« Libère-toi du patriarcat et embrasse-moi » : le lesbianisme politique s'affirme en France

Publié le

Une nouvelle génération de militantes émergeant dans le sillage de la vague #MeToo en France se tourne désormais vers le féminisme lesbien pour dénoncer les inégalités, provoquant de virulentes critiques.

marche lesbienne paris
Une pancarte de la marche lesbienne à Paris dimanche 25 avril - Jean Benoît Richard

Ces féministes se saisissent des outils du lesbianisme politique, selon lequel l’hétérosexualité et la domination masculine s’articulent ensemble.

Elles étaient des milliers à défiler dimanche dernier à Paris, lors de la première grande marche des lesbiennes depuis 40 ans, pour réclamer l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes seules et lesbiennes. « Rescapées de l’hétérosexualité », « Libère-toi du patriarcat et embrasse-moi », pouvait-on lire sur les pancartes. « Ce sont les messages du lesbianisme politique. Il y a une montée en puissance ces derniers (temps) », estimait l’élue écologiste parisienne et militante lesbienne Alice Coffin lors de la manifestation.

Ana, 34 ans, souffrait de troubles du comportement alimentaire, notamment de boulimie, depuis son adolescence. « Ça a complètement changé quand je me suis regardée à travers le regard des femmes », assure celle qui a fait son coming out lesbien l’année dernière. « Quand tu es féministe, ça devient absolument impossible de concilier des idées féministes et une vie intime avec des hommes. Ça rend folle », assure-t-elle.

Selon le lesbianisme politique, l’hétérosexualité institutionnalise l’appropriation des femmes par les hommes, notamment à travers l’exploitation domestique et la transformation des femmes en objets sexuels, résume la sociologue et professeur à Sciences Po Paris Ilana Eloit.

Plusieurs personnalités féministes lesbiennes étaient présentes à la marche de dimanche, dont l’actrice Adèle Haenel et la réalisatrice Céline Sciamma.

« La honte ! »

Adèle Haenel est devenue une héroïne pour les féministes quand elle a pris la parole pour accuser le réalisateur Christophe Ruggia de harcèlement sexuel et d’« attouchements », quand elle avait entre 12 et 15 ans. Trois mois plus tard, l’actrice quittait la salle aux Césars en criant « la honte !  » après l’obtention du titre de meilleur réalisateur par Roman Polanski, condamné aux États-Unis pour le viol en 1977 d’une adolescente de 13 ans.

« Désormais on se lève et on se barre  », écrivait la romancière Virginie Despentes dans une tribune, quelques jours après le geste d’Adèle Haenel. Cette écrivaine féministe a fait son coming out lesbien à 35 ans. « Elle a beaucoup d’influence et une grande popularité. Qu’elle soit devenue lesbienne, en donnant une dimension très politique à cette identité, est très significatif », explique l’historienne et professeur à l’université d’Angers Christine Bard.

Que ces figures de proue militent pour le féminisme en tant que lesbiennes est nouveau en France, note Ilana Eloit.

L’écrivaine et militante Monique Wittig a tenté de fonder un courant lesbien au sein du Mouvement de libération des femmes (MLF) dans les années 1970, mais a été « complètement effacée » par les autres féministes et a « fui » aux États-Unis, assure Ilana Eloit.

Pour Christine Bard, l’universalisme républicain a rendu « plus compliqué » le militantisme lesbien en France.

« Aujourd’hui, toutes ces figures publiques du féminisme ont lu Monique Wittig, c’est évident  », assure Ilana Eloit, soulignant qu’Adèle Haenel a choisi de lire un extrait de l’ouvrage Le corps lesbien de Monique Wittig lors d’un passage sur France Inter en septembre. « Le fait de ne pas être hétérosexuelle est une position privilégiée pour expliquer la domination patriarcale », juge Ilana Eloit.

Lesbianisme politique

En réaction à l’émergence du lesbianisme politique, la philosophe et féministe universaliste Elisabeth Badinter a dénoncé ce qu’elle considère comme « l’expression abrupte d’une haine des hommes », dans une tribune publiée en septembre.

Et lors de la parution de l’essai d’Alice Coffin, Le génie lesbien (Grasset) le même mois, un passage en particulier, pris hors contexte, a déclenché une vague d’indignation : « Il faut, à notre tour, éliminer (les hommes). Les éliminer de nos esprits, de nos images, de nos représentations ».

La ministre déléguée à la Citoyenneté Marlène Schiappa (LREM) a accusé l’élue écologiste de défendre « une forme d’apartheid » et la maire (PS) de Paris Anne Hidalgo s’est également distanciée de ses propos. « Ce n’est pas possible d’aller m’accuser de division alors que je réponds à la division qui a été institutionnalisée depuis des siècles », a expliqué à l’AFP Alice Coffin en amont de la Marche lesbienne.

Les chanteuses Angèle, Hoshi et Christine and the Queens et Pomme ont toutes affiché leur homosexualité ou leur bisexualité ces dernières années, une nouveauté en France où très peu de personnalités le font, critique Alice Coffin dans son livre. Nul doute que des figures lesbiennes émergent dans l’espace public, mais selon Sarah Jean-Jacques, qui prépare une thèse en sociologie sur la visibilité des lesbiennes à l’université de Paris, « ça reste très minoritaire  ».