5 juin 1981… une épidémie commence

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Tout ce que les malades et les personnes affectées par le VIH/sida ont obtenu ne leur a pas été donné, il a fallu se battre et arracher une après l'autre des victoires.

Des activistes sud-africains contre le sida, à Durban, en juillet 2000, réclament l'accès aux traitements du sida dans les pays du Sud - Christophe Martet

En 1981, internet n’existe pas et le téléphone est une grosse boite fixe, grise, à cadran. François Mitterrand est président de la République. L’homosexualité est encore pénalisée en France. Le mur de Berlin sépare toujours les deux blocs capitaliste et communiste.

Le 5 juin 1981, dans le Mortality et Morbidity Weekly Report adressé aux médecins, le Centre de contrôle des maladies étatusien publie une enquête sur cinq cas de pneumocystose carinii diagnostiqués sur des hommes jeunes et en bonne santé de Los Angeles, tous gays. Dans sa note, les rédacteurs du bulletin suggèrent au vu de ces cas qu’il s’agirait d’un « dysfonctionnement du système immunitaire » et d’une « maladie acquise à travers un contact sexuel ».

Les bases sont posées : les quatre lettres SIDA, pour  Syndrome d’Immuno-Déficience Acquise vont devenir l’acronyme de l’épidémie la plus meurtrière de la fin du siècle.

Génération décimée

La suite, on la connaît. Ou on croit la connaître. L’inertie des pouvoirs publics, l’impuissance des soignants, le manque d’intérêt des laboratoires pharmaceutiques… et l’inexorable progression de la maladie. Dans les années 80 et 90, ma génération est décimée. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous annonce la mort d’un proche. Pour ma part, le diagnostic de séropositivité tombe en 1985.

Mais après 15 ans d’échec, et de décès en masse, en 1996, des traitements puissants permettent aux personnes séropositives (dans les pays développées) de survivre. Aujourd’hui, elles peuvent espérer vivre tout aussi « normalement » que les personnes séronégatives. Et grâce à la PrEP, ces dernières peuvent le rester. La prévention par le traitement, ça marche !

Dans le monde, des millions d’hommes, de femmes, d’enfants sont infectés par le VIH, seulement la moitié reçoit un traitement. On estime qu’en 40 ans, près de 40 millions de personnes sont mortes du sida.

Ne comptez pas sur moi pour être nostalgique d’une époque marquée avant tout par d’immenses injustices et liée à la perte d’ami·es jeunes, mort·es alors qu’ils et elles n’avaient pas 30 ans.

On a souvent écrit que le sida était un révélateur social. Il révèle que ce sont les discriminations qui alimentent l’épidémie : homophobie, transphobie, sexisme, racisme, guerre aux pauvres, néocolonialisme.

Quarante ans après, on le sait maintenant, l’épidémie n’a pas commencé dans la communauté gay californienne. Les recherches les plus pointues montrent qu’il faut examiner les responsabilités de la colonisation. C’est en effet dès les années 1910-1920, dans l’ancien Congo belge que l’on situe les premiers cas de contamination, au sein d’une main-d’œuvre sur-exploitée par les puissances coloniales.

Dès les années 60, la maladie sida, qui ne porte pas encore ce nom, fait des ravages au Zaïre (la RD actuelle). Et lorsqu’en 1985, la future Prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi, découvreuse du VIH, se rend en Centrafrique : « « J’y découvre une situation catastrophique sur place, et par ricochet celle de l’Afrique. Je réalise d’autant mieux l’urgence de la lutte ». Pandémie totale, le VIH/sida est au cœur de ce monde globalisé où les inégalités se creusent entre pays riches et pays pauvres.

Quarante ans plus tard, il convient de retenir la leçon politique de cette épidémie. Une chose est sûre : tout ce que les malades et les personnes affectées par le VIH/sida ont obtenu ne leur a pas été donné, il a fallu arracher une après l’autre des victoires.

