. Un amour si important qu’elle a décidé de consacrer un documentaire à l’écrivaine américaine, le très réussi Loving Higsmith (sorti en salles le 15 juin).

Le film, qui mélange des images d’archives, des témoignages divers et les écrits intimes de Patricia Highsmith, offre un nouvel éclairage sur la vie et l’œuvre de celle qui marqua son temps avec ses romans, dont plusieurs ont été adaptés au cinéma (L’inconnu du Nord-Express, Monsieur Ripley ou Carol).

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Eva Vitija a presque 50 ans. Elle a fait des études à Berlin et écrit de nombreux scénarios. Et, beaucoup plus tard, elle a travaillé sur des documentaires. Loving Highsmith est son deuxième film en tant que réalisatrice.

Komitid : Quelle a été la genèse de ce film sur Patricia Highsmith ?

Eva Vitjia : D’une certaine manière, j’ai rencontré Patricia Highsmith lorsque j’étais enfant. Lors des vacances d’été, ma famille habitait le village où elle avait sa maison. On me disait que là-bas vivait Patricia Highsmith, une écrivaine très connue, qui était seule avec ses chats. Et ça, c’était un mystère pour moi parce que, en tant qu’enfant, je ne comprenais pas pourquoi elle vivait seule avec ses chats.

Et puis, quand je suis retournée dans cette maison après avoir reçu un prix pour mon premier film sur mon père, qui était un homme très obsessionnel, j’ai pensé que je voulais faire un film sur une femme obsessionnelle. Quelqu’un m’a montré une liste avec des écrivains et m’a demandé qui pouvait m’intéresser. Et là, c’était clair, c’était Patricia Highsmith.

J’ai alors commencé à faire des recherches et j’ai réalisé qu’il n’y avait pas de film documentaire de cinéma sur elle. Il y avait seulement un film pour la télévision qui était assez vieux. Je trouvais que ça manquait vraiment un film documentaire sur une écrivaine aussi importante.

Pour ce film, vous avez interviewé des proches de Patricia Highsmith. Comment se sont passées ces rencontres ?

C’était assez différent pour chacune des personnes rencontrées. J’ai commencé avec la famille. J’étais au Texas pour un festival de films, je les ai contactés sur Facebook et ils m’ont reçue. Ils étaient assez ouverts, sans doute car ils n’avaient pas conscience de la célébrité de Patricia Highsmith en Europe. Pour eux, elle était perçue comme la tante étrange qui habitait en Europe. Ils savaient qu’elle écrivait, ils connaissaient ses livres mais ce n’était pas si clair pour eux. Ils m’ont montré de nombreuses photographies d’elle. Cette rencontre était vraiment le commencement de mon film.

Après, j’ai contacté Marijane Meaker. Elle avait écrit un livre sur sa relation avec Patricia Highsmith. Au départ, elle était assez ouverte à l’idée d’une rencontre. J’ai organisé le voyage aux Etats-Unis. Une fois les réservations faites, elle m’a expliqué que la rencontre n’était finalement pas possible. Elle ne voulait plus me voir. J’y suis tout de même allée. Et puis, elle a accepté de me rencontrer et c’était une première visite charmante. On s’est beaucoup parlées. Je pense qu’elle craignait surtout que les gens pensent qu’elle tirait profit de sa relation avec Patricia Highsmith si elle apparaissait dans un film sur elle.

Comment avez-vous choisi le format de votre film, qui est un mélange d’interviews et d’images d’archives ?

C’était assez clair que les textes de Patricia Highsmith étaient la structure de base du film. Puis, on a essayé de trouver des images. Sur une longue période, il n’y a aucune image d’elle. Dès le début, je voulais la perspective des amantes de Patricia Highsmith car la dimension amoureuse était la plus importante dans ses journaux intimes. Je voulais vraiment faire un film qui portait cette perspective privée.

Est-ce que vous estimez qu’avant ce film, le public ne connaissait pas Highsmith dans son intimité ?

Oui. Moi-même j’avais une image sombre de Patricia Highsmith qui était sans doute influencée par son œuvre de polars. Elle était connue comme une vieille misanthrope, très grincheuse. Quand j’ai commencé à m’intéresser vraiment à elle, ça a été une grande surprise. J’ai découvert une femme très belle et romantique. Lorsqu’elle était jeune, Patricia Highsmith tombait amoureuse tous les mois !

 

« Lorsqu’elle était jeune, Patricia Highsmith tombait amoureuse tous les mois ! »

C’est pour cela que vous avez intitulé votre film « Loving Highsmith » ?

Je voulais montrer la Patricia Highsmith aimante. C’est une chose d’elle qui n’avait pas été racontée jusqu’à présent.

Comment expliquez-vous que ses livres étaient à l’opposé de sa personnalité ?

Elle a commencé assez tôt à écrire des polars. C’était un grand succès. Elle voulait également écrire d’autres romans mais elle avait peur. Lorsqu’elle a écrit Carol (sous pseudonyme, ndlr), un roman qui raconte une histoire d’amour entre deux femmes, elle avait très peur que son nom soit exposé.
En réalité, je trouve qu’il y a une double dimension dans ses livres. Elle y montre aussi ce qui se cache derrière les choses, ce qu’il y a derrière la bonne vie normale, ce qu’il y a derrière la norme hétérosexuelle. Dans tous ses livres, il y a beaucoup d’éléments biographiques mais ils sont très subtils.

Comment décririez-vous le style littéraire de Highsmith ?

Les livres qu’elle a écrits sont le plus souvent des polars et des romans psychologiques qui entrent dans le cerveau des protagonistes. Les relations sont difficiles et le thème de la culpabilité y est très fort.

De nombreux livres ont été adaptés au cinéma. Selon vous, comment ces adaptations influencent la vision que le grand public a d’elle ?

Aux Etats-Unis, les gens connaissaient surtout ses films tandis qu’en France, son image était différente. En France, elle était perçue comme une écrivaine sérieuse et non comme une écrivaine de polars dont les films étaient adaptés au cinéma.

Un des adaptations les plus récentes est « Carol ». Le livre raconte une histoire d’amour entre deux femmes. Pour vous, quel héritage Patricia Highsmith laisse-t-elle à la communauté lesbienne ?

Carol (paru en 1952, ndlr) était l’un des premiers romans de femmes qui ne finissait pas mal, contrairement à ce qui était la norme pour ce genre. Elle recevait de nombreuses lettres de femmes touchées par son roman. Elle était donc déjà un repère pour la culture lesbienne dans les années 50. Mais en même temps, elle n’était pas non plus la “butch” ou la “femme” typique. Et c’est vraiment rare. Il y a très peu d’images de femmes qui sortent de la norme hétéro à l’époque, mais qui en même temps ne remplissent pas non plus les codes typiques des lesbiennes.

Et cette diversité fait également partie de son héritage ?

C’était une diversité qui existait à un double niveau. D’abord, dans la société hétérosexuelle, car elle n’était pas la femme classique des années 50. Ensuite, dans la culture lesbienne, car elle ne s’identifiait jamais avec le féminisme. Elle était assez libre.

Si vous aviez un texte écrit par Patricia Highsmith à recommander, quel serait-il ?

Ma nouvelle préférée c’est Ce mal étrange. Cette nouvelle parle d’un homme qui est amoureux fou d’une femme qui ne l’aime pas. Il s’imagine une vie avec elle. Il pense qu’ils sont mariés ensemble. En réalité, c’est son imagination qui invente tout. C’est une histoire sur l’amour et sur l’écriture puisque pour l’écrivain tout passe aussi par l’imagination.

 

« Loving Highsmith », réalisé par Eva Vitija, en salles depuis le 15 juin.