« Les femmes sont une patrie pour les femmes » : les femmes turques à la pointe des protestations

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Les femmes sont l'un des derniers collectifs qui se mobilisent encore en Turquie, un pays qui réprime et interdit la plupart des manifestations, refusant de s'avouer vaincues face au fléau toujours croissant des féminicides.

Turquie féministes
Des manifestant·es participent à une manifestation contre les fémicides, à Istanbul, Turquie, le 5 août 2020 / Huseyin Aldemir - Shutterstock

Les femmes sont l’un des derniers collectifs qui se mobilisent encore en Turquie, un pays qui réprime et interdit la plupart des manifestations, refusant de s’avouer vaincues face au fléau toujours croissant des féminicides.

«  Le mouvement féministe a développé une prise de conscience dans la société, ce qui fait notre fierté : elle est le résultat de notre mobilisation et de notre refus de plier », explique à l’AFP Canan Gullu, qui dirige la Fédération des Associations de femmes de Turquie.

« Nous n’avons pas de mercenaires à disposition, nous ne payons personne pour défiler dans les rues ! Ce sont des activistes qui viennent de toutes les branches du mouvement », insiste-t-elle.

Comme tous les 8 Mars, Journée internationale pour la défense des droits des femmes, les Turques seront au rendez-vous.

Dimanche, dans une joyeuse ambiance et en musique, au siège d’une des associations dans le vieux quartier de Beyoglu à Istanbul, elle peignent et décorent les banderoles : « Continuons la rébellion féministe ! », « Rébellion féministe partout ! »

Les femmes turques ont obtenu le droit de vote en 1934, bien avant certains Etats européens – dix ans avant la France.

En 2011, Ankara fut la première capitale à signer la Convention d’Istanbul qui engage à lutter contre les violences faites aux femmes… Avant de la dénoncer dix ans plus tard, privant les femmes de sa protection.

Le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan a alors assuré que la convention avait un « agenda caché » qui viserait à « normaliser l’homosexualité » ce qui la rend « incompatible avec les valeurs sociales et familiales de la Turquie ».

« Les femmes sont dans la rue depuis 2021 », s’amuse Mme Gullu. « Alors qu’à peine 6 % du pays avait connaissance de cette convention, aujourd’hui c’est plus de 66 % ».

« Le sang des petites fiancées »

Avec courage, les Turques continuent de descendre dans la rue sans crainte des gaz lacrymogènes et des affrontements souvent rudes avec la police, devenus habituels lors des rassemblements ces dernières années.

Car pas un jour ne passe sans apporter un nouveau crime commis contre une femme, en général par un compagnon ou des proches.

En février, le meurtre brutal de Sila Senturk, 16 ans, par l’homme auquel sa famille l’avait fiancée de force, a déclenché un tollé.

« Que la lumière des yeux de cette fille aveugle ceux qui l’ont abandonnée à son meurtrier. Que le sang des petites fiancées vous noie », a lancé le réalisateur Gani Mujde.

En 2021, 416 femmes ont été tuées selon la plate-forme « Stoppez les féminicides » qui enregistre chaque victime dans un « monument numérique » sur son site Web.

Depuis le début de l’année, elle comptabilise 72 femmes tuées.

Le président Erdogan a annoncé qu’un train de réformes sera présenté au parlement « dès que possible” » alourdissant les peines en cas d’agressions délibérées contre des femmes.

Mais « cela ne sert à rien de durcir les peines. Notre problème, c’est que les lois ne sont pas appliquées », relève Elif Ege, 35 ans, qui se présente comme une féministe indépendante.

« Ce que nous réclamons depuis des années, c’est l’application des lois existantes. Et le retour de la convention d’Istanbul », poursuit-elle.

« La rue appartient aux femmes »

Pour les organisation de femmes, la sortie de la Turquie de ce traité international a donné un sentiment d’impunité aux auteurs de violences.

« Même si la Turquie est un Etat de droit, les messages des politiques et le poids des traditions continuent de modeler la société », fait valoir Nesibe Kiris, avocate spécialiste des droits humains.

Pour les coupables, « le fait que le gouvernement ne respecte pas les traités est perçu comme une échappatoire et légitime leur crime », poursuit-elle.

Mais l’avocate assure que les femmes sont plus mobilisées que jamais pour « peser sur la société et les politiciens ».

Elles seront au rendez-vous mardi de la Marche nocturne annuelle des féministe à Istanbul.

« Le 8 Mars est l’occasion pour de nombreuses femmes de se faire entendre » remarque une militante, Kubra Karagoz, 31 ans. « La nuit, la rue, les places appartiennent aux femmes en dépit de toutes les pressions pour les en chasser », insiste-t-elle.

« La violence, ce n’est pas notre destin », reprend Canan Gullu. « Les femmes sont une patrie pour les femmes. Nous nous soutiendrons mutuellement. Nous allons leur rappeler qu’elles ne sont pas impuissantes. Que nous nous tiendrons à leur côté, épaule contre épaule, pour gagner ce combat. »