Convergence des luttes

Ce qu’ont réussi les associations et en particulier Act Up*, c’est à faire converger les luttes.  Qui aurait imaginé que les « gays du Marais » seraient moteur pour accélérer la mise en place d’une médecine ordinaire en prison, là où régnait l’arbitraire ? Même chose avec la politique de réduction des risques. C’est après de très nombreuses actions que les droits des toxicomanes à bénéficier d’un accès aux soins ont été mieux défendus. Droits des malades étrangers, droits des femmes dans l’accès aux droits et à la recherche, droits des pays du Sud face aux puissants lobbys des industries pharmaceutiques. C’est aussi Act Up qui a posé les bases de la mobilisation internationale contre le sida pour l’accès aux traitements. Partie de zéro en 2000, l’aide atteint aujourd’hui plusieurs milliards de dollars par an. Cela reste insuffisant.

Le rapport médecin-patient, l’accès universel aux traitements par la généralisation des médicaments génériques et la fin des brevets, les bases d’une recherche communautaire, tous ces combats ont aussi bénéficié aux autres malades et on le doit en grande partie, et en particulier dans les deux premières décennies de l’épidémie, aux hommes gays, à leurs alliées lesbiennes et à quelques personnalités courageuses (merci Elisabeth Taylor).

Combat sans compromis

Quand le monde politique gardait les yeux, les oreilles et la bouche fermées, une armée de combattant·es s’est levée et malgré les échecs, malgré les morts par milliers, a mené un combat sans compromis.

Un combat qui résonne encore aujourd’hui dans les luttes LGBTI+ contemporaines. « Jamais sans nous » pourrait être le slogan de ces nouvelles formes de lutte des minorités qui réclament leur place à la table.

Cette lutte sans concession doit nous inspirer pour ne pas baisser les bras. En France, les gays, les femmes trans et les femmes racisées payent encore un lourd tribut en terme de contamination.  Pour les minorités sexuelles et de genre, il ne faudrait donc pas non plus se bercer d’illusions sous prétexte qu’on a obtenu l’égalité des droits. Il y a loin entre l’égalité en droits et dans la vie réelle, les luttes féministes sont là pour nous le rappeler au cas où.

Ce que l’on doit aussi à la lutte contre le sida, telle qu’elle a été initiée, structurée et menée par des activistes du Nord et du Sud, c’est une autre façon de militer : ne plus attendre tout des pouvoirs publics, investir la rue pour des actions de guérilla urbaine médiatiques, créer ses propres structures de solidarité, devenir experts, changer les rapports de pouvoir.

Quarante ans après ce 5 juin 1981, l’ONU se félicite que des dizaines de pays ont atteint ou dépassé les objectifs fixés par l’Assemblée générale des Nations unies en 2016. Au moins 40 pays sont en voie de réaliser une réduction de 90 % de la mortalité liée au sida d’ici à l’année 2030, y compris neuf pays situés en Afrique de l’Est et du Sud, selon un rapport de l’Onusida, l’agence spécialisée de l’ONU.

Un monde sans sida est-il possible ? Oui si on admet qu’il faut plus que jamais aider les associations de personnes atteintes et les structures communautaires. La verticalité, ça ne marche pas. Aurais-je la joie de connaître ce jour où l’épidémie sera définitivement vaincue ? Rien n’est moins sûr. Il n’existe toujours pas de vaccin et de traitement curatif.

Pour aller plus loin :

« Aux origines du sida », de Jacques Pépin, Seuil, 496 p., 24,90€

« Une histoire de la lutte contre le sida », d’Olivier Maurel et Michel Bourrely, éditions nouveau monde, 714 p., 25,90€

Pour toute question sur le VIH/sida, Sida Info Service au 0800 840 800 (appel confidentiel anonyme et gratuit).

 

*Christophe Martet a été membre d’Act Up-Paris de 1991 à 2004